Dans un pays comme le Japon où les mangas sont publiés à destination d’une tranche de population précise (sexe / âge), la série Otomen d’Aya Kanno s’intéresse à ce phénomène des hommes qui aiment les shôjos et tout ce qui est mignon. Avec ce sujet simple mais un peu tabou chez eux, la mangaka a rencontré le succès aussi bien au Japon qu’en France. Elle nous en parle à l’occasion de sa venue chez nous pour le festival Japan Expo 11.
interview Manga
Aya Kanno
Bonjour. Pouvez-vous nous présenter votre parcours : comment êtes vous devenue mangaka ?
Aya Kanno : Bonjour (en français). Je dessinais depuis toute petite. Une fois terminé mes études scolaires, j’ai intégré une école spécialisée dans le manga. Puis j’ai été assistante d’un auteur pendant 1 an et demi, et j’ai fait mes débuts grâce à un concours chez Hakusensha.
Vous étiez assistante d’un auteur connu ?
Aya Kanno : Au Japon, il est relativement célèbre : il s’agit de Masashi Asaki, l’auteur de Psychometrer Eiji (ndlr : publié en France chez Kana).
Comment est née l’idée d’Otomen ?
Aya Kanno : En fait, c’est à travers mon entourage et surtout dans les médias, les stars japonaises, j’adore avoir des informations et j’ai remarqué ce phénomène autour de moi, des hommes efféminés ou qui veulent paraître virils mais qui auraient honte d’une autre facette beaucoup plus féminine.
Otomen
Aya Kanno : Oui, j’aime les choses très variées et changer de style de dessin.
Vous ne variez pas que de style mais changez aussi le public à qui vous vous adressez. Est-ce que vous avez un genre que vous préférez en particulier ?
Aya Kanno : Oui, j’aime aussi varier le public à qui je m’adresse. Je n’ai pas vraiment de domaine de prédilection mais, en tout cas, les 3 œuvres qui sont sorties en France n’ont pas été pour moi quelque chose de pénible à réaliser.
Vos autres séries que nous connaissons en France sont des titres assez courts, contrairement à Otomen. Pensiez-vous que la série rencontrerait un tel succès lorsque vous l’avez commencée ?
Aya Kanno : Oui, je me suis dit dès le début que la série serait probablement plus longue que les autres.
L’empreinte du mal / Corps et âme
Aya Kanno : Oui, il y a quand même une partie inspirée de moi.
Ce même personnage est un homme qui dessine du shôjo manga, et il doit se déguiser en femme lorsqu’il fait une apparition publique. Est-ce mal vu au Japon qu’un homme fasse du manga pour femmes ?
Aya Kanno : Dans le passé, c’était les hommes qui dessinaient les shôjo mangas, mais de nos jours il n’y a plus beaucoup d’hommes qui en dessinent. A ma connaissance, je crois même qu’il n’en existe plus. A mon avis, ce serait mal vu ou d’une manière un peu excentrique, marginale.
A un moment, ce personnage de mangaka dessine dans un autre style que son trait habituel pour faire croire qu’il est quelqu’un d’autre. Vous-même, votre trait varie beaucoup entre Otomen et, par exemple, Corps et âme. Est-ce que c’est quelque chose que vous avez décidé spécifiquement pour vous adapter au style de l’histoire ? Est-ce que cela représente parfois une difficulté ?
Aya Kanno : Oui, effectivement, j’adapte mon trait par rapport à l’œuvre. Je ne trouve pas cela si compliqué, ça ne me demande pas vraiment d’effort.
Comment s’organise votre travail sur un chapitre ?
Aya Kanno : Je travaille pour une publication mensuelle. Par rapport aux délais qui me sont imposés, quand je sens qu’il est temps de m’y mettre, je m’enferme 3 jours chez moi pour la réalisation de l’histoire, le texte. Ensuite, je fais le « name », le brouillon. C’est une base que je peux présenter à mon éditeur, qui va alors me conseiller ou approuver la réalisation du chapitre. Une fois que j’ai l’approbation, je vais dessiner les grandes lignes de ce chapitre et délayer le reste à mon équipe d’assistantes. Cela me prend à peu près 10 jours pour effectuer les dessins, l’encrage et le tramage. Donc 3 jours pour le scénario, 3 jours pour la mise en page, le synopsis détaillé au brouillon, puis environ 10 jours pour la réalisation du reste.
Combien avez-vous d’assistantes et de quoi s’occupent-elles ?
Aya Kanno : En fait j’ai des assistantes qui se relaient tous les deux jours. Il y en a une ou deux par jours qui changent donc constamment. Je leur demande en général de dessiner les décors de fond et de poser les trames là où je leur indique.
Avez-vous déjà une idée de combien de temps durera la série Otomen et de comment elle finira ?
Aya Kanno : Oui, je sais à peu près comment cela finira. Il n’est pas préférable de dire actuellement en combien de tomes cela se terminera mais c’est vrai que cela peut dépendre aussi du succès auprès des lecteurs.
Dans Corps et âme, le récit se déroule à l’ère Keiô. Est-ce une période qui vous intéresse particulièrement ou était-ce juste la période idéale pour faire passer vos idées ?
Aya Kanno : J’aime cette époque et je suis particulièrement attachée à l’histoire d’une manière générale. Depuis que je suis enfant, je me suis toujours intéressée à la période du Shinsen Gumi et j’ai toujours rêvé de pouvoir dessiner des héros de cette période.
Comptez-vous continuer dans une veine shôjo après Otomen ou alors changer encore de style ?
Aya Kanno : J’aimerais bien pouvoir dessiner dans diverses catégories et changer encore de style après Otomen.
Même du shônen ?
Aya Kanno : Si j’ai l’opportunité, pourquoi pas ?!
Ex-libris français offert lors de la dédicace de l’auteur
Aya Kanno : Akira Toriyama, c’est la première personne qui m’a influencée, notamment avec Dragon Ball (ndlr : édité chez Glénat en France).
Est-ce que vous connaissez la BD du reste du monde, européenne ou américaine ? Si oui, qu’en pensez-vous ?
Aya Kanno : Au Japon, c’est difficilement trouvable. J’ai déjà pu lire des comics américains, car ils sont mieux importés au Japon que les BD européennes. Dans les comics, plusieurs auteurs décrivent parfois la même histoire de manière différente, ce qui est totalement impensable au Japon.
Avez-vous le temps de lire des mangas ?
Aya Kanno : Depuis que je suis petite, j’en lis énormément, mais c’est vrai que ces derniers temps j’en lis assez peu. Je regarde un peu ce que font les autres auteurs de shôjo.
Quelles sont vos dernières lectures marquantes ?
Aya Kanno : Je lis Shakespeare en ce moment.
Si vous aviez l’occasion de visiter l’esprit d’un autre auteur, de connaître ses pensées, qui choisiriez-vous ?
Aya Kanno : Peut-être Hideki Arai, qui est un auteur que j’aime beaucoup et qui a notamment fait The world is mine (ndlr : publié chez Casterman en France) et Ki-itchi (ndlr : publié chez Delcourt en France).
Y a-t-il une question qu’on ne vous pose jamais en interview et à laquelle vous aimeriez répondre, ou un sujet sur lequel vous voudriez vous exprimer ?
Aya Kanno : (Rires) hum... c’est compliqué ! (Rires) Je ne sais pas... Par contre, j’aurais parfois des questions à poser aux intervieweurs !
Par exemple ?
Aya Kanno : Je me demande si les français s’intéressent maintenant à tout ce qui est un peu les stéréotypes de la culture japonaise, comme les samouraïs, les ninjas...
Oui, les français s’intéressent de plus en plus à la culture japonaise traditionnelle. Les jeunes qui lisent des mangas s’intéressent souvent à l’histoire du Japon.
Aya Kanno : Pas seulement superficiellement, mais plus en profondeur ?
Oui, de plus en plus aujourd’hui.
Aya Kanno : Merci de votre réponse.
En France, votre public est aussi bien masculin que féminin, même pour une série shôjo comme Otomen. Est-ce que ça vous étonne ?
Aya Kanno : Je trouve ça assez étonnant en effet. Au Japon, les shôjo mangas ne sont vraiment lus que par des filles et sont vraiment ciblés spécifiquement pour ce public. Alors que là en France, je m’étonne de voir que même des hommes me lisent.
Extrait d’Otomen
Aya Kanno : (Rires)
Avez-vous un message à passer à vos lecteurs français ?
Aya Kanno : Je serais très heureuse qu’ils continuent à lire avec plaisir mes œuvres.
Merci !
Merci aux éditions Delcourt
Extrait d’Otomen