Ariane Delrieu est une illustratrice, qui a sorti le premier tome d’une nouvelle série de bandes dessinées jeunesse chez Vents d’Ouest : Les Sortilèges de Zora. A l’occasion du festival Quai des Bulles de Saint Malo, nous sommes partis à la rencontre de cette autrice, davantage habituée à l’illustrations de romans premières lectures, pour découvrir comment elle a travaillé sur cet album.
interview Bande dessinée
Ariane Delrieu
Bonjour Ariane Delrieu, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Ariane Delrieu : Alors bonjour, je suis Ariane Delrieu, je suis illustratrice et dessinatrice de BD maintenant, et j'ai sorti au printemps, le premier tome des Sortilèges de Zora avec la scénariste Judith Peignen, aux éditions Vents d'Ouest.
Peux-tu nous parler un peu de ton parcours, de ce qui t'a amené vers l'illustration, vers la bande dessinée ?
Ariane Delrieu : Alors j'ai toujours énormément dessiné, depuis que je suis toute petite, c'est la pratique que je faisais tout le temps. Par contre, je n'ai pas du tout pris de cours ni fait de cursus avant le bac. J'ai fait un bac physique-chimie en sciences, qui n'avait rien à voir. C'est en post bac où là, quand il a fallu que je m'oriente et que j'aimais toujours autant le dessin, j'ai passé un concours à Nice, d'une école préparatoire au concours d'entrée des écoles d'art, à la Villa Thiole. J’y suis restée 1 an et ensuite j'ai passé des concours des Beaux-Arts, j'ai commencé à deviner que j'aimais plus tout ce qui était dessin d'animation, dessin de BD ou d’illustration. Et donc j'ai intégré les beaux-arts de Caen, que j’ai fait pendant 5 ans, dans lesquels je n'ai pas forcément orienté mon travail sur l'illustration, mais en tout cas j'ai découvert plein de supports, de médias, de médium. Et une fois que j'ai eu terminé mes études, j'ai commencé à travailler en tant que graphiste pour faire des petits boulots étudiants, et puis tout doucement en tant qu'illustratrice. Quand j'ai eu fini d'être étudiante, j'étais illustratrice.
Tu travailles beaucoup avec le public jeunesse, pourquoi ce choix, qu'est-ce qui te plaît dans l'illustration jeunesse ?
Ariane Delrieu : Alors c'est vrai que je crois que mon trait, naturellement, quand j'ai dessiné un peu toute seule, quand je tenais un blog au début, c'est d'ailleurs par mon blog que je me suis fait repérée (ça fait vieux maintenant mais c'était les blogs à l'époque) et donc, c'est vrai que j'ai toujours eu un trait très jeunesse. C'est quelque chose qui me parlait. Je lis aussi de la BD adulte et tout ça, mais c'est vrai que moi de mon côté j'étais très petits personnages, petites filles, etc. Donc on m'a très vite proposé des projets là-dedans, et puis je suis restée dans ce domaine, en plus maintenant je suis maman, avec deux petites filles donc je reste dans le jeunesse. Alors je sais pas si un jour j'aurai envie de passer à l'adulte, mais c'est un univers qui me convient.
Est-ce qu’à ce sujet, tu lis de la bande dessinée jeunesse ?
Ariane Delrieu : Eh bien, un petit peu. Je lis beaucoup d’albums jeunesse, parce que j'ai une grosse activité d'illustratrice jeunesse, vraiment dans tout ce qui est romans c'est mon activité principale. Donc j'ai énormément d'albums jeunesse, et en fait je suis mes filles lectrices, notamment ma grande qui commence à lire, donc je commence effectivement à découvrir un peu de BD jeunesse. Mais moi en lecture personnelle, ça va être plutôt des lectures adulte.
Tu disais que tu tenais un blog avant, et que c'est ce qui t’a permis d'être repéré. Pour tes premières parutions, c'est toi qui a démarché les maisons d’édition ou est-ce qu'on est venu vers toi ?
Ariane Delrieu : Alors moi, ce sont souvent les auteurs qui sont venus vers moi. En fait je dessinais vraiment pour le plaisir, j'aime beaucoup créer des personnages, c'est vraiment mon truc de partir d'un thème et de créer des personnages. Et souvent, c'est vrai qu'il y a eu des auteurs qui circulaient sur les blogs, et à qui ça a inspiré des histoires, et qui me proposaient des histoires par rapport à ces personnages-là. Et ensuite on montait des dossiers ensemble, qu'on proposait à des éditeurs, et puis après il y a eu des éditeurs directement qui m’ont contacté pour des projets.
C'est ce qui s'est passé avec la BD Les sortilèges de Zora ?
