L'histoire :
Sur une scène de Kyoto, en 2014, l'acteur américain d'origine nippone George Takei donne une conférence. Il raconte la période la plus traumatisante de sa vie, lorsqu'il était enfant et que les États Unis venaient d'entrer en guerre contre le pays d'où étaient originaires ses parents, le Japon. Tout avait commencé dans le prolongement des bombardements de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941. Des militaires avaient toqué à la porte de leur maison de Los Angeles, avec un ordre de « déportation » immédiat. Son frère Henry et lui-même avaient eu à peine 10 minutes pour rassembler leurs affaires. Tous les immigrés d'origine japonaise devaient être rassemblés et conduits sous haute escorte vers des camps, considérés comme des ennemis des USA. A la suite des déclarations du président Roosevelt et des lois votées par le Congrès, la population toute entière était désormais fortement hostile aux gens d'origine japonaise, quand bien même ces derniers pouvaient être nés sur le territoire américain. Honnis, bannis des magasins, agressés, il valait effectivement mieux qu'ils soient mis à l'écart de la société. La première étape pour la famille Takei, avait été l'évacuation vers les écuries de Santa Anita, au printemps 1942. Ils avaient dû camper là, en compagnie d'autres familles d'origine japonaise, pendant plusieurs mois. Une expérience particulièrement dégradante pour les parents Takei qui avaient dû travailler dur toute leur vie, en tant que blanchisseurs, pour se payer une maison...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
L'acteur américain d'origine japonaise George Takei est surtout connu pour avoir incarné le commandant Hikari Sulu du vaisseau interstellaire Enterprise dans Star Trek. Il livre dans cet album une autobiographie partielle en forme de témoignage mémoriel, centrée sur son enfance durant la seconde guerre mondiale. Evidemment, étant donné que les USA étaient en guerre contre le Japon, ce furent des années particulièrement éprouvantes pour le petit garçon âgé de 5 ans qu'il était. Avec son frère et ses parents, ils furent expropriés, évacués et internés dans un camp entre 1942 et la fin de la guerre. Le premier réflexe d'un lecteur habitant de ce côté-ci de l'Atlantique est de comparer le sort de ces immigrés japonais à celui des juifs en Europe. Pourtant, l'origine des rafles et la finalité de l'internement de ces populations n'étaient en rien comparables. Aux États Unis, les Japonais étaient suspectés d'être une menace pour la Nation, qu'il s'agissait de protéger contre cet ennemi intérieur... et aucune extermination ne fut jamais perpétrée. L'honneur leur fut d'ailleurs rendu quelques mois après la fin de la guerre. Ce qui ne retire rien à l'expérience traumatisante gravée à tout jamais dans les souvenirs de Takei, qu'il retrace à travers ce roman graphique. Aujourd'hui devenu un acteur de la société civile très suivi sur Facebook pour son engagement LGBT (10 millions de followers), Takei se fait épauler pour la partition graphique par Harmony Becker. Imbibée de culture asiatique et portée par la thématique de la barrière linguistique, l'artiste américaine utilise un dessin encré noir et blanc très proche du manga. L'album contient quelques longueurs, mais il a le mérite de focaliser sur une forme de racisme assez méconnu de notre culture européenne, tout en faisant un écho saumâtre à la recrudescence du mouvement Black lives matter de cet été 2020.