interview Bande dessinée

Barbara Canepa

©Soleil édition 2012

Au début des années 2000, deux auteurs italiens explosaient les rétines des jeunes lecteurs avec la série Sky-Doll. Barbara Canepa, une des têtes de l’hydre, a longtemps été perçue comme coloriste et scénariste. C’est très réducteur, car celle-ci a ardemment participé au chara-design et aux dessins. Depuis, Barbara s'est consacrée à la direction des collections Métamorphose et Vénusdea. En partageant son goût pour les univers étranges et poétiques, elle a permis à de jeunes auteurs de trouver leur public (Guillaume Bianco, Jérémie Almanza…). Alors que ses activités se multiplient, elle a su rester très disponible pour ses fans et a répondu à nos questions lors du dernier festival de Saint-Malo.

Réalisée en lien avec l'album Sky Doll T1
Lieu de l'interview : Festival Quai des bulles de St Malo

interview menée
par
21 janvier 2012

Bonjour Barbara Canepa, peux-tu te présenter et nous dire comment tu en es arrivée à faire de la bande dessinée ?
Barbara Canepa : Je m'appelle Barbara Canepa, je suis arrivée dans le monde de la BD totalement par hasard. J'ai fait lune faculté d'architecture mais je ne voulais pas devenir architecte. Comme j'aimais dessiner, j'ai envoyé mon book à Disney… et j'ai été retenue. J'ai travaillé pendant 7 années chez eux. A la base, je suis illustratrice et si on avait besoin de faire la couverture d'un DVD, on me demandait. Le magazine de La petite sirène, c'était moi à l'époque et j'ai dessiné plein d'histoires dedans. J'étais surtout douée dans la création, des choses qui n'existaient pas. Du coup, je m'occupais du character-design et on me donnait des éléments que je devais ensuite imaginer, personnages comme univers. Jusqu'à cet instant, je n'avais jamais fait de bande dessinée. Avec Alessandro Barbucci, nous avons alors créé W.I.T.C.H. , qui est devenu un vrai succès mondial. Apres la parenthèse Disney, une histoire bien complexe et compliquée par les droits d'auteurs de cette série, avec Alessandro Barbucci, nous avons préféré continuer notre chemin comme auteurs en venant en France. Et c'est ainsi que la série de Sky-Doll est née dans le même temp que le dernier projet pour Buena Vista Monster Allergy, sorti ainsi en France avant avec Soleil et maintenant grâce au Lombard. Enfin, vu que je suis plutôt amatrice de beaux livres anciens et jeunesse et comme j'ai été frustrée parce que je ne les trouvais pas facilement, j'ai créé la collection Métamorphose. Ce fut un long processus quand même.

WITCH © Disney. Illustration inedite de Barbucci & Canepa.Sky-Doll n'a pas été un succès immédiat....
BC : Non le premier ne s'était vendu qu'à 5000 exemplaires. A l'époque, ce n'était pas beaucoup ! Puis le second est arrivé et on a poussé à 30 000 albums. Sky-Doll est peut être connu, mais ça na pas été un immense succès. Pas mal de lecteurs voient ce que c'est, mais ne l'ont pas forcément lu. Malheureusement... On n'a jamais fait 100 000 par albums ! On atteint quand même les 300 000 unités en tout.

Un certain Alessandro Barbucci m'a confiée que le quatrième opus était en préparation. Qu'en est-il ?
BC : Oui, officiellement, on a commencé ! Ce ne sera pas un second cycle. Sky-Doll était prévu en 6 tomes mais on ne pensait pas qu'il y aurait autant de temps entre chaque album. Surtout, on en est venu à détester la série après le troisième volet. Alessandro et moi sommes des chara-designers et donc on adore créer des nouvelles choses. Du coup, on ne peut rester longtemps sur un seul projet. L'histoire de Sky-Doll est écrite depuis 1997, c'est déjà fini pour moi. La série est très lourde au niveau technique. L'engagement pour nous est énorme, cela signifie que l'on y travaille tous les jours pendant plus d'une année. Je ne savais pas si j'étais encore prête à faire cela. Le fait d'avoir collaboré avec d'autres artistes dans la collection Métamorphose m'a fait un bien fou. Alessandro a voulu faire des choses plus jeunesse comme Chosp. Et moi, avec le temps, je n'arrive plus à écrire pour la jeunesse . Chapeau à lui, donc. Aujourd'hui, j'ai envie de faire des choses plus sombres ou adultes ou même écrire des romans. Devenir une vrai écrivain. Je ne sais pas si j'y arriverai mais je vais essayer.

