Adrien Floch et Claude Guth sont des vieux amis qui travaillent ensemble sur plusieurs projets. Adrien dessine et Claude colorise les textes d’Arleston (s’il vous plaît !) depuis de nombreuses années. Après avoir représenté les univers hauts en couleurs de Les naufragés d’Ythaq, ils s’attaquent à une nouvelle série avec Sangre. Artistes talentueux, discrets, modestes et disponibles, ils nous livrent avec beaucoup de gentillesse des clefs pour comprendre comment briller et illuminer les productions de chez Soleil.
interview Bande dessinée
Adrien Floch et Claude Guth
Bonjour Adrien. Bonjour Claude. Pouvez-vous vous présenter ?
Claude Guth : Je vis en Alsace dans une petite ville de 10 000 habitants. Je suis coloriste depuis une vingtaine d’années. J’ai commencé ce job localement en Alsace où l’on travaillait sur une série historique sur ma région. Puis j’ai rencontré Luc Brunschwig qui travaillait avec plusieurs dessinateurs à l’époque où Delcourt commençait son aventure éditoriale. C’est là où j’ai fait mes premières armes de coloriste avec la série Vauriens, puis L’esprit de Warren et enfin Le pouvoir des innocents. J’ai continué petit à petit sur des projets de plus en plus intéressants, jusqu’à Lanfeust, Trolls de Troy, Les naufragés d’Ythaq et une petite parenthèse avec Pitchi Poï ; une aventure animalière que j’ai réalisée avec Laurent Cagniat. C’est un travail à quatre mains où j’ai participé à l’écriture, un peu au dessin (au niveau du design) et où j’ai fait des couleurs directes. Pitchi Poï est une série de trois albums jeunesse sur laquelle j’ai pris beaucoup de plaisir.
Adrien Floch : Je suis dessinateur, je vis en Belgique et j’ai commencé à travailler sur Fatal Jack avec Jean-Blaise Djian. C’est ce qui m’a mis le pied à l’étrier chez les éditions Soleil. J’ai ensuite travaillé sur Slhoka puis sur Les naufragés d’Ythaq et aujourd’hui Sangre, la nouvelle série que je dessine en parallèle à Ythaq.
Comment rentre-t-on dans la maison Soleil avec un scénariste comme Arleston ?
CG : Pour ma part, c’est un hasard de circonstances assez extraordinaire. Je travaillais chez Delcourt et à un moment, on m’a proposé de reprendre les couleurs d’Aquablue, qui était à l’époque la série phare de l’écurie Delcourt. Le lendemain, Mourad Boudjellal, le patron de Soleil, me propose de faire les couleurs de Lanfeust de Troy ! Gros dilemme : deux séries en pleine ascension qui étaient à peu près équivalentes au niveau des ventes (dans les 30 000 exemplaires environ) ! J’ai fait le choix de Soleil pour une raison très simple : je voulais juste changer de maison d’édition… le bon sens paysan qui est de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur Lanfeust et Trolls.
Comment s’est passée votre rencontre ?
CG : On s’est côtoyé dans les salons et on avait des amis communs dont Didier Tarquin. C’est d’ailleurs Didier qui m’avait repéré du temps où je travaillais chez Delcourt dans la série Vauriens et qui avait parlé de moi à Mourad Boudjellal.
Ensuite, tu as eu un souci sur Ythaq…
AF : Oui et non. C'est à dire qu'a un moment de la série, le rythme de parution s'étant accéléré, cela posait des problèmes de calendrier aux Crazytoons, l'équipe de coloristes qui ont magnifiquement colorisé les 5 premiers tome des Naufragés d'Ythaq et ils travaillaient également sur d'autres séries. Ce qui fait que nous avons décidé de continuer l'aventure avec Claude qui s'est parfaitement intégré à l'univers graphique déjà existant des Naufragés d'Ythaq. Tout s'est donc très bien passé.
Depuis, vous n’arrêtez plus de travailler ensemble…
CG : Il n’y a aucune raison qu’on arrête. Et franchement, j’aime bien travailler avec des copains. On fait un boulot où il doit y avoir une belle osmose entre nous.
AF :Oui c'est tout à fait ça. L'alchimie fonctionne très bien, autant sur les Naufragés d'Ythaq que sur Sangre.
