L'histoire :
L’avenue C connecte l’east side au west side de la « grosse pomme », surnom affectueux que donnent les new-yorkais à leur ville. Un canal au milieu d’une mer de béton. Entre les deux, une grille d’aération se fait le spectacle de bien des scènes e la vie quotidienne, et le réceptacle de nombreuses offrandes involontaires. Une bague refusée par une jeune femme… une pièce de monnaie… le couteau d’un tueur des rues… Un véritable trésor pour deux gamins qui récupèrent le tout à l’aide d’une ficelle et d’un chewing-gum. Le quartier de Brooklyn est également célèbre pour ses perrons, servant tantôt de gradins, tantôt d’escaliers, tantôt d’estrades… De même, les lampadaires, les bornes à incendie, les poubelles, les boîtes aux lettres, les feux tricolores (…), sont souvent détournés de leurs rôles initiaux. Les scènes de la vie quotidienne alimentent aussi les journées des voisins d’immeuble ou les couloirs des métros, sous l’asphalte. Des inconnu(e)s s’y côtoient, s’y entassent et supportent ou fantasment sur la faune bigarrée qui s’y déverse. Dans le bruit ou la musique, New-York vibre de mille façons…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Will Eisner est un maître incontestable de la bande dessinée contemporaine, au point d’avoir donné son nom au plus prestigieux des prix décerné chaque année, depuis 1988, aux USA (le Will Eisner Awards). New-Yorkais par excellence – il y est né, y a grandi, y a travaillé toute sa vie – Eisner a décrit sa ville au sein de nombreux « graphic novel », avec une tendresse et une justesse inouïes. Le premier recueil présent, baptisé La ville, condense des récits publiés entre 1981 et 1992, à l’époque où il enseignait à l’Ecole des Arts Visuels. Ici, s'affranchissant souvent des bordures de cases, Eisner réinvente sans cesse les codes de l’art séquentiel. Il faut voir comment la cavale d’un malfrat trouve son parallèle dans les trajectoires d’une boule de flippeur. Voir comment il utilise les fenêtres d’une façade d’immeuble pour former autant de cases successives d’une planche… A l’aide d’un sens de l’observation particulièrement aiguisé, se faisant tantôt cruel, tantôt sentimentaliste, muet ou éloquent, il brosse des portraits urbains et contemporains, et dépeint les facettes et les mutations de ce microcosme urbain avec un raffinement noir et blanc d’une rare élégance. Le classement thématique de ces saynètes suit une progression logique, se renvoyant les sujets les uns autres (des grilles d’aération au métro, du métro au bruit, du bruit à la musique…) et racontant finalement un témoignage cohérent. Néanmoins, ne cherchez certes pas le gag final, ou une autre finalité que la truculence et la retranscription de scènes citadines ordinaires. Sur ce point, ce premier recueil (bientôt suivi par L’immeuble et Les gens) trouve ses limites d’un point de vue narratif : découvrez-le par bribes, afin de ne point vous lasser.