Pour sa toute première série, le scénariste Alcante a fait très fort ! Pandora Box se termine sur un 8e album, bouclant la série en à peine 1 an et demi. A chaque épisode - dessiné par un artiste différent - un progrès dévoyé de notre civilisation est mis en lumière à travers un épisode de la mythologie grecque et un des 7 péchés capitaux. Le résultat est une oeuvre diablement aboutie, époustouflant de maîtrise ! Les bédiens ont souhaité creuser le sujet...
interview Bande dessinée
Alcante
Bonjour Alcante ! Pour faire connaissance, peux-tu nous résumer ta vie, ton oeuvre, jusque Pandora Box ?
Alcante : Hé bien, je suis Belge, Bruxellois, j’ai 35 ans, je suis marié et père de deux enfants. Je suis économiste de formation et scénariste « auto-didacte ». Ecrire des histoires a toujours été une passion (quand j’avais 6 ans, j’ai persuadé ma mère d’écrire une lettre pour Degieter – l’auteur de Papyrus - pour lui suggérer une histoire de Papyrus avec des chats-vampires (!)). En 1995 j’ai remporté un concours de scénario organisé par Spirou, mais à part ça c’est quelque chose que j’ai toujours fait plutôt en dilettante, jusqu’il y a environ 6 ans. A ce moment là, je me suis dit que si je n’essayais pas sérieusement de réaliser quelque chose dans ce domaine, ça risquait de me « hanter » le reste de mes jours ; je me suis donc mis au boulot plus sérieusement et j’ai monté un premier dossier. Cela a abouti à quelques histoires courtes publiées dans Spirou, ce qui m’a permis de rencontrer l’équipe de Dupuis. Je leur ai alors proposé mon concept pour Pandora Box, qui est ma toute première série. Vous connaissez la suite... En dehors de la BD, j’ai également réalisé des scénarios de jeux de rôles et de « murder-parties ». Enfin, « Alcante » est un pseudonyme tiré du prénom de mes deux enfants : ALexandre et QUENTin.
Chaque épisode de Pandora Box entremêle à la perfection une légende de la mythologie grecque avec une « déviance technologique » moderne, le tout en illustrant un des 7 péchés capitaux et en livrant un thriller haletant. Comment as-tu procédé pour une telle écriture ?
Alcante : La première étape consistait à bien me documenter sur le sujet traité (les armes bactériologiques par exemple), en lisant des articles, textes, livres, etc mais aussi en essayant de rencontrer des gens travaillant dans ces domaines, ce qui est toujours plus « vivant ». Pendant cette première étape, je notais toutes les idées qui me venaient sur une feuille à part. Ensuite, je relisais attentivement le mythe dont j’allais m’inspirer et notais également tous les parallèles possibles. Et pour finir, je développais l’histoire d’une manière relativement traditionnelle (présentation du contexte, des personnages, retournement de situation etc…) en essayant d’utiliser au mieux ce que j’avais noté. Le but était avant tout que le lecteur puisse prendre du plaisir à la lecture de l’album, même sans rien connaître des mythes, j’ai donc veillé à ce que les histoires soient le plus passionnantes possibles en leur donnant la forme de thrillers. Mais il y a un petit plus caché derrière cette couche conventionnelle : ce sont les allusions aux mythes, en arrière-plan, comme par exemple le parallèle entre le reflet de Narcisse et le clone du Président. Il y a également des allusions sur le plan graphique : dans plusieurs albums, on retrouve notamment des tableaux inspirés de ces mythes (par exemple, à la 3ème case de la page 22 de L’envie, on retrouve l’aigle qui dévore le foie de Prométhée).
Pourquoi la mythologie grecque ; pourquoi les 7 péchés capitaux ; pourquoi le progrès dévoyé ?
Alcante : La mythologie grecque parce que j’ai toujours été un grand fan de Mythologie. Quand j’étais petit, j’ai dévoré tous les livres « Contes et Légendes de… » (de France, de Grèce, d’Egypte,…). Mes préférés, c’étaient ceux sur les mythes grecs. Certains enfants ont pour héros Spiderman, d’autres Zorro... Moi c’était Thésée, Persée, Ulysse…
Le progrès (technologique) dévoyé par ce que c’est une bonne source d’inspiration.
Quant aux péchés capitaux, ils symbolisent les maux de la boîte de Pandore et permettaient en même temps de « structurer » la série.
Pourquoi associer les trois ? L’idée de départ remonte à assez longtemps en fait. Quand j’ai envoyé mon premier dossier de scénarios pour des histoires courtes à Thierry Tinlot (rédacteur en chef de Spirou), il m’avait recontacté pour me dire qu’il aimait bien ce que je faisais mais qu’il cherchait plutôt des histoires plus réalistes (à l’époque mes histoires étaient plutôt « fantastiques », avec des dragons, des vampires…). Il m’a demandé de garder le même ton mais en étant plus réaliste. Je me suis alors penché vers les technologies qui n’existent pas encore mais qui sont sur le point d’exister, ou en tous cas qui pourraient exister. D’un côté, comme elles n’existent pas encore, ça donne directement un petit aspect « fantastique » ; de l’autre comme elles sont sur le point d’exister, il y a un ancrage réaliste. La première technologie à laquelle j’ai pensé, c’était le clonage humain. J’ai alors fait des tas de recherche sur le sujet et je suis tombé sur une interview d’un psychologue qui disait que le clonage humain était une démarche très narcissique. Je me suis alors dit « tiens et si j’adaptais le mythe de narcisse en faisant une histoire avec un clone humain », et ça a donné l’histoire courte « un homme à son image », qui a été publiée dans Spirou. J’ai ensuite écrit quelques histoires courtes sur le même principe – mêler technologie moderne et mythe ancien – et je trouvais que ça fonctionnait bien, c’est comme ça que j’ai creusé le concept et que ça a donné naissance à Pandora Box.