Comment travaillez-vous avec Christophe Arleston ?
AF : Nous avions pris l'habitude avec Christophe, depuis le tome 1 des Naufragés d'Ythaq de travailler par paliers, c'est à dire qu'il m'envoyait le scénario par séquence et attendait que je lui renvoie à mon tour les planches correspondantes, avant d'écrire la suite. Il y avait un côté ludique à fonctionner de cette façon, car ça lui permettait de pouvoir rebondir sur un élément ou un détail dans un décor que je dessinais. Et à moi, de découvrir au fur et à mesure les différentes scènes de l'album sur lequel j'avançais... Aujourd'hui, nous fonctionnons un peu différemment. Christophe écrit et nous envoie plusieurs séquences à la fois, car depuis l'arrivée de Fred Blanchard, on a maintenant besoin d'avoir une plus grande vue d'ensemble sur l'histoire afin qu'il ait le temps de réaliser les designs correspondant aux différentes scènes. Il y a, du coup, plus de préparation en amont, mais l'exercice est très intéressant.
CG : C’est pareil pour moi. Dans le scénario, il y a plusieurs indications narratives. Le travail de coloriste est aussi de la narration et on a tous les éléments pour travailler. Tant que l’on va dans le sens de l’histoire, il n’y a pas de soucis. On ne se parle quasiment pas avec Christophe. On s’appelle juste de temps en temps pour discuter d’un détail ou deux. Il faut cette liberté, effectivement. J’ai bossé un temps avec Olivier Taduc sur Chinaman. Olivier est charmant : c’est vraiment un type adorable, mais il est assez exigeant sur la couleur et il voulait des choses bien précises. Du coup, je faisais le job, mais sans trop de latitude. Du coup, j’ai fait trois albums et j’ai arrêté parce que je n’avais pas l’impression d’apporter quelque chose de personnel.
En travaillant ensemble, est-ce que vous apprenez l’un de l’autre ?
AF : On joue surtout la complémentarité. Un bon exemple : on vient de terminer avec Claude la réalisation de la couverture du tome 14 des Naufragés d'Ythaq. On y voit Granite sur un promontoire avec en arrière-fond des éléments de décors assez minimalistes, finalement. Je n'étais pas franchement convaincu par mon dessin en noir et blanc que je trouvais assez vide mais je savais par contre que Claude allait le combler d'une manière ou d'une autre et il a fait mieux que ça: il a sublimé l'image en y ajoutant une immense planète en arrière-plan et le tout dans une ambiance tranchant complètement vis-à-vis des couvertures précédentes .
→ Passez sur l'image avec votre souris pour voir la version finale.
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CG : Et inversement, je me nourris du dessin d’Adrien ou de Jean-Louis Mourier. Le dessin de Mourier est d’ailleurs d’une élégance de plus en plus complexe et je me nourris de tout ça. Avec Adrien, on s’appelle de temps en temps car parfois, il faut gérer les plans et ce n’est pas toujours évident. On doit parfois se régler un peu mais ce n’est pas grand-chose.
Les naufragés d’Ythaq est–elle la série idéale pour laisser exprimer vos techniques ?
CG : Je m’éclate partout, autant sur les Trolls que sur Ythaq car ce sont deux univers différents. Cela évite de tomber dans la monotonie. J’ai d’ailleurs beaucoup de chance car j’ai pu travailler en collaboration avec une coloriste qui s’appelle Marina Duclos. J’étais tellement occupé à faire les deux séries en parallèle qu’elle a dû faire un travail remarquable sur le dernier tome des Naufragés d’Ythaq. Concrètement, elle a fait les deux tiers du boulot : elle a fait sa mise en couleurs à elle à partir de mes indications ou de mes travaux précédents. Je suis parfois revenu dessus pour harmoniser l’ensemble afin qu’on soit dans les mêmes gammes et que le lecteur ne voit pas une différence entre les albums. Grâce à elle, on a pu boucler l’album en temps et en heure et à mon avis, avec une très bonne qualité.
