Après des débuts remarqués, le scénariste Charles Soule n'a pas levé le pied puisqu'il écrit toujours autant de séries pour les éditeurs de comics. Ce tour de force est d'autant plus notable qu'il est aussi avocat le jour et musicien à ses heures perdues. C'est donc au milieu d'un planning millimétré que nous avons pu rencontrer Charles Soule au festival d'Angoulême. Après un premier entretien virtuel, Charles Soule nous a une fois encore étonné en s'exprimant dans la langue de Molière. Il est fort, ce Charles !
interview Comics
Charles Soule
La traduction de cette interview a été réalisée par Alain Delaplace.
Tu as progressé très rapidement dans les comics. Comment expliques-tu cela ?
Charles Soule : De la chance ! [rires] Il faut dire que c'est un métier où tout le monde se connait et les relations sont très importantes. Il faut vite se bâtir un réseau et, donc, avant même de travailler pour DC ou Marvel, j'ai passé énormément de temps à voyager de par le pays pour rencontrer des gens et comprendre comment fonctionnait l'industrie des comics, aux USA. Aujourd'hui, je dirais que ça s'est fait très vite mais, en réalité, cette période a duré près de cinq ans, jusqu'au moment où j'ai réussi à publier mon premier gros titre. En fait, ce n'était même pas un si gros titre que ça mais en tous cas ça a été mon premier titre en tant que professionnel. Après, trois ou quatre se sont encore écoulés avant que l'on ne publie Swamp Thing. Donc, non, ça n'a pas été aussi fulgurant que ça !
Pourtant tu es vite arrivé sur des séries importantes : le Civil War de Secret Wars, Daredevil, Lando...
Charles Soule : Poe Dameron, et aussi La mort de Wolverine...
Tiens, en parlant de Lando, as-tu bénéficié d'une totale liberté, sur ce titre ?
Charles Soule : Gnniiiii... Plus ou moins. Quand tu travailles sur un récit Star Wars, l'essentiel est de ne pas contredire ce qui a déjà été dit. Lando se déroulant entre les épisodes IV et V, j'ai proposé une histoire comportant le plus grand nombre possible d'éléments qui laissaient les récits canons intacts. Néanmoins, mes histoires donnent un ressenti différent de ce qu'on a pu retrouver dans L'Empire Contre-Attaque, en particulier en ce qui concerne Lobot mais aussi Lando. Je pense que c'est une histoire un peu triste et peut-être aussi qu'elle confère un peu plus de profondeur au personnage.
Disney/Marvel te font vraisemblablement confiance puisqu'ils t'ont aussi confié le titre Poe Dameron. Peux-tu nous en parler un peu ?
Charles Soule : Lando et Poe Dameron mais aussi Obi-Wan et Anakin ! Trois séries, donc, et dans chacune des « sections » de la filmographie : les préquelles, la trilogie originelle et, maintenant, la nouvelle trilogie.
Ils te font plus travailler que Greg Rucka ! [rires]
Charles Soule : Oui ! C'est un honneur, je pense. Mais aussi une grande responsabilité, en particulier pour Poe Dameron car c'est un nouveau personnage et que son histoire, au cinéma, n'est pas encore écrite : il reste encore deux films à venir ! La majeure partie de son histoire reste à venir dans les épisodes VIII et IX. On ne sait pas grand chose de Poe Dameron. Au début de ma série, on ne connait que trois histoires le concernant : l'épisode VII, le comics de Greg Rucka et ma série, avec Phil Noto. C'est donc difficile mais aussi très enthousiasmant.
Question un peu propre aux auteurs : tu as travaillé sur Swamp Thing, tu as fait un crossover avec Aquaman...
Charles Soule : Oui, oui, un petit crossover avec Jeff Parker.
C'est ça. Avais-tu vu qu'il y avait eu une polémique, récemment, concernant Aquaman et Cullen Bunn où, après avoir écrit une poignée d'histoires, il s'est vu obligé de quitter la série suite à la réaction des lecteurs. Qu'en as-tu pensé ?
Charles Soule : Je pense que ça a été plus compliqué que ça.
T'es-tu jamais retrouvé dans une situation similaire ?
Charles Soule : Non. Pour moi, ça s'est passé de manière très simple, sur l'ensemble de mes séries. J'ai eu beaucoup de chance, avec mes séries. J'ai pu écrire des histoires complètes et partir quand je l'ai souhaité. Il y a plein de raisons pour lesquelles on peut vouloir quitter une série. Parfois, on ne s'y sent tout simplement pas bien. Et Cullen est un très bon ami, on a souvent travaillé ensemble et s'il a eu l'impression qu'il ne pouvait pas raconter l'histoire qu'il voulait ou bien que le moment n'était pas opportun pour ça, alors c'est son choix.
