L'histoire :
Menilboné, la cité qui rêve, et sa capitale Imrryr, ayant régné sur le monde durant 10 000 ans, connaît depuis cinq siècles une remise en cause de son pouvoir par les nations humaines émergentes. Les « jeunes royaumes » aimeraient détrôner Elric et les Mélniboniens, adeptes de la magie. Mais ce soir, tandis qu'un bal est organisé au palais, la légitimité même d'Elric, l'empereur à la couleur pâle, est remise en doute par l'un de ses sujets. Le prince Yrkoon, son propre cousin, ne goûte guère l'amour que porte celui-ci à sa sœur Cymoril, tout comme il remet en cause l'attitude passéiste d'Elric, qu'il voudrait voir davantage utiliser la sorcellerie, à leur profit. Une attaque surprise des humains va accélérer le processus, attisant les tensions entre les deux hommes, scellant leur destin et celui du royaume...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Michael Moorcock fait partie de ces auteurs cultes, ayant débuté à la fin des années 1950 dans les pas de géants comme Egdar Rice Burroughs, dont il a d'ailleurs adapté en 1965 le Cycle de Pelucidar. Il est mondialement reconnu grâce à son cycle d'Elric de Menilboné, débuté en 1961, mais aussi à Dorian Hawkmoon (1967) Corum et Erekösé en 1970, des anti-héros dans un genre de fantasy ayant marqué des millions de lecteurs, mais aussi des auteurs, tel Philippe Druillet. Celui-ci est d’ailleurs le premier à avoir adapté graphiquement l'œuvre, dès le milieu des années 60, avec La saga d'Elric le nécromancien, comme l'explique Michael Moorcock dans sa postface. On retrouvera aussi cette influence dans Lone Sloane, premier album du Parisien paru en 1966. Edité originellement aux États-Unis de 1984 à 1986 en six épisodes, d'abord chez Pacific comics puis First comics suite à la démise des premiers, l'adaptation très spécifique nous intéressant ici, possède un caractère graphique tellement attachant qu'elle fait partie des plus beaux rendus que son auteur original ait jamais reconnu. P. Craig Russell possède un trait fin, typique de ces années 1980 alternatives, lorsque de petits labels se levaient pour détrôner Marvel et DC. On a d'ailleurs eu l'occasion en France de se rendre compte de ces soubresauts dans deux parutions d'Arédit : au sein de la revue Epic, de 1983 à 1985, et dans le petit album broché La cité qui rêve en 1984, plus « visible » introduction à Elric, réédité en 2021 par les éditions Delcourt. Un style que d'aucuns qualifieraient aujourd'hui de suranné, ou d'enfantin, tant la tendance de ces vingt dernières années a été (mal)menée par des dessins et couleurs surtout photoshopés. Là, le dessin au trait rappelle le croquis, ou les « grands anciens » créateurs de gravures et d'illustrations dans les romans du début du XXème siècle. Dès lors, ce qui a plu à Michael Moorcock dans ce rendu graphique, magnifié par une colorisation flashante improbable, exprimant pleinement le surnaturel, nous plaît à nous aussi, lecteurs de 2022. Il faut rappeler qu'il s'agit d'un travail à six mains : Michael T Gilbert, issu du comics underground, et surtout connu pour la série seventies Star Reach (inédite en France), réalisant le crayonné, et P. Craig Russell l'encrage – encore récemment édité par Delcourt au scénario et dessin avec l'Etrange vie de Nobody Owens (2015-2016). Tous deux se retrouvant sur la colorisation. Roy Thomas quant à lui, entre autre pilier des adaptations de Conan le Cimmerien pour Marvel dans les années 70, ayant su scénariser le roman original avec grâce. Delirium comics poursuit donc avec ce titre son défrichage et la mise en valeur des séries ultimes anglo-saxonnes des années quatre-vingt, apportant une nouvelle pépite à son catalogue. Aux côtés de Nexus, Némésis, American Flagg, The Mask, Judge Dredd, l'Executeur... ce Elric brille de mille feux tragiques qui ne laisseront que peu de secrets sur le royaume de Melniboné et ses mondes parallèles aux lecteurs. Culte et désespérément beau.
