L'histoire :
En plein discours… ça s’est passé en plein discours du candidat Turley. Sans ce coup de fil anonyme passé d’une cabine accessible à des centaines de personnes, le pire aurait pu arriver. Car il faut le reconnaître : si on se renseigne sur les circonstances de cet événement, ça ne profitera pas à Refford. En effet, la sécurité n’a pas été totalement assurée pour ce meeting. De là à l’accuser de négligence pour gagner les futures élections… Quoiqu’en il soit, l’inspecteur a du pain sur la planche et s’il ne veut pas que tout ça tourne au vinaigre et ait un goût de pain rassis, il va falloir se montrer particulièrement discret et efficace. Il commence comme n’importe quelle enquête : à la morgue. Deux trous bien placés pour chacun des inconnus. La femme s’appelle Laura Cummings et l’homme William Myerson. Quand le légiste amène les vêtements des victimes, c’est presque carnaval ! Des masques de mauvais genre à mi-chemin entre Halloween et une parodie de super héros et des pardessus d’un autre temps. Le masque de Myerson ne laisse aucun doute possible : il est identique à celui que portait le sombre Rorschach…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
C’est l’année de la résurrection pour Watchmen puisque plusieurs auteurs s’attaquent à ce monument du comics à commencer par Geoff Johns dans Doomsday Clock puis maintenant dans ce nouveau one shot. Mais Tom King s’éloigne très largement des super-héros et de l’action de Doomsday Clock pour proposer sa propre version très personnelle, bien dans son style, qui se rapprocherait presque de celle, crépusculaire, de la série TV par Damon Lindelof. Impressionnant d’intelligence et de subtilité, King multiplie les clins d’œil fins à la série mère avec le psychiatre Nowles, le meurtre de Kitty Genovese, le smiley jaune… Mais le scénariste dépasse même Watchmen car, à l’image de l’intrigue qui se passe bien des années après les événements de la série, on assiste à un renouveau étonnant de certains personnages et même à une relecture maline de la célèbre métafiction sur les pirates, sans compter les ravages mentaux désastreux qu’a pu créer « l’invasion extra-terrestre ». A mi-chemin entre pastiche et réinterprétation, Tom King a réalisé l’impossible : faire revivre- et donner même une autre vie- à un chef d’œuvre indéboulonnable. Mais c’est loin d’être la seule qualité de ce projet démentiel. Cette enquête est d’une puissance rare, plongeant le lecteur dans un polar noir dans les tréfonds de l’Amérique et les abysses de l’âme humaine. Tout est d’une puissance littéraire inimaginable que même Alan Moore ne pourrait pas renier. Totalement habité par l’esprit de Jorge Luis Borges, Tom King commence par un événement qui déconstruit l’Amérique, vaste traumatisme qui hante la mémoire de chacun aux USA : l’assassinat d’un président. Tout le reste du volume est un lent cheminement, une gigantesque tentative de reconstruire du sens. L’enquêteur devient l’acteur de l’organisation du propre récit de King et à la manière d’un puzzle, assemble petit à petit les pièces d’une immense enquête qui déchire lentement et implacablement le voile d’une sinistre réalité. C’est donc une narration unique et fragmentaire qui dépasse déjà le très original Heroes of Crisis sur le même thème. De surprise en révélation, cette enquête policière de plus 300 pages, haletante de bout en bout, est un modèle du genre. Le dessin a autant son rôle à jouer dans ce récit prenant et l’on assiste, médusé, à des moyens stylistiques jamais vus auparavant où l’enquête s’entremêle avec le passé dans des scènes visuelles quasi identiques, un dialogue fictif entre les suspects et l’enquêteur, un triple interrogatoire qui se poursuit petit à petit sur trois bandes différentes et sur plusieurs planches... Un miracle opéré par un texte au cordeau et un dessin séquencé qui joue habilement de rappels et de détails graphiques enchâssés. Ajoutez à cela une réflexion sombre et désabusée sur notre monde actuel et sur les vicissitudes de la politique et l’on peut dire sans rougir que Watchmen a enfin trouvé son digne successeur. Lisez attentivement Rorschach et vous nous direz ce que vous voyez…