Les idées des scénarii à mettre en place ruminaient-elles depuis longtemps ou as-tu cherché spécifiquement à organiser tout cela ?
Alcante : Les idées de base figuraient toutes dans le dossier de présentation original, mais en très simplifiées. Le reste est venu au fur et à mesure de l’écriture.
Quel péché as-tu eu le plus de mal à cerner et à mettre en album ?
Alcante : Il y a deux albums qui m’ont pris plus de temps que les autres : la gourmandise parce que j’ai ressenti encore plus que pour les autres le besoin de me documenter très fort car il s’agit d’un sujet très sensible. Et l’envie car j’avais une autre idée en tête à l’origine, mais qui s’est avérée impraticable. J’ai donc dû recommencer à zéro ou presque au bout d’un moment.
Combien de temps, cumulé, t’a demandé la réalisation de Pandora Box ?
Alcante : C’est difficile à dire car j’ai eu d’autres activités en même temps. Les premières idées datent d’août 2000 ou 2001 je pense. Au total je dirais que j’ai passé deux ans temps plein sur ce projet.
Avec le recul d’aujourd’hui, y a-t-il des choses que tu illustrerais autrement ? Si tu avais une gomme magique, à quoi retoucherais-tu ?
Alcante : Je suis quelqu’un d’assez méticuleux et qui a tendance à ne pas être satisfait de son travail. On peut toujours améliorer un scénario, mais il y a un moment où il faut passer à autre chose sous peine de devenir fou ! S’il n’y avait pas eu de délais serrés, je serais peut-être encore occupé à peaufiner les dialogues du tome 1 ! Pour répondre plus précisément, je pense justement que je réécrirais certains dialogues, en les allégeant et en les rendant plus vivants.
Hormis les tomes 1 et 8 réalisés par Didier Pagot, tous les albums ont été dessinés par des artistes différents et la série a pourtant une unité graphique cohérente. Comment arrive t-on à cela ? Comment s’est opéré le « recrutement » de ces dessinateurs ?
Alcante : Nous avons veillé à choisir des dessinateurs dont le style évoluait dans un même registre tout en ayant chacun leur personnalité. Il y a également le fait qu’USAGI a mis en couleur 6 albums sur les 8, ce qui augmente encore cette cohérence graphique. En ce qui concerne le recrutement, comme j’étais vraiment le gars sorti de nulle part – à savoir que Dupuis a accepté mon projet de 8 albums moins d’un an après avoir accepté mes premières histoires courtes – je ne connaissais pas vraiment de dessinateurs, en tous cas pas de dessinateurs réalistes, ce qu’il fallait pour Pandora Box. Le Directeur de Collection m’a donc proposé quelques noms. La grosse majorité des noms cités me convenaient, l’éditeur les a donc contacté et leur a envoyé le dossier de présentation ainsi que le premier scénario qui était à ce moment là entièrement découpé. En général tous ceux à qui on a proposé le projet l’ont apprécié et ceux qui l’ont décliné l’ont plutôt fait pour des raisons de planning. Bref il a été plutôt bien accueilli et l’équipe s’est formée relativement rapidement (mais dans le « désordre » : le premier dessinateur ayant signé étant en effet celui qui a réalisé le 6ème tome et ainsi de suite).
Y a-t-il eu des collaborations plus difficiles que d’autres ? Y-en a-t-il avec qui l’harmonie a été particulièrement forte ?
Alcante : Les collaborations ont été très agréables avec tout le monde. Pratiquement, cela a été moins évident avec Radovanovic car il ne parle ni français ni anglais et nous devions donc passer par l’intermédiaire d’un traducteur. Mais franchement l’équipe de Pandora Box est une chouette équipe !
Comment vis-tu aujourd’hui le succès de la série ? T’attendais-tu à un tel retour public et critique ?
Alcante : C’est évidemment très agréable d’avoir du succès ou des bonnes critiques. Mais il faut aussi relativiser : on est loin des chiffres de vente des best-sellers de la BD ! Nous pensons d’ailleurs que la série a un plus gros potentiel de vente que ce qu’elle n’atteint aujourd’hui.
Y a-t-il un après Pandora Box ? Quels sont tes projets, en cours et à venir ?
Alcante : J’ai deux projets prioritaires qui sont acceptés par Dupuis. Le premier est une série policière-fantastique se déroulant dans les années 20 à Londres. Le personnage principal est un détective privé. L’ambiance sera noire, un peu dans la lignée du film Angel Heart (film de 1988 avec Robert de Niro et Mickey Rourke). Le synopsis du premier tome est déjà bien avancé. Le second projet est un drame intimiste pour Aire Libre, un seul album donc, l’histoire d’un jeune chef d’entreprise de 35 ans, qui se découvre tout d’un coup un fils de 13 ans, très gravement malade qui plus est. Là j’ai déjà une cinquantaine de pages découpées. J’ai d’autres projets en chantier, mais qui mettront plus de temps à se réaliser…
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Alcante : Là je relis les Thorgal avec mes enfants, et je trouve que certains sont vraiment très très très bons. Je citerais Au-delà des ombres et Alinoé… Plus récemment, j’aime beaucoup le concept de Quintett. Egalement deux tous bons mangas : Heads et Say Hello to Black Jack dont les tomes 3 et 4 sont ce que j’ai lu de plus émouvants en BD.
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Alcante : Je suis pas trop mal dans ma petite peau à moi, mais me retrouver dans la peau de JJ Abrams (scénariste des séries télé lost et alias, entre autres) me tenterait bien ! J’avoue : ce gars est mon dieu vivant !
Merci Alcante !