Ariane Delrieu : Oui en fait ça a été les deux, c'est-à-dire que c’est Judith Peignen et l'éditrice de Vent d'ouest, Valérie Aubin, qui m'ont contacté ensemble car elles avaient déjà ce projet de scénario, et elles recherchaient un illustrateur ou une illustratrice qui irait avec. Et donc elles avaient repéré aussi mes dessins, donc on a attendu le moment opportun où on était chacune dispo, et voilà c'est elles qui sont venues ensemble me proposer ce projet.
Pourquoi ce projet t'a-t-il plu ? Qu'est-ce qui t'a donné envie de te lancer dans cette bande dessinée ?
Ariane Delrieu : Alors tout ce qui est univers de sorcières, depuis que je suis petite, j'ai beaucoup lu autour de cette thématique-là, j'ai beaucoup dessiné autour de cette thématique-là, et en plus j'ai une autre série de romans jeunesse, qui fonctionne très bien, qui est géniale, qui s'appelle Elisabeth princesse à Versailles, mais qui est vraiment dans la thématique historique. Et donc je continue toujours à travailler sur ce projet, mais j'avais envie pour un deuxième gros projet, d'avoir un univers complètement différent. Et donc là à la fois c’était du contemporain, ce qui m'intéressait, plus de la sorcellerie ce que j’adorais, donc voilà l'un dans l'autre c'était parfait.
Ça t'a laissé peut-être plus de libertés pour tes dessins, d’être dans une thématique que tu affectionne particulièrement ?
Ariane Delrieu : Justement c'est vrai que c'était assez naturel de dessiner Zora, parce qu'en plus physiquement elle a vraiment le physique de personnage que moi je crée tout seule avant même d’être éditée, donc c'est vraiment un personnage graphiquement qui m'est très familier. C'est une typologie de personnage que j'ai toujours dessiné, et puis c'est vrai que ce coup-ci, il n’y a pas de contraintes historiques ou des choses comme ça, donc c'est assez facile de dessiner Zora et c'était assez naturel.
On parle de Zora justement, est-ce que tu peux nous pitcher cet album qu’est Les sortilèges de Zora ?
Ariane Delrieu : Donc Zora c'est une petite sorcière de 12 ans, qui en fait a fui son pays d'origine, où sont restés ses parents, parce qu'il y a une chasse aux sorcières. Et donc elle se réfugie avec sa grand-mère Babouchka, sur les toits de Paris où Babouchka a un jardin et une maison magique, qui font très envie à tous les parisiens. Et donc sa grand-mère elle, elle ne veut pas que Zora fasse son apprentissage et devienne une sorcière ni qu'elle reste dans cet univers-là, parce qu'elle pense que c'est trop dangereux et qu'il n'y a plus d'avenir. Donc elle souhaite qu'elle aille dans un collège classique de non-sorciers, ce que Zora ne veut pas du tout. Et donc pour l'obliger, sa grand-mère va la priver de ses pouvoirs, parce qu'à la base elle a quand même des pouvoirs, et va l'envoyer dans un collège de non-sorciers. Donc ça va être la question de Zora, comment on s’intègre quand on a pas les codes, comment on fait, même dans un collège classique c'est déjà compliqué, mais en plus quand on est pas du même monde du tout c'est encore plus compliqué.
C'est une série qui est prévue en combien de tomes ?
Ariane Delrieu : Là, le tome 2 est en cours, on est en train de travailler dessus avec Judith. Il va sortir au printemps normalement. Normalement il y aura un tome 3, et puis après, selon si les lecteurs nous suivent, nous il y a la matière pour continuer plus loin.
Comment as- tu travaillé sur ce projet ? Quelles ont été les différentes étapes de création, de construction de tes planches, qu'est-ce que tu as utilisé comme techniques ?
Ariane Delrieu : Alors pour Zora, on travaille beaucoup ensemble avec la scénariste et l'éditrice. La scénariste me donne son scénario et son découpage, généralement par planches, ce qui se passe, les dialogues, etc. Et donc à partir de là, moi je fais un boulot de mise en images du storyboard. Ce qui est hyper intéressant sur ce projet, c'est qu’on dessine en gros par séquence, par scène et puis moi quand je vois qu’en dessinant j'arrive à gagner une page, ou que j'ai besoin de plus de place, on communique beaucoup avec Judith et avec l'éditrice, pour adapter la suite. Pour qu'on puisse adapter vraiment le dessin au scénario, et le scénario au dessin. Il y a toute cette partie-là qui est vraiment le storyboarding, on dessine entièrement la BD en croquis, vraiment très grossier mais juste pour qu'elle soit lisible avec le texte qu’on valide l’ensemble, pour que ça soit équilibré, qu'on comprenne bien l'histoire. On veut vraiment que cette partie-là soit finie, avant de passer à une autre étape, quitte à la modifier plusieurs fois, à rajouter des planches, à modifier des séquences, si à la fin on se rend compte qu'on a pas bien explicité une scène, on n’hésite pas à y revenir, à la retravailler jusqu'à arriver vraiment au mieux possible. Et après c'est vraiment la partie de l'encrage, donc la mise au propre de ces planches, et la mise en couleur dont je m'occupe également, toujours avec des allers-retours scénariste-éditeur pour avoir les validations. Donc le plus gros du travail, vraiment là où on communique le plus, où on est le plus dans la modification, c'est tout ce qui est découpage et storyboard. Et niveau technique, moi je travaille sur cet album-là entièrement en numérique, c’est du dessin numérique sur tablette. Donc j'ai un outil qui se rapproche quand même du crayon parce que c'était ma technique de base, donc j'ai réussi à retrouver des équivalents en numérique, mais je travaille sur ordinateur.
