L'histoire :
Le Journal d'un défaitiste regroupe quelques uns des premiers comics de Joe Sacco. On y trouve ainsi de courts récits satiriques décrivant par exemple comment un homme s'oppose à la construction d'une centrale nucléaire en imposant une grève de la faim à son chat ou comment un cadre d'entreprise insignifiant finit par côtoyer les sommets de la société... D'autres éléments plus autobiographiques racontent des anecdotes telles que la fois où Sacco a officié en tant que roadie/dessinateur officiel pour un groupe en tournée en Allemagne. D'autres exercices viennent, quant à eux, relater les souvenirs de sa mère - alors une enfant vivant à Malte durant la deuxième guerre mondiale - ou encore livrer la vision de l'auteur des conflits au moyen-orient, préfigurant 'Palestine'.
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Joe Sacco est un auteur majeur du comics indépendant américain. Connu mondialement pour ses deux opus consacrés au conflit israélo-palestinien, Palestine et Gaza 1956, Sacco a débuté comme nombre de ses pairs comme dessinateur dans les pages de diverses revues satiriques et vivant de petits boulots à droite et à gauche. On découvre ici certains de ces jobs en même temps que certains de ses récits satiriques. Il est amusant de voir côte à côte les deux aspects de sa personnalité, d'une part un misanthrope repoussé par l'inhumanité et la bêtise de son propre environnement - sa vision de son job de bibliothécaire est aussi jouissive que consternante - mais aussi quelqu'un de profondément concerné et révolté par le traitement des êtres humains que ce soit dans l'entreprise ou au cœur des conflits. Les deux parties de l'album les plus saisissantes de ce point de vue sont sans conteste Quand les bonnes bombes tombent sur les méchants un bref mais riche condensé d'authentiques citations proférées par des responsables politiques et militaires et ayant pour thème les bombardement (impliquant nécessairement les populations civiles) et Plus de femmes, plus d'enfants, plus vite où Sacco illustre les souvenirs de sa mère quand celle-ci vivait, enfant, dans un village sur l’île de Malte durant la deuxième guerre mondiale. Plus que l'inhumanité des conflits ou des oppresseurs, c'est surtout l'Humanité de leurs victimes qui intéresse Sacco. Bien sûr, on ne peut s'empêcher - un cynisme typiquement gaulois, sans doute - de détecter chez l'auteur un engagement et un ensemble de parti-pris à la limite eux-mêmes de la caricature, celle de l'artiste engagé qui, lui, "sait" et nous livre la vérité. Mais c'est sans compter un profond sens de l'auto-dérision chez l'auteur qui se dépeint lui-même comme tel, il n'y qu'à lire pour cela le récit Je suis un génie de la BD où un Sacco alors âgé de 27 ans s'auto-caricature férocement tout comme le même Sacco se décrit aujourd'hui, dans l'introduction de l'album, comme un grand auteur aussi vénal que parvenu. Malgré son caractère d’œuvre de jeunesse, l'album est magnifiquement illustré et l'approche visuelle varie grandement d'un récit à un autre, le tout allant d'illustrations pleine-pages à des découpages plus classiques où l'auteur expérimente néanmoins différentes formes de cadrages et de déformations des sujets. Cela évoque parfois Peter Bagge voir Dave Cooper. Visuellement magnifique et extrêmement riche en contenu, Le Journal d'un Défaitiste est un album savoureux qui se déguste, tel un chocolat pur cacao, à petites doses tant les variations de formes, de sujets et de narration rendent presque impossible de le lire d'une traite. Un excellent album, de ceux que l'on place fièrement dans sa bibliothèque !