L'histoire :
Will Eisner est connu dans le monde entier pour avoir créé Le Spirit, justicier masqué né en 1940 et s’adressant à un public plus adulte que les super-héros en collants apparus jusqu’alors. Mais Eisner va se diversifier et proposer une nouvelle forme de narration aujourd’hui connu sous le terme de roman graphique avec la parution en 78 d’Un pacte avec Dieu. Dans ce récit adulte, Eisner va livrer un portrait de New York inédit, sans concession, dans une histoire intime. Son influence est telle qu’un prix, équivalant à notre fauve d’or, récompense annuellement la meilleure bande dessinée américaine, prix qu’il a lui-même remporté à trois reprises. Au début des années 80, Eisner se lance dans une série d’entretiens avec d’autres artistes, publiés dans un magazine et aujourd’hui édité sous le titre Shop Talk.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Shop talk pourrait se traduire par Parlons boutique et c’est exactement ce que Eisner a fait avec cet ouvrage : discuter avec des artisans de la bande dessinée en essayant de comprendre, avec du recul, comment cette poignée d’artistes a façonné une industrie aujourd’hui lucrative et incontournable du soft power américain. C’est ce qui frappe à la lecture, que ce soit avec Jack Kirby, Joe Simon à qui l’on doit des super héros comme Captain America, c’est à quel point aucun d’eux ne pouvait imaginer l’importance futur de leurs créations. Et pour cause, la bande dessinée est encore un art jeune, elle apparait dans une Amérique d’entre-deux guerres, marquée par la dépression. Après le succès de Superman, tous les éditeurs vont commencer à demander « des personnages costumés » à leurs dessinateurs. Car tous ces artisans du dessin ne sont en fait que des employés travaillant sur commandes, souvent issus de l’illustration publicitaire et autres ouvrages littéraires. Le comics, destiné à un jeune public, est par conséquent peu pris au sérieux dans l’art. C’était encore un laboratoire où l’on tentait des expériences. Neal Adams relate sa tentative de parler des ravages de la drogue dans un épisode aujourd’hui culte de Green Arrow. C’est l’importance de la polémique qu’a suscité la parution de ce numéro qui lui a fait réaliser l’influence de ce nouveau média. On découvre aussi que Stan Lee, aujourd’hui considéré comme le père du comics actuel, était moins un scénariste talentueux qu’un entrepreneur de génie sachant s’entourer des bons collaborateurs comme Jack Kirby, véritable créateur des 4 Fantastiques et autres Hulk. Bien que passionnant, Shop Talk reste une lecture à réserver aux connaisseurs car la plupart des auteurs interrogés et personnes citées restent inconnus en France mais est un témoignage précieux sur la naissance d’un art qui n’a jamais été aussi puissant.