AF : Nous avons aujourd'hui la chance d'avoir Fred Blanchard qui a bien voulu nous rejoindre sur les deux séries. J'avais auparavant la sensation de ne plus assez me renouveler du point de vue des décors ainsi que des engins or cela fait partie, pour moi, des ingrédients essentiels, surtout dans un univers de Fantasy. Du coup les designs de Fred enrichissent grandement les deux univers. C'est très stimulant !
Savez-où se termine l’aventure des Naufragés d’Ythaq ?
AF : Ythaq est une aventure sur laquelle on prend beaucoup de plaisir à travailler ensemble. On s'est attaché aux personnages, à leurs histoires et à leurs interactions. Je trouve qu'il y a même un côté récréatif. Du coup j'imagine qu'on décidera d'une fin lorsqu'on ne s'y retrouvera plus…
CG : Pour Sangre, c’est différent car on sait vraiment où l’on va.
L’un de vous peut-il présenter l’histoire de Sangre ?
AF : C'est l'histoire d'une petite fille, Sangre, dont les parents et tous ses amis se font assassiner par une bande d'écumeurs. Huit assassins que Sangre poursuivra un à un, sans relâche, durant huit tomes. On va voir cette petite fille grandir, apprendre la magie et voyager à travers des univers différents correspondant à chacun des écumeurs afin d'assouvir sa vengeance…
CG : C’est intéressant pour le lecteur car c’est une série ; mais pour chaque album, il y a une histoire bien structurée avec une fin. On aura vraiment lu une aventure à l’issue de chaque bouquin où Sangre retrouve un assassin par épisode. Il y aura normalement un tome par an.
CG : Pour moi non, car je retrouvais l’univers graphique d’Adrien.
AF : On partageait cette envie de se lancer dans un récit plus sombre que celui d'Ythaq depuis trois ans avec Christophe. Le thème de la vengeance me plait beaucoup, depuis que sont sorties des références du genre tels que Kill Bill de Tarantino ou L'habitant de l'Infini, le manga écrit et dessiné par Hiroaki Samura. Techniquement, nous travaillons de la même manière que sur les Naufragés d'Ythaq. La noirceur de la série se trouve essentiellement dans les personnages. C'est assez subtil, finalement, mais c'est ce qui leur donne peut-être le plus de profondeur. J'ai dû beaucoup travailler sur leur expressivité.
Avez-vous envie de changer d’univers ou avez-vous des projets à l’avenir ?
AF : En ce qui me concerne, j'ai déjà la chance de faire ce que j'aime. C'est-à-dire autant les Naufragés d'Ythaq que Sangre pour les nombreuses possibilités graphiques et scénaristiques qu'offrent ces deux univers. Mais on en reparlera lorsque j'aurai fait les huit tomes prévu de Sangre et terminé le trente-cinquième tome d'Ythaq !
CG : Moi, je n’ai juste plus trop envie de travailler à la main, maintenant que je suis passé à l’informatique. Cela ne me manque pas, même si je le ferais volontiers si je devais le faire. Pour le reste et mes projets, c’est secret… (rires)
Si vous aviez le pouvoir cosmique (venant d’Ythaq) de rentrer dans la tête d’un auteur, chez qui serait-ce et pour y trouver quoi ?
CG : Je voudrais être Franquin sans aucun doute pour retrouver cette sensation qu’il pouvait avoir en dessinant par exemple les Idées Noires et tout le reste. Il était parfois dépressif, mais quel talent ! Quand tu vois ses originaux, c’est fascinant. Je n'ai malheureusement pas connu Franquin, mais à lire tout les ouvrages qui lui sont consacrés, on devine un type extrêmement sympa. J’ai la chance de travailler avec un de ses héritiers, Jean Louis Mourier, qui en dehors du talent, lui ressemblerait beaucoup, je pense. Je voudrais aussi être à la place de Franquin pour côtoyer ses copains comme Peyo, Morris, Goscinny et tous les grands cette époque. Ce sont des références pour moi, sans être vieux jeu.
AF : Tout à fait d'accord. Je lisais beaucoup les Spirou de Franquin lorsque j'étais enfant et j'adorais les inventions géniales et loufoques que renfermait le manoir de Champignac du Conte Pacôme. Du coup, si je pouvais rentrer dans la tête de Franquin, ce serait pour y découvrir tout ce que nous n'y avons pas encore vu…
Merci à tous les deux !