L'histoire :
Téléphone portable collé à l’oreille, un homme d’affaires se rend dans une boîte à stripteases newyorkaise. Comme bien d’autres clients de la salle, il glisse un billet vert dans le string de la danseuse qui se dandine topless. Celle-ci termine son numéro et retourne s’habiller dans sa loge. Elle salue sa collègue, qui se prépare à prendre le relais, puis s’en retourne chez elle. Elle sort par une ruelle de derrière. Elle achète le journal – l’actualité se concentre sur la campagne entre les deux candidats à l’élection présidentielle, Rex et Muir. Puis elle s’engouffre dans une bouche de métro. Mais alors que le quai est quasi vide, un tueur en série l’agresse à l’aide d’un gros tournevis. Le lendemain, les journaux annonceront le meurtre d’une stripteaseuse dans les couloirs du métro. Mais ils parleront aussi de la bavure policière qui a conduit à la mort d’un enfant de 8 ans. Dans la rue, un jeune noir dealer de drogue se fait alpaguer par un policier. Il est obligé de lui remettre une grosse partie de son chiffre d’affaires, pour ne pas être arrêté. Un autre jeune à casquette achète des fleurs pour aller visiter son père à l’hôpital, en soins intensifs en raison d’un cancer. Sur le perron de l’hôpital, un prédicateur interpelle avec virulence les passants, une Bible à la main. Un rasta embrasse une fille. Un clochard fait la manche…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Le système fut originellement publié outre-Atlantique à la fin des années 90 par l’éditeur DC Comics, d’ordinaire rompu au grand spectacle super-héroïque. Ce graphic novel (roman graphique) dénotait alors dans un paysage bédéphile qui exploitait essentiellement de la série « de genre ». Il surprenait surtout par son aspect graphique et son mode de réalisation hallucinant : Peter Kuper a quasi entièrement réalisé cette « fable » urbaine désespérée et muette au pochoir et à la bombe de peinture ! Au jour de cette réédition par Nada, en avril 2023, ce rendu hors du commun et culotté n’a pas trop été ré-exploité. Il se trouve cependant bien en phase avec le propos, déjà plus convenu. Celui-ci décline la ritournelle conspirationniste de base, en une succession de scènes chorales qui se répondent les unes aux autres. En creux : notre société obéit à un système auto-entretenu cupide, corrompu et meurtrier. Les flics sont des ripoux, le fric de la drogue et de la prostitution alimente les puissants, les politiques sont tous véreux et manipulateurs… Bref, le monde est moche, ma bonne dame. Soyons punk, tagguons « no future » sur les murs et tout ira mieux. Le parti-pris de bénédictin de la bombe et du pochoir correspond admirablement à ce point de vue nihiliste, désespéré et excessif. Certes, la saturation des couleurs, les débordements baveux du pistolet à peinture et le challenge du muet ne rendent pas toujours limpide les intentions de l’auteur… Mais on est ici dans le registre de la symbolique, avec une compréhension globale largement suffisante.