L'histoire :
Quelque part, dans un lieu indéterminé, un type sapé avec un goût douteux parle tout seul. Il tient une cigarette dans sa main droite, cerclée d’un poing américain sanguinolent et répète que la clope, c’est comme la violence : ça le rend sale. On le comprend d’autant mieux qu’il s’adresse en réalité à quelqu’un d’autre, gisant à quatre pattes et venant d’être arrosé d’essence, sur qui il jette négligemment sa blonde incandescente…Ailleurs, en ville, dans une épicerie de quartier, un citoyen façon Monsieur Tout le Monde subit les quolibets du commerçant quand il glisse discrètement au milieu de ses achats quelques revues porno. Peu après, dans le bus, une femme de toute beauté lui adresse un message mystérieux : « Slade, déconne pas avec la pourriture». Encore stupéfait par cette apparition, il rentre chez lui et s’adonne à des plaisirs onanistes. Le lendemain, il croise à nouveau la même beauté froide, qui lui dit cette fois-ci « Ils te veulent, Slade ». L’homme n’est pas au bout de ses surprises car il s’aperçoit qu’une autre femme, au physique bizarre mais troublant, l’attend chez lui. Il cède à ses avances et voit son corps changer. Elle lui sourit et lui glisse à l’oreille « Greg Feely est une simple para-personnalité, Agent Slade. C’est lui qui coule de ton nez »…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
« The Filfth » est un produit dangereux, à destination exclusive des adultes et dont l’abus peut conduire aux limites de la schizophrénie. Le quatrième de couverture et les deux premières pages sont une mise en garde explicite, à la manière d’un médicament, qui délivre les cas, pardon, les indications conduisant à sa lecture, la posologie, les risques des effets secondaires et les bénéfices du traitement ! Dès la prise en main, on sait donc que ce pavé se démarque du reste des B.D.. Et du point de vue de l’originalité, c’est une réussite absolue, construite sur une intrigue paranoïaque à souhait : un agent dormant, qui ignorait qu’il avait été désactivé, doit reprendre du service pour une organisation secrète chargée du contrôle social : La Main ! C’est après que cela se complique, le lecteur devenant témoin d’évènements totalement délirants, où des éléments réalistes de l’ordre de la satire sociale alternent avec des visions hallucinées frappant les personnages. Sans compter les mises en abîmes des délires des auteurs et les multiples provocations, souvent volontairement gratuites et graveleuses: singe savant fumeur de pèt’, mecs qui éjaculent une substance noire ou qu’on retrouve noyés dans leur pisse, on en passe et des meilleures…Mais là où réside la force de l’album, c’est que chercher à l’appréhender de façon rationnelle et logique garantit qu’on devienne fou, ou qu’on le rejette, car son contenu échappe bien souvent à l’entendement. Le seul moyen d’en tirer du plaisir est d’accepter sa dimension surréaliste, où la symbolique omniprésente est une invitation à ce que le lecteur construise sa propre interprétation. A des années lumière du grand public, « The Filth » est unique. Un délire grandiose et inoubliable. C’est du Grand Morrisson, servi remarquablement par le dessin de Chris Weston.