En matière de roman graphique, le souffle venu d’ailleurs est primordial. Les éditions Au Diable Vauvert ont eu l’excellente idée d’éditer dans la langue de Molière une œuvre originale venue d’Asie. Cap sur l’Inde, un pays multimillionnaire d’une diversité et d’une richesse absolue. Amruta Patil, son auteur féminine, nous parle de Kari. Un album étonnant, à fleur de peau, mariant textes et images sur un ton tout particulier. A découvrir !
interview Comics
Amruta Patil
Pour commencer, peux-tu te présenter en peu de mots ?
Amuta Patil : Je suis écrivain, illustratrice et franche ! Voilà tout !
Pourquoi as-tu choisi la bande dessinée pour conter une histoire qui aurait pu être seulement écrite ?
AP : J’ai grandi dans un petit village à Goa où il n’y avait pas même une librairie digne de ce nom – ainsi je n’ai lu mon premier roman graphique qu’à vingt ans. Mais j’écrivais et dessinais depuis toute petite – et raconter des histoires mêlant images et textes me semble tout naturel. Cependant, je ne limite pas mon travail à cela. Certaines histoires demandent des images, d’autres sont heureuses de n’être qu’écrites – mon travail de conteur étant de savoir ce que l’histoire réclame.
Kari est-elle une œuvre autobiographique ?
AP : Comme c’est le cas de la plupart des premiers livres, Kari me ressemble beaucoup – mais l’histoire n’est pas à proprement dit « autobiographique ». Dans mon prochain travail, je m’oriente même vers quelque chose très éloigné de ce que l’on pourrait appeler autobiographique !
La ville – la réalité urbaine – décrite dans Kari paraît terrible ! Pas très vendeur pour qui souhaiterait découvrir l’Inde…
AP : Kari n’est pas une brochure touristique – n’hésitez pas à venir découvrir l’Inde ! Il n’existe pas « une » réalité indienne – urbaine ou rurale. Le pays est une mosaïque d’une diversité extraordinaire ! J’ai vécu dans d’autres régions du monde – mais il existe une humanité et une complexité propre à l’Inde que j’adore et qui me manquent chaque fois que je suis ailleurs. Je ne l’échangerai pour rien au monde. Je ne sais si la ville est véritablement attractive en aucun pays au monde – de vraies ruches, avec les gens empilés les uns sur la tête des autres dans de hauts buildings, tous émotionnellement déconnectés de la nature, consommant dans des centres commerciaux et mangeant de la nourriture industrielle. Quelques villes paraissent plus « saines » (sic.) que d’autres – mais le fond reste le même. Je ne trouve pas que les cités sans âme d’Amériques du Nord ou de Singapour soient moins terrifiantes.
Vu de France, la société indienne reste synonyme de « castes », une société fermée. Mais Kari nous présente au contraire une société très moderne…
AP : Les stéréotypes traditionnels valent encore pour l’Inde des campagnes – mais vous seriez surpris de découvrir l’Inde si vous atterrissiez à Bombay, Bangalore ou Delhi. Les populations les plus traditionnelles et les plus branchées, avec le dernier sac Louis Vuitton sous le bras, coexistent ici. Et on ne trouve pas de charmeurs de serpents ni d’éléphants dans les rues – sauf ceux que l’on destine aux touristes ! Comme partout ailleurs, il y a des pans de la société très ouverts, « mondialisés » – comme il subsiste des gens étroits d’esprit et fermés.
La couverture de Kari est rouge et noir. Elle sent le souffre. Ton but était-il de déranger, de ruer dans les brancards ?
AP : Absolument pas. La couverture est effectivement rouge et noir – mais il n’y avait pas de petit diable sur le col de Kari sur ma couverture originale. Le petit diable fut ajouté par les éditions Au Diable Vauvert en référence à leur logo, et mes sentiments furent plutôt mitigés en le découvrant. A mes yeux, il n’y a rien de diabolique chez Kari ou dans son histoire. Non ?
Comment Kari fut-il reçu en Inde ? Est-ce une fierté que d’être traduite à travers le monde (du moins en France) ?
AP : Le tirage original par HarperCollins n’était pas très large, car les romans graphiques sont un genre nouveau en Inde. Cependant Kari fut très bien reçu en Inde, par la critique comme par le public. Ce fut une bonne surprise pour tout le monde – pour la maison d’édition comme pour moi-même. Je suis heureuse que les lecteurs d’autres pays soient intéressés par mon livre – la mondialisation a du bon.
Pourquoi avoir renoncé à donner une suite à Kari ?
AP : Ce fut une erreur de communication. Jamais il ne fut question de suite à Kari. La dernière ligne de l’album dit « à suivre », mais cela signifie seulement que la vie de Kari continue…
Sur tes dessins, tu utilises le seul crayonné noir et blanc comme la couleur ou encore quelques photographies. Quelles sont tes références ?
AP : Il y a de nombreux clins d’œil dans les pages de Kari – à Frida Kahlo (peintre mexicaine de la première moitié du XXe siècle), Andrew Wyeth (peintre américain contemporain), Gustav Klimt (peintre symboliste autrichien de la fin du XIXe / début XXe), Léonard de Vinci et bien d’autres. Mon style personnel ne fait référence à personne en particulier.
Quelles bandes dessinées pourrais-tu conseiller aux visiteurs de planetebd.com ?
AP : J’ai plus à apprendre d’eux que l’inverse ! L’une des bandes dessinées que j’ai le plus apprécié, en terme de concept, est Signal to noise par Neil Gaiman et Dave McKean (en anglais chez Bloomsbury). 300 de Frank Miller, Adieu maman de Paul Hornschemeier (chez Actes Sud Bd), Fun Home d’Alison Bechdel (en anglais chez Jonathan Cape) et Le chat du rabbin de Joann Sfar sont aussi parmi mes préférées.
Si tu avais le pouvoir de te téléporter dans la tête d’un autre auteur, chez qui élierais-tu domicile ?
AP : Aujourd’hui, je dirais chez Frank Herbert, l’auteur de la série Dune.
Merci à toi ! Bonne continuation et au plaisir !