Parlons de ta collection Métamorphose. Billy Brouillard fut le premier album....
BC : Non et en fait si ! Normalement, Billy Brouillard n'était pas prévu pour être le premier album mais vu que Guillaume Bianco fut le premier à le terminer... Sortir cet album en premier a été un vrai pari, car Soleil ne savait pas s'il allait marcher ou non. Avec Clotilde Vu, avec qui je dirige la collection, nous avons eu un coup de cœur pour Billy Brouillard et on y croyait beaucoup. Quand tu sors une collection, tu le fais avec un titre vendeur. Après deux mois, la première édition était épuisée. Mourad Boudjellal (le président de Soleil) n'y croyait pas ! Le prix était plus cher mais l'ouvrage a plu, et ça, c'est l'essentiel.

Billy Brouillard @ Bianco/Mc ProductionsLa collection Métamorphose se permet pas mal de choses. Sur Billy Brouillard, tu as proposé un coffret de nouvelles avant un second opus...
BC : Je n'ai pas peur de faire ça. Je dirige deux collections avec Clotilde et chaque fois qu’on discute avec un auteur, j'y vais avec un double statut, vu que je suis auteur moi aussi. Je sais donc qu'on a tous des rêves et que l'éditeur ne comprend pas tout. Du coup, j'essaie de prendre tous les risques pour réussir à les convaincre. Guillaume a mis trois années pour faire le premier album de Billy Brouillard. On ne pensait pas pouvoir attendre deux à trois ans avant le suivent… Du coup, pour ne pas laisser un délai trop long et vu qu'on avait pensé Billy Brouillard comme un univers large, on a imaginé la possibilité d'avoir des livres, des coffrets, des livres jeunesse, etc. Les comptines malfaisantes ne sont donc pas la suite de Billy Brouillard mais une autre partie de cet univers. Le petit garçon qui ne croyait plus au Père Noël est le véritable second album. En 2012, il y aura la suite de la série principale, donc le vrai troisième. On prévoit aussi de nouveaux coffrets de comptines, le prochain est déjà prévu pour avril 2013.

Comment présenterais-tu la collection Métamorphose à de nouveaux lecteurs ?
BC : L'idée est de trouver des histoires où l'on évoque la métamorphose, quand bien même ce serait à un niveau philosophique. Qu'est-ce que la mort, la vie, la transformation ? Ou quelque chose de fantastique avec des fantômes et des monstres. Cela peut être aussi la métamorphose dans la mythologie, chez un personnage dans son visuel ou dans son âme. C'est une sorte d'univers fantastique enfantin, un peu comme lorsque, petit, tu trouves de la poussière chez ta grand mère et que cela t’intrigue. Ce sont des contes un peu dérangeants avec des métaphores dedans. Il y a plein d'auteurs qui ont envie de s'essayer dans ce domaine. Billy Brouillard parle de la mort aux enfants, de façon très chouette, avec du vécu. Il a vraiment le petit chat tout sec et il se rappelle la frustration engendrée par les questions qu'il posait à ses parents. Métamorphose est la réunion de plein de souvenirs.

