L'histoire :
Paul est un gosse de 10 ans, malingre et pas bien farouche. Un ancien enfant soldat. Le Soldat Inconnu l’a libéré de ses bourreaux quelques semaines plus tôt et l’a confié à un centre de soutien aux enfants perdus de la guerre. Mais les gamins du centre sont des deux camps et les conflits externes, les haines ancestrales, rejaillissent avec la même virulence à l’intérieur de ses murs. Paul est accusé par un autre gosse d’avoir participé avec les rebelles à une razzia sanglante sur son village. Pris à partie, frappé, il est obligé de fuir, convaincu que son seul espoir désormais est de retrouver sa famille déplacée dans un camp de réfugiés à l’autre bout du pays. Pour réussir à les retrouver, il va demander l’aide du Soldat Inconnu, la seule personne à lui avoir jamais tendue la main...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Après deux tomes d’une plongée inouïe de violence dans les arcanes de la guerre civile en Ouganda, les auteurs du Soldat Inconnu semblent vouloir marquer une pause, quitter un instant le chemin tout tracé de souffrance et de mort de leur héros, pour souffler un instant et évoquer plus avant les gens impliqués dans ce conflit. Joshua Dysart le fait au travers de Paul, un de ces enfants-soldats que le Soldat Inconnu a précédemment tiré de son enfer et conduit dans un centre de soutien aux orphelins de la guerre, espérant qu’on l’aiderait à se reconstruire une vie. Une vraie vie. Mais les traumatismes sont trop profonds et Paul s’enfuit, à la recherche du Soldat dont il réclame l’aide pour retrouver les siens. Sur la route, c’est l’occasion d’évoquer bien des problématiques qui n’étaient qu’effleurées jusque là : la façon dont les enfants soldats sont arrachés à leur famille, comment ils sont traités, conditionnés, anéantis et transformés en machines à tuer. C’est aussi le moment, une fois la famille de Paul retrouvée (enfin, quelques lointains parents survivants), de parler des camps de réfugiés, des conditions de vie de milliers de personnes déplacées dans des lieux abandonnés aux mains de soldats gouvernementaux corrompus, qui les méprisent. Tout cela est fait avec beaucoup de détails et d’énergie, une volonté de dénoncer sans être manichéens, mais avec une démarche didactique un rien trop présente, qui donne plus l’impression de lire un bon reportage que des infos habilement glissées dans une fiction. Le propos n’en reste pas moins fort, d’autant que Dysart a recherché pour l’occasion le soutien d’un dessinateur africain ayant eu lui-même a subir la violence de ces enfants embrigadés. Il l’a trouvé en la personne de Pat Masioni, dessinateur d’origine congolaise, réfugié en France, impliqué politiquement dans son pays et qui en a payé chèrement le prix, devant s’enfuir pour survivre. Quand Dysart reprend le collier de la fiction avec le dessinateur Alberto Ponticelli, il poursuit sur sa lancée plus calme et humaniste. Même le dessin se fait plus doux, moins âpre que dans les tomes précédents. Le Soldat cherche désormais la rédemption, à en finir avec cette voix qui le guide vers toujours plus de rage et de morts. On croit qu’il y réussit, reprenant une vie plus normale, retrouvant son rôle de médecin au sein d’une communauté qui manque cruellement de soins, essayant d’apaiser les esprits, enquêtant même sur la mort d’un homologue médecin dans des conditions mystérieuses pour éviter que les tensions du camp aillent crescendo. Mais même cette accalmie n’est qu’une façon de glisser le conflit interne du soldat Inconnu sous le tapis, pour mieux le ramener à la surface dans la dernière ligne droite (l’idée scénaristique est belle, forte mais réalisée de façon un peu maladroite et un rien confuse pour être totalement enthousiasmante). Tout cela, pour finir sur une dernière page qui laisse pantelant d’envie de plonger dans le dernier tome de cette quadrilogie. Un tome de transition, donc, important pour ce qu’il dit de la guerre, des gens qui en souffrent, mais qui perd en qualité scénaristique ce qu’il gagne en profondeur journalistique. A lire, malgré ces quelques défauts, pour la puissance et la justesse de son propos trop rarement traité dans les médias.