L'histoire :
Jed et Thanny, vagabonds de leur état, dorment paisiblement dans les bois. Ils sont tirés de leur rêverie par l’odeur de la tourte à la viande. Appâtés, ils s’approchent de la maison d’où vient l’odeur et s’emparent pour le moins illégalement de ladite tourte, mise à refroidir sur le bord de la fenêtre comme la galette de la chanson. Leur « zigzag à la géorgienne », technique d’approche brevetée, fonctionne et les deux marauds partent en courant avec le fruit de leur rapine. La cuisinière, furieuse, sort le revolver de son mari au moment où celui-ci arrive. Mais l’arme explose et arrache la main de la jeune femme. Jed et Thanny arrivent à sauter à bord d’un train en marche sous les coups de feu du sergent et de ses hommes, mais laissent tomber la tourte. Ils sont sains et saufs, et continuent leur périple vers la ville de leurs rêves, Whiskyville. Pendant ce temps, la femme du sergent meurt de la gangrène, en lui ayant reproché d’avoir bouché leur revolver le samedi précédent, en tirant dans les trous de rats dans le jardin. Saoul, il avait bouché le canon de l’arme, et sa femme l’avait oublié. Alors que celle-ci s’éteint, le sergent déclare que ce sont les vagabonds qui l’ont tuée. Il part à leur poursuite avec ses deux adjoints. Une cavale à mort débute…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Les vagabonds font partie intégrante de l’imaginaire états-unien. Le hobo, travailleur sans domicile fixe qui se déplace en sautant de train en train, deviendra le Clochard céleste de Jack Kerouac. Ce ne sont certainement pas les mêmes personnes, débrouillards alcoolisés d’un côté, philosophes drogués de l’autre, mais l’esprit est le même : celui de la quête de liberté physique et intellectuelle dans un pays qui s’est construit sur la conquête des grandes étendues sauvages. La quête de l’idéal, ici la ville du Whisky, renvoie aussi à Kerouac et, avant lui, au premier des clochards célestes, Rimbaud. Macon Blair livre un scénario tout en musiques, de celles qui accompagnent le génial O’Brother des frères Coen. Harmonica, guimbarde et banjo, instruments de l’ouest, maniables et joyeux, accompagnent l’équipée de ses deux héros. L’album est long, et malgré le pitch minimaliste, il permet d’aborder de nombreux thèmes de la société américaine, des bidonvilles remplis de voyous aux cœurs tendres, jusqu’à la traite des freaks, la toute-puissance de la violence armée et l’omniprésence de l’alcool. Les récitatifs font volontiers appel aux accents musicaux et la part-belle est laissée aux cases sans texte dessinées avec beaucoup de vie et de joie par Joe Flood. Sa galerie de portraits est jouissive et ses paysages poétiques. Le séquençage est efficace et très dynamique. Peu à peu, l’histoire part complètement en délire et termine sur une ouverture large et merveilleuse, comme un conte des temps moderne. La traduction de Matz étant parfaite, c’est un album à lire au coin du feu… avec un bon whisky ?