L'histoire :
Benedikt Bergström est un auteur de bande dessinée venant de publier son nouveau roman graphique, Lonely Club, qu’il considère comme son chef-d’œuvre. Il attend néanmoins avec impatience sa première critique, tardant à venir. Il guette pour cela les écrits de Mathias Ortiz, le journaliste spécialisé en vue, qui n’en a, comme beaucoup, que pour Boel Flood, la jeune autrice à la mode, publiée chez le même éditeur. Ne pouvant tenir, Benedikt, pourtant père de famille d’un jeune adolescent, use de moyens improbables pour forcer le destin, jusqu’à commettre des actes répréhensibles, et se mettre en danger. Ne serait-ce pas lui que l’on a vu escalader les murs d’un immeuble, déguisé en personnage de mort ?
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
La couverture de ce troisième roman graphique en français de Pelle Forshed, auteur quinquagénaire suédois déjà publié par les éditions de l'Agrume en 2015 et 2020, pourrait paraître un peu kitsch et vous détourner de sa lecture. A moins que l'effet inverse ne se produise. Car il n'est pas évident de premier abord de reconnaître dans le manteau noir ressemblant à une burka du petit personnage perché sur un toit, le déguisement de la mort, telle qu'elle apparait dans le Septième sceau, célèbre film d'Ingmar Bergman de 1957. D'autant plus avec ce titre au logo déifique, descendant du ciel, rentrant en contradiction avec la bichromie sobre bleue pâle intérieure (même si quelques apparitions hergéennes en quadrichromie surgissent par moments aussi). Le dessin de Pelle Forshed, simple, rappelant un peu celui de Tom Gault – sauf lorsqu’il s’émancipe dans de beaux décors – et son humour pince-sans-rire très accessible, feraient un peu penser à certaines bonnes BD canadienne, du type Paul, de Michel Rabagliati. On est en tout cas charmé par ce personnage d'auteur malheureux, attendant avec angoisse sa première critique, tentant tant bien que mal de garder un semblant de vie sociale auprès de son petit nid familial. Pour combien de temps ? Il arpente les rues de Stockholm, d'ateliers créatifs municipaux véreux en dédicaces ratées, tel un fantôme. Tout dans cette tranche de vie sonne juste, et le miroir, tendu par le vrai auteur, montrant l'autre souffrance vécue par le critique maudit, résonne avec justesse. Le milieu littéraire est dur, et rarement en bande dessinée une vision du rôle du critique n’avait été aussi bien mise en lumière. Tendre, cruel et attachant à la fois, avec beaucoup de malice et de passages franchement hilarants, ce petit théâtre d’ombres stockholmois ne vous tuera pas, bien au contraire. Rafraîchissant.