L'histoire :
En 1898, l’affaire Dreyfus défraie la chronique. Par une maussade journée d’automne, l’ambassadeur russe à Paris, le bonhomme Ratchkovski, revient d’un bref séjour à Moscou. La révolution couve et le tsar, indécis, continue d’écouter le dernier qui a parlé. Afin de faire pièce à la nouvelle modernisation et ainsi soutenir les intérêts de l’aristocratie foncière traditionaliste, il faut apporter à l’empereur la preuve incontestable d’une menace contre la monarchie. Lors d’une réunion de crise à la ligue franco-russe, il est décidé d’exhumer un document totalement crédible. Et puisque celui-ci n’existe pas, qu’à cela ne tienne, il n’y a qu’à le fabriquer ! Un écrivain et agent, malin mais loyaliste, Golovinski, qui s’est fait une spécialité de passer dans la presse des articles pro-tsaristes, doit apporter en moins d’un moins la preuve absolue d’un complot juif. A partir du Dialogue aux enfers entre Machiavel et Montesquieu paru en 1864 sous la plume du pamphlétaire Maurice Joly, le faussaire forge les Protocoles des sages de Sion, actes supposés du premier congrès sioniste tenu l’année passée : l’arme parfaite attestant d’une conspiration juive…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’instar du Décalogue de Franck Giroud, le Complot est bâti sur l’histoire d’un faux. Dans chacun des cas, il faut remonter à la genèse du document pour comprendre combien l’on est dupe. Cependant, l’analogie s’arrête là parce que la foi accordée à quelques lignes falsifiées ne prête pas à mêmes conséquences : là où la fiction rêve de fraternité et d’amour, l’autre nous ramène à une réalité haineuse. La prétendue conspiration juive, née des effluves de l’affaire Dreyfus, est toujours d’une implacable modernité, sans cesse rappelée aux actualités. « Chaque fois qu’on apprend à un groupe à en haïr un autre, on forge un mensonge pour attiser la haine et justifier un complot ». Il ne s’agit pas de prendre parti, mais d’apprendre à connaître afin d’agir en conscience. Dans sa préface datée en Floride de 2004, Will Eisner livre son « espoir que ce travail enfonce un clou de plus dans le cercueil de cette terrifiante imposture aux allures de vampire… ». Un graphisme de haute volée (on en devine encore les traits crayonnés sous l’encrage noir) sert une œuvre fouillée, très sérieusement documentée et présentée en tableaux chronologiques jusqu’à ce qu’elle nous explose en pleine face ! Le regretté maître de l’illustré outre-atlantique (chaque année est décerné l’Eisner Award de la meilleure bande dessinée) signe ici le testament d’une vie de recherches. La quatrième de couverture prophétise : le Complot sera aux Protocoles ce que Maus fut à l’Holocauste, le moyen de diffuser la vérité auprès d’un large public.