L'histoire :
Une recette de Tourte d'enfants sucrée. Un arbre dont les fruits sont des têtes de marmots souriants, qu'un type rondouillard, en costume noir et blanc et cravate, décroche une à une pour placer dans son panier d'osier. Un magicien barbu, en réalité hirsute, qui tient une canne ornée de ruban au bout desquels flottent des gosses qui grimacent sous l'effet de la gravité que la ronde aérienne leur inflige. Des bouffons attablés, afficghant un féroce rictus alors qu'ils semblent festoyer d'intestins. C'est peut-être ce qui arrive quand on est au pays des cœurs brisés... Et tandis qu'un jongleur à quatre bras manie de grands couteaux, de l'autre côté de la rue, le faune doré sautille en cercles. Ce n'est qu'une partie des dangers qui attendent un frère et sa sœur, Pim et Francie...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Si Al Columbia est un touche à tout, puisqu'il s'adonne à la peinture, la gravure et la musique et qu'il a travaillé pour le cinéma, il traine la sulfureuse réputation d'artiste maudit de la BD. Entré par la grande porte dans ce média, puisque choisi par Bill Sienkiewicz pour l'aider à illustrer Big Numbers écrit par Alan Moore, il n'a alors que 18 ans. Le reste appartient à la légende : dès le numéro deux, Bill Sienkiewicz quitte le navire et Alan Moore et son éditeur choisissent de confier la série à Al Columbia. Deux ans passent sans qu'aucun numéro ne soit publié et le jeune prodige claque aussi la porte, laissant tout le monde sur le carreau et pour cause : il a détruit tout le matériel. Le fruit de son travail ? Réduit en cendres ! Pim et Francie sont deux personnages qu'il créa quelques années plus tard, après la parution de sa première BD, mais dont il n'acheva jamais les aventures. Abandonnant un graphisme très réaliste, il élabore alors une charte graphique cartoony mais dont le style caricatural glace le sang : corps difformes, sourires en permanence tordus, façon rictus inquiétants, il réussit l'exploit (dans un registre différent mais un peu comme Charles Burns) de mêler élégance et scabreux. La beauté des laids, se voit sans délai, disait Serge Gainsbourg. S'il avait pu voir le travail d'Al Columbia, nul doute qu'il lui aurait adressé ses propres mots. Alors ce livre carré est conçu comme un voyage symbolique. Il réunit les crayonnés et esquisses d'environ 70 aventures (toutes recensées au sommaire), qui vont de la simple page, voire du strip, à un format court. Et il échappe aux qualificatifs. Ici, l'horreur se dérobe face au mystère et l'ensemble indicible vous strangule doucement, avec un noir et blanc qui évoque les ténèbres et la lumière. En même temps qu'il vous subjugue, il vous asphyxie. Le chaos y est équilibre et cohérence. C'est un véritable périple dans une contrée cauchemardesque et merveilleuse à la fois qui vous est proposé. Et nul n'en sortira indemne. Tout simplement un chef d’œuvre...