L'histoire :
Lavina est assise sur la banc situé en face du Starbs du coin. Elle avale ses médicaments antichocfutur avec un lait de soja tchaï. Quelques minutes plus tard, elle se sent enfin capable de passer ses lunettes de soleil du photoblocage à la vision complète. Le monde apparaît lentement, les structures filaires vertes et noires cédant la place aux couleurs tridimensionnelles. Elle jette un regard vide sur la gare ainsi que le panneau publicitaire plein écran pour le nouveau bar Speculum, situé dans l'artère principale où les boissons chaudes sont mixées et servies depuis les rectums toniques de jeunes serveuses exotiques. C'est alors qu'une bande de Fuckit Kids frôlent Lavina. Les tatouages vidéos de John Lydon passent en boucle sur leurs bras décharnés, hurlant à l'infini les mots «Fuck It». Quelques types s'arrêtent devant elle. Ils ont moins de 25 ans et ne sont pas habitués à voir des femmes enceintes. L'un deux semble antichoqué à mort. En se grattant le haut de son bras couvert de croûtes, il déforme le visage tatoué de John Lydon mais seomble complètement baba devant les courbes du corps de Lavina...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Ne comptez pas sur nous pour dresser un portrait de l'«autre fou barbu des comics à l'anglaise», puisqu'Alex Nikolavitch le fait dans la préface d'Apparat. Et pour savoir ce que ces chapitres signifient pour leur créateur, dans quel contexte il est «au tournant du millénaire», Jean-Marc Lainé nous livre les clés de ces récits courts. La cerise sur le gâteau, c'est que Mister Warren Ellis himself nous donne son point de vue sur chaque récit, auquel succède une interview du dessinateur. Si vous vouliez du rédactionnel et le point de vue du scénariste ainsi qu'un focus sur les artistes, Komics Initiative vous a servi, les petits plats dans les grands ! Apparat, c'est donc 300 pages d'intensité, portée par le noir et blanc et la virtuosité de chaque artiste. Et ça commence par la dentelle de Juan Jo' Ryp sur les délires de la science fiction techno-hypnotique d'Angel Stomp Future. Où l'on apprend également que l'écrivain a conçu ces histoires comme des déclinaisons et hommages aux récits qui berçaient son enfance, comme les pulps, les récits post-guerre, avec des aviateurs, les couvertures des romances aussi... Alors on aura du polar noir, avec Frank Ironwine et son couple stéréotypé de flics : un vieux grigou expérimenté et une jeune intello. Carla Speed McNeil envoie un gaufrier avec un jeu d'ombres et lumière que David Lapham n'aurait pas renié. Puis vient l'effrayantSimon Spector, caricature de l'aventurier britannique sournois et fumier, clin d’œil à Doc Savage, The Shadow. Quit City permet à Laurenn Mc Cubbin de reprendre des éléments de son histoire, avec une ambiance qui pourra faire penser à un Alias façon Bendis : psychologique et intimiste. Puis vient l'effrayant récit de la bataille de Crecy, ponctué de dialogues que Garth Ennis ne renierait pas et illustrés façon gravures par Raulo Caceres.S'en suit Aetheric Mechanics, qui réussit le prodige de mixer SF et thriller classique et là aussi, les planches de Gianluca Pagliarini sont sidérantes. Enfin, Frankenstein's womb clôture l'ensemble, sur sa touche fantastique et mélodramatique. Bref, il n'y a pas d'autre lien entre chaque récit que le talent qui les anime. Apparat peut se lire d'une traite ou se savourer comme un long drink. Et le temps permet de se rendre compte que les histoires qu'il contient continuent à vous coller aux neurones. Une superbe anthologie d'un Warren Ellis en roue libre et qui s'amuse des contraintes techniques du média.