Parlons un peu de Letter 44 : est-ce que tu peux revenir sur la genèse de la série ? Comment en as-tu eu l'idée ?
Charles Soule : C'était autour de 2010, je crois. C'était à l'époque de l'ultime vol de la navette spatiale. J'étais un peu triste, à cette idée. Pour moi, l'aventure spatiale était une inspiration pour l'humanité et pour les Etats-Unis, en particulier. Je me suis alors demandé quelle pourrait être la raison qui nous inciterait à retourner dans l'espace. Et je me suis dit que si on trouvait des extra-terrestres dans la ceinture d'astéroïdes, cela serait une très bonne raison. J'ai voulu écrire une histoire qui soit une source d'inspiration, qui motive les hommes à accomplir de grandes choses et je crois que l'espace est un élément très important de notre futur. J'ai souhaité écrire une histoire qui parle de ce dont on est vraiment capable, même si, au premier abord, on n'a pas l'air de pouvoir y parvenir. Je crois que ça a été comme ça, au départ, avec l'exploration spatiale et les missions Gemini, Appolo et autres mais, hélas, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui.
J'ai lu sur Internet que tu prévoyais 35 numéros et pas un de plus pour la série. C'est toujours le cas ?
Charles Soule : Oui, c'est sûr. Je n'ai pas envie d'étendre inutilement l'histoire. Après ces 35 numéros, ce sera terminé.
En définitive, tu un auteur de science-fiction politique, c'est un genre peu courant !
Charles Soule : Tu sais, je suis aussi avocat...
Et musicien !
Charles Soule : Oui, oui... Je suis quelqu'un de très occupé ! [rires] Donc, je trouve que les gouvernants, les politiciens et les présidents son très intéressants. Et je trouve aussi que les présidents sont des personnages très étranges. Ils sont un peu comme des super-vilains : ils prennent des décisions qui régissent le monde, comme des super-vilains. Pourtant, on les perçoit comme des héros, des personnages importants. En tous cas, je trouve qu'il faut avoir une drôle de psychologie pour vouloir devenir président. J'ai donc voulu voir ce que c'était, que d'être président. Il y a donc deux facettes, à Letter 44, deux aspects auxquels je tiens particulièrement. Le voyage dans l'espace, d'une part, mais aussi les présidents.
Après Letter 44, est-ce que tu prévois de réaliser une série sur un avocat star du rock ?
Charles Soule : [rires] Je pense que ma biographie n'intéresserait qu'une très, très petite niche de lecteurs.
J'ai entendu dire que Letter 44 pourrait faire l'objet d'une adaptation tv, c'est vrai ?
Charles Soule : Oui, c'est vrai. Mais ça se fait très lentement. C'est un processus très compliqué, comme c'est toujours le cas avec Hollywood et la télévision. Beaucoup de gens prennent part au projet et le tout demande beaucoup de temps. Mais j'espère qu'il y aura, au final, une série, un téléfilm ou encore un film.
La narration de Letter 44 serait parfaite pour une série.
Charles Soule : Je suis d'accord.
En France, les deux premiers tomes de Letter 44 sont sortis,peux-tu nous en parler un peu, de ce troisième tome ?
Charles Soule : Oui, sans problème ! Le troisième tome sort, je crois, le 13 ou le 14 avril, et on y voit éclater la 3e Guerre Mondiale. C'est un tome très sombre. On y rencontre les extra-terrestres – les builders, en v.o. –... Quoi d'autre... Lisez-le !
Parlons un peu de tes autres projets : combien de séries as-tu actuellement en cours ? C'est impressionnant !
Charles Soule : Ouf !
Sans parler de ton activité d'avocat !
Charles Soule : Oui, j'ai aussi pas mal de boulot de ce côté-là. Sur le plan des comics, je travaille sur Daredevil, avec Ron Garney et Matt Milla aux couleurs... C'est très intimidant d'arriver après des auteurs comme Mark Waid, Brian Bendis ou encore Frank Miller. Il y a aussi Uncanny Inhumans, Poe Dameron, Obi-Wan et Anakin... Des séries indépendantes... Et je ne peux pas parler aujourd'hui mais il va y avoir des annonces dans les mois à venir.
Merci Charles !