L'histoire :
L'occasion se présente : un coup de téléphone allait changer la vie de Selma, une jeune femme. Au bout du fil, oncle Dino d'Amérique, qu'elle croyait mort. Il lui propose de le rejoindre quelque temps. Pleine d'espoir, Selma acceptait. Elle quittait donc ses Balkans pour rallier le Nouveau Monde. mais une fois cette Terre Promise foulé, la réalité allait se révéler bien moins réjouissante que ses rêves... En attendant Chip : Zorka cherche l'amour. Cela fait une semaine qu'elle a couché avec Chip, une relation inoubliable. Depuis, elle tente de le joindre au club où elle croit qu'il travaille, "l'Exotica Fantasy Club". Au bout du fil, la standardiste, Fay, sobre à l'alcool et à la drogue depuis deux semaines. Elle apprend à Zorka que Chip n'est pas danseur dans ce club mais bien client de longue durée. Fay va alors chercher Chip et le surprend en train d'avoir une relation sexuelle avec une vieille dame, lui-même étant déguisé en Indien...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les histoires de Nina Bunjevac sont à l'image de la couverture : noires mais élégantes, désespérées mais belles. Chez cette auteure, pas de fioritures graphiques ou narratives. Le ton est souvent acerbe, les dialogues vifs sondent obsessions et misères de personnages au bord du gouffre, coupables de naïveté, où l'exploration du quotidien américain fait écho au désenchantement ambiant, l'humour noir grinçant cachant bien évidemment un pessimisme latent. Oui mais voilà, l'auteure manie l'art du storytelling comme rarement. Et loin d'être démoralisant, ces contes sont l'occasion de plonger dans la réalité la plus dure (violence, prostitution, coups du sort sordides) en la neutralisant par un regard original et poétique, parfois d'une douce mélancolie. Le monde semble à l'agonie, tout comme ses personnages grotesques, courageux ou vieux avant l'heure, et Nina Bunjevac, dans une veine presque féministe, tend un miroir d'une noirceur stupéfiante, sans complaisance. Le graphisme est quant à lui d'une rare puissance : à l'encre bien noire, d'un expressionnisme saisissant et d'une rigueur chirurgicale, d'autant plus efficace qu'il échappe à toute tentative esthétisante. Son dessin sublime des histoires simples et leur confère une épaisseur juste et émouvante. S'il exhale tristesse et amertume, Heartless dégage aussi pour ses figurants en souffrance ou ouverts au salut, une empathie sans fin. Page après page, le style Bunjevac séduit, donne envie de s'attarder sur chaque détail évocateur, sur chaque visage en proie à la beauté ou à la disgrâce. Après le didactique et intéressant El Djazaïr, Heartless dessine lui aussi les contours d'un catalogue enthousiasmant et ambitieux. Bienvenue à Ici Même Editions.