ECO © Bianco /Almanza/Mc ProductionsQuels sont les prochains projets publiés au sein de la collection Métamorphose ?
BC : Tout de suite, il y a la suite d'Eco de Guillaume Bianco et Jérémie Almanza. La petite fille continue de grandir et ce passage évoque pas mal de choses, surtout pour les femmes où il s'agit d'une étape forte dans la vie. On a aussi Notre Dame de Paris avec Benjamin Lacombe. Il avait fait Contes macabres auparavant et l'on veut conserver notre ligne éditoriale. On retrouve le texte de Victor Hugo illustré par Benjamin. On a fait un très bel objet. Il y a aussi Aurore d'Enrique Fernandez qui avait fait L'île sans sourire et Le magicien d'Oz. Il vient de chez Disney lui aussi. Il voulait faire une fable sur les Inuits et ça s'appellera Aurore. Ensuite, j'ai mon projet personnel sur lequel ça fait 5 années que je travaille. Cela date de l'époque où Alessandro s'est lancé tout seul. J'avais envie de trouver ma voie. Sur Sky-Doll, je ne fais plus que la couleur, je fais du design et j'interviens pas mal sur le visuel tout comme Alessandro intervenait dans les couleurs ! Le fait qu'il soit le dessinateur officiel a fait que beaucoup de monde ne comprenait pas qui était vraiment Canepa. Donc, du coup, je voulais raconter une histoire plus sombre, plus autobiographique, une sorte de Sky-Doll raconté différemment. Pour moi, la mort est toujours présente. J'ai imaginé une petite fille qui, à chaque fois qu'elle touche quelque chose, la fait mourir. Elle découvre qu'elle est la mort elle-même et doit choisir qui et comment tuer. C'est une histoire fantastique, pas mal autobiographique mais je n'ai pas ce pouvoir ! J'ai travaillé sur cet album dès le troisième tome de Sky-Doll mais avec les différentes collections à gérer, je n'ai pas beaucoup avancé. J'ai eu pas mal de travail ! Cela devrait quand même sortir vers la fin avril 2012. Je précise que j'ai travaillé dessus avec une autre dessinatrice, Anna Merli, on a fonctionné comme un véritable ping-pong créatif, un peu comme les Kerascoët.

D'ailleurs, les Kerascoët auraient parfaitement leur place au sein de Métamorphose...
BC : Oui, c'est vrai... Je peux te dire qu'ils ont accepté de faire deux projets au sein de Métamorphose et que je suis super contente. J'ai réussi à les convaincre. On aura deux projets Kerascoët pour 2013 ! Guy Delcourt (NDLR : le PDG de Delcourt a racheté une majorité des parts de Soleil à la mi-2011) a accepté officiellement, donc je peux en parler. J'adore Marie et Sébastien (NDLR : les deux membres de Kerascoët).

Leurs Jolies ténèbres auraient pu sortir chez Métamorphose....
BC : Je connaissais leur projet, je l'adorais et ils savaient que je lançais une collection mais je n'étais pas tout à fait prête à cette époque. On venait de débuter et lorsque je l'ai lu, j'étais dégoutée ! Cela aurait été parfait pour la collection ! On s'est donc dit qu'un jour ou l'autre, on devait tout faire pour collaborer ensemble.

Quelles sont tes influences ?
BC : Ce ne sont pas la BD, le cinéma ou autres. Je dirais simplement la vie, les amis, les voyages. Je pourrais te dire Moebius, Schultz mais ce serait réducteur. Plus j'écris, plus je me rends compte que tout provient de ma propre vie.

As-tu eu des coups de cœur récemment ?
BC : Oui. Il y a Pistouvi chez Dargaud. J'ai adoré aussi Voyage en Satanie et Portugal qui est vraiment très bien. C'est un livre très chouette. Il y a aussi les livres de Frederik Peeters ! Il y a un artiste que j'adore qui s'appelle Dave Cooper. Tout mon argent est dépensé dans ses tableaux ! Je n'ai pas eu la chance de le rencontrer mais j'aimerais bien. Il a tout fait : de la BD, des tableaux, de l'animation... Il est le dernier génie vivant !

Son univers n'est pas forcément très éloigné du tien. Tu n'aurais pas envie de lui proposer une collaboration ?
BC : Tu sais, il y a des auteurs qui sont de telles icônes pour moi que je me bloque. C'est l'une d'elles. Je serais trop gênée.

Si tu avais le pouvoir de visiter le crâne d'un autre auteur (pour en comprendre le génie), qui choisirais-tu ?
BC : J'irais dans la tête de Leonard de Vinci, savoir pourquoi il pensait à tout ça et comment. Il découvrait des choses à une vitesse folle. Il avait une immense curiosité, comme moi. Il avait une façon de regarder et de voir les choses très différemment, cela était unique. C'était ça son génie, observer pour détruire et comprendre puis après créer et reconstruire !

Gracie mille Barbara !

END © Canepa/Merli/Mc Productions