En France, nous connaissons très mal la carrière de Corinna Bechko. Cette scénariste a pourtant travaillé sur des licences populaires comme La planète des singes, Once upon a time ou même Hulk. C'est avec la seconde saison de Star Wars Legacy que son nom a commencé à orner nos comics. Sur l'univers dérivé des films de George Lucas, elle imagine avec son mari, Gabriel Hardman, les aventures d'Ania Solo, une héritière de la longue lignée Jedi. Alors qu'elle nous a offert durant des mois une épopée passionnante, nous nous sommes déplacés au Lille Comics Festival pour converser avec elle de son métier mais aussi de ses passions !
interview Comics
Corinna Bechko
Bonjour Corinna Bechko, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?Corinna Bechko : Je m'appelle Corinna Bechko et je suis auteure. Je travaille dans l’industrie du comics depuis 2009, date à laquelle Image Comics a publié mon premier titre. Avant ça, j'ai écrit de nombreuses histoires courtes, de la fiction et de la non-fiction. J'ai une formation en zoologie donc, avant tout ça, je travaillais dans un zoo.
Quelles sont tes influences ?
Corinna Bechko : Je m'inspire de beaucoup de choses. La musique, la littérature et aussi les comics. En réalité, j'adore Aimee Mann, pour ce qui est de la musique. Je tire beaucoup de choses de son travail sur ses paroles et je pense que ça se retrouve quelque part dans ce que j'écris.
Dans le rythme ?
Corinna Bechko : Oui, c'est juste l'idée d'écrire une histoire d'une manière concise tout en réussissant à transmettre une émotion, à faire passer le cœur d'une histoire.
Quelle est ton approche de la narration, dans les comics ?
Corinna Bechko : ça ne fonctionne que si tu as les personnages adéquats. Si tes personnages fonctionnent tout en se comportant d'une manière naturelle, si leurs réactions aux stimuli extérieurs paraissent naturels, je pense qu'alors la narration peut se dérouler sans problème.
Tu as travaillé sur de grandes franchises comme la Planète des Singes ou Star Wars. En es-tu fan ?
Corinna Bechko : Absolument. ça a été fantastique de travailler sur La Planète des Singes. Avant ça, j'avais travaillé au sein de... Je ne sais pas si vous avez ça, en France. Est-ce que vos zoos pratiquent des études comportementales des animaux. J'avais donc travaillé sur l'étude de chimpanzés et d’orang-outans afin d'améliorer leurs conditions de vie, au zoo. Pas seulement, donc, la façon dont les humains pouvaient les observer mais aussi comment les primates réagiraient à l'environnement. J'ai fait ça pendant près de cinq ans et toutes les personnes qui font ce type de travail connaissent la Planète des Singes, de A à Z. Alors quand j'ai pu commencer à travailler sur la Planète des Singes, je me suis dit "C'est exactement ce que je devrais faire" [rires]
Quand on a des univers aussi déterminés et aussi marqués par leurs auteurs originaux, comment est-ce qu'on appréhende le fait d'écrire dessus. Comment trouves-tu le moyen de faire entendre ta voix ?
Corinna Bechko : Je pense qu'on a eu beaucoup de chance, à la fois sur la Planète des Singes et sur Star Wars. Pour la Planète des Singes, ils nous ont laissés inscrire notre récit dans une époque précédant celle des films et, donc, beaucoup de personnages étaient nouveaux et on a pu prendre des libertés avec ce qui allait leur arriver. On n'avait pas de contrainte du type "celui-ci doit survivre car on le voit dans le film". Je pense qu'on a pu générer plus de suspense, grâce à ça. On sait que le docteur Zaius va s'en sortir mais tu ne sais pas si ça va être le cas de sa femme ou de sa fille. Pareil pour Star Wars. Legacy était la première histoire à prendre place aussi loin dