L'histoire :
Passer sous le soleil agit telle une introduction, donnant le ton, au moyen de quatre cases noires et blanches, pouvant évoquer un travail de xylographie, où un petit texte « off » rythme chacune d'entre elle, tel un poème, pour aboutir à une chute non-sensique. Retour en douceur se pose ensuite comme le premier récit d'une série de 13, où l'auteur avertit : « Ceci est mon histoire, l'histoire de quelqu'un qui a tout perdu, avant de tout retrouver. Voici comment je me suis souvenu de mon rêve ». Bien que ce second récit profite de quatre planches pour décrire un premier semblant de souvenir lié à la guerre, dans la ville de Mouth City, sur la Snail river, et qu’il comporte déjà une part fantastique, Le Cadran, situé en 2087, alors que « la flotte interplanétaire est dissoute après que l'Union Aragonienne de Systa a triomphé de la terre » apporte un ton résolument science-fictionnel aux récits. Cela n’apporte cependant pas un réconfort au lecteur, transporté dans des ambiances assez proches de celles de la Quatrième dimension, où à chaque instant, un plancher, une idée, une certitude, voire le temps même, peuvent se dérober. L'âge d'or, en cinq parties, développe un vrai faux souvenir d'enfance, détourné et exagéré, où la frustration d'un enfant tient le premier rôle... avant de sombrer dans un délire psychanalytique et schizophrène effrayant. Dès lors, commencent les épisodes incluant Monitor, un jeune homme casqué façon futuriste, discret et secret, qui va servir de fil conducteur à d'autres récits, tous plus étranges les uns que les autres…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Chris Reynolds a débuté au milieu des années quatre-vingt avec un mini comic photocopié, comme beaucoup d'autres auteurs alternatifs de cette époque. Ed Pinsent, dessinateur et journaliste londonien, ayant connu les débuts de l'auteur avec Paul Gravett au long des années 80, explique son parcours et ce qui fait son originalité dans une postface intitulée Ce ne sont pas des bandes dessinées, ce sont des sortilèges. Si Chris Reynolds semble posséder une force intérieure puissante, qui l'amène à penser et débuter ses histoires plus ou moins longues, il prend un malin plaisir à nous faire emprunter très vite un chemin de traverse, ou plutôt à dessiner de lui-même un chemin qui n'existait pas dans le décor une case plus tôt. Cette technique étonnante et déroutante, est ô combien savoureuse, pour peu que l'on veuille bien lâcher suffisamment prise. Certains thèmes semblent familiers, au-delà du souvenir perturbé, comme dans Le Cadran, et cette histoire de retour contrarié, fantomatique même, où la notion de guerre et d'ennemis invisibles (Les chambres extraterrestres) est prégnante. Les chutes laissent cependant un goût doux amer en bouche, telles des mantras psychédéliques inquiétants. Un étrange mélange de genres, comme si l'humour non-sensique et anglais d'un Glen Baxter était rentré en collision avec la froideur d'un film de science-fiction tel Abattoir 5. Graphiquement, les traits à la fois réalistes, secs, mais porteurs d'un esthétisme début XXème, avec leurs cases bien largement encadrées, participent à l'accroche visuelle et au maintien de l'intérêt cognitif. Ce qui aurait pu n'être que quelques dessins sans lendemain dans un fanzine unique photocopié a grossi jusqu’à devenir, au fil de trente années de création, un univers complet. Celui-ci sort de confinement, telle une résurgence d'un passé « âge d'or »... que nous n'avons pourtant pas vécu. Cela méritait bien un recueil, afin d’apprécier avec recul et à sa juste valeur le travail incroyable d’un auteur hors du commun, à découvrir absolument.