L'histoire :
Née en Alabama en 1891, Zora n'est encore qu'une enfant quand son père décide de s'installer à Eatonville, en Floride. Cette ville, parmi bien d'autres dans cet État, n’accueille que des Noirs. En effet, choisir de fonder une ville monoraciale les met à l'abri des injustices et maltraitances des blancs. Eatonville est tellement paisible qu'elle n'a pas besoin de services de Police ! Après tout, si la personne qui prétend vouloir y résider ne comprend pas l'intérêt de bénéficier de la quiétude et d'y participer, elle sera refoulée par la communauté et ira voir ailleurs si on la traite bien... Ce matin-là, un couple de blanc arrive en calèche aux abords de la ferme des Hurston. La petite Zora est une enfant éveillée et bien éduquée, alors elle les salue d'un geste de la main. Ils entament une conversation, la gosse leur demandant où il comptent se rendre et les adultes blancs l'invitant à faire un tour avec eux à la mer. C'est alors qu'arrive le père de Zora, qui l'arrache à la calèche. La petite ne comprend pas, alors il la sermonne, après lui avoir mis une belle claque sur les fesses : d'abord elle n'a pas à parler à des inconnus et encore moins à des blancs, qu'elle ne connaît pas les blancs comme lui les connaît, puisqu'elle a grandi ici. Et il conclut avant de retourner aux champs qu'elle ferait mieux d'apprendre à fermer son clapet, sous peine de risquer d'être lynchée. Il a au moins touché du doigt une vérité au sujet de sa fille : fermer son clapet, elle ne le fera jamais ! Au contraire, elle consacrera sa vie à pouvoir exprimer ses opinions...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les comics, ce n'est pas une affaire exclusive de divertissement et avec FIRE !! Peter Bagge rend hommage à une femme remarquable, au caractère trempé : Zora Neale Hurston. Elle fut au cœur du mouvement d'entre-deux-guerres «Renaissance de Harlem», qui redistribua les cartes de la culture et des créations artistiques, en promouvant celles issues d'auteur(e)s africain(e)s-américain(e)s. Et pas besoin de vous faire un dessin, Peter Bagge est là pour ça, pour qu'on se fasse une petite idée de la condition des femmes de couleur aux USA, dans ces années-là. Si la musique, la peinture et la photographie ont eu droit de citer, c'est surtout la littérature qui a permis, d'une part, que la communauté «blanche» y porte un regard différent et d'autre part, qu'elle puisse bénéficier à d'autres classes sociales que l'élite des personnes de couleur. En réalité, elle fut celle qui définit les fondamentaux du concept de «Black Pride» , tel qu'il fut énoncé et ainsi nommé plus tard. On devient ainsi témoin de son parcours, caractérisé par son engagement, son activisme, son courage assorti d'un énorme toupet, ses contradictions et ses défauts aussi, mais surtout sa volonté de faire entendre sa voix, que ce soit à travers ses romans ou ses études anthropologiques de terrain. Avec ce récit, on a le sentiment que rien ne semblait pouvoir véritablement ébranler sa volonté. En adoptant une narration qui correspond à des tranches de vie, le récit semble à priori n'obéir à aucun rythme particulier mais il est grandement enrichi par des notes réunies en fin d'album, qui complètent de façon très détaillée chaque scène. La galerie de personnages, ayant tous existé et tenu un rôle important dans ce mouvement, impressionne par sa diversité. Les graphismes sont très simples, à la limite de la caricature cartoony et les couleurs sont vives et basiques, ce qui confère une forme de légèreté à l'ensemble. Abordable et in fine très pédagogique, ce livre ravira les lecteurs qui cherchent à aller au-delà des idées préconçues, sans avoir à se fader une thèse ! 80 pages de BD et 40 autres de notes suffisent à ce qu'on se sache moins ignorant !