Tu t'adresses à un public jeunesse, est-ce que dans cette étape de création tu as des premiers retours de ce public-là, ou est-ce que tu les découvres complètement lorsque l'album sort en librairie ? Peut-être que tes enfants te font aussi des retours ?
Ariane Delrieu : Oui tout à fait, en fait c'est vrai que sur ce projet-là, ma fille en plus elle arrive vraiment à l'âge du lectorat, et donc je voyais déjà l'attachement qu'elle avait au personnage, qui marchait bien, donc c'était chouette. Et c'est vrai que comme c'est une jeune lectrice, l'an dernier elle n’était pas encore lectrice, elle ne lisait pas, ça me permettait vraiment d'essayer de lui faire lire les bandes dessinées sans texte, et de voir si mon découpage était lisible, était compréhensible même sans texte. Et donc, quand des fois je voyais qu'elle tiquait, qu'elle ne comprenait pas une expression, ou qu’elle ne comprenait pas exactement la scène et ce qui se passait, je me disais, bon peut-être que là je vais retravailler. Et c'est vrai que c'est mes premiers retours.
Est-ce que, en dehors de la suite de Zora qui arrivera bientôt, tu travailles sur d'autres projets, peut-être pas forcément liés à de la bande dessinée ?
Ariane Delrieu : Et bien en BD je fais que Zora, parce que déjà ça me prend à peu près un an pour faire chaque tome, donc là je suis effectivement sur le tome 2. Sinon je garde toujours ma casquette d'illustratrice jeunesse, plutôt en matière de romans premières lectures, et donc je poursuis des collections que je travaille depuis plusieurs années, notamment Elisabeth princesse à Versailles chez Albin Michel Jeunesse, où on arrive au top 22 je crois. Et puis une nouvelle série aussi chez eux pour les tous premiers lecteurs qui s'appelle Magique Péri. Et puis voilà. Et il y a aussi Le galop des étoiles, qui sont aussi des romans illustrés, dont je m'occupe, et qui dont il y a plusieurs tomes par an qui sont publiés.
Quelles ont été tes sources d’inspiration pour Zora, notamment en termes d’auteurs, ou de character design ? Qu’est-ce qui t’a inspiré dans la création de ton univers ?
Ariane Delrieu : Pour l’univers de la magie, je réfléchis… Moi après c'était plus des lectures. Je sais que je lisais beaucoup du Roald Dahl quand j'étais petite, Matilda, des choses comme ça. C'est vraiment des références que j'ai toujours gardées. Après je lisais aussi beaucoup de mangas, et tout l'univers de Miyazaki, de Kiki la petite sorcière, ça fait vraiment partie de mon parcours. Ça se retrouve au niveau du trait, je pense que ça sent. C'est vraiment les influences que j'ai. En plus noir, je sais qu'il y a une BD que j'adore, qui s'appelle Courtney Crumrin, c’est un Américain qui fait ça aussi. C’est sur la sorcellerie, beaucoup plus noir, mais pareil ça fait partie de mes influences. Alors je ne sais pas si ça se retrouve forcément dans le trait, mais quand je pense magie et sorcellerie je pense à ces choses-là.
Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d'un autre auteur, chez qui irais-tu voir le monde et pour y trouver quoi ?
Ariane Delrieu : Ah oui, un autre auteur, donc un auteur que j'aime beaucoup. Et bien peut-être, alors… j’ai été très marquée par ma lecture de, là c'est vraiment de la BD adulte, mais je sais qu’un des derniers chocs que j'ai eu, c'était Blast de Manu Larcenet. Donc c'est vrai que par curiosité, pouvoir voir un peu qu'est-ce qui a pu engendrer cette série-là, qui est vraiment la dernière, enfin j’en ai eu d’autres depuis, mais ces dernières années c'est vraiment un univers dans lequel j'ai plongé complètement et qui était extrêmement différent du mien. ça pourrait être celui-ci. Après il y a plein d'autres auteurs qui me plaisent beaucoup, mais c'est vrai que c'est une expérience à lire, et ça m’intéresserait d'en savoir plus là-dessus.
Merci Ariane !