L'histoire :
Une odeur de nuit glaciale et de décomposition règne sur Yharnam. Une créature à l'allure humanoïde, arborant un bec immense, fend le vent et la neige. Son long manteau, que l'on devine épais, est orné de longues plumes noires. Elle creuse le sol gelé car personne d'autre qu'elle ne le fera. Elle est désormais entourée des cadavres que le froid a bleuis. On pourrait croire qu'elle est perdue dans ses pensées car elle ne se repère plus dans le temps, qu'elle compare à une tombe insondable. En réalité, elle reste très attentive à son environnement. Des témoins silencieux assistent à ce triste spectacle : quelques congénères perchés sur les branches des arbres alentours. Cette créature étrange se nomme Eileen le Corbeau. Dans cette brume matinale qui caresse des dizaines de corps sans vie, elle fait son office, creusant à la pelle une tranchée dans laquelle les cadavres reposeront dans le cimetière où nul ne viendra probablement se recueillir en leur mémoire. Et une seule question revient en boucle dans son esprit alors qu'elle honore d'un rituel la dépouille d'un chasseur décapité : «Quand sommes-nous ?»...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après un premier volume qui ne nous avait pas du tout plu et une suite nettement plus réussie, la série adaptée du jeu vidéo, publiée aux USA chez Titan Comics, continue son macabre chemin. Avec ce tome 3, c'est une chasse au chasseur à laquelle on a droit mais qui offre en réalité le prétexte au portrait d'un monstre. Un monstre parmi les plus beaux car hanté par son humanité perdue. Dès le départ, on est happé par la narration en voix off et par la beauté inquiétante des graphismes, avec un personnage au design impressionnant, cette Eileen, aux allures voûtées, dont le visage est mangé par un immense bec de corbeau. Les teintes bleues se prêtent à merveille à un hiver glacial campé avec une esthétique de toute beauté, tandis qu'on la suit, traversant des décors magnifiques dans lesquels elle semble perdue. Perdue dans un temps qui lui échappe comme lui échappe sa propre histoire. La narration, remarquablement traduite, introduit le leitmotiv répétitif de son questionnement obsessionnel. Et le procédé trouve un écho dans les dessins avec des cases qui reviennent comme des clés égarées de sa vie d'antan. L'ensemble aurait pu être confus mais à mi-chemin de l'album, c'est le contraire qui se produit, provoquant dans l'esprit du lecteur la magie d'un mystère fascinant. Et l'avant dernier chapitre enfonce le clou car il est muet. Le travail de Potr Kowalski est bluffant : tout repose sur la composition de scènes qui n'ont parfois pas besoin de texte pour exprimer la solitude et le désespoir du personnage. Les décors et ce Corbeau se suffisent à eux-même pour traduire sa présence glaciale dans un monde de désolation. Alors il est difficile de retranscrire l'ambiance si particulière de ce comic book et sa poésie noire. Ce qui est sûr, c'est que la psychologie du personnage occupe toute la place et que c'est précisément ce point qui en fait sa singularité. Loin des récits communs que le genre compte, ce Chant des Corbeaux résonnera aussi longtemps à vos oreilles que ses planches resteront gravées dans vos rétines. Un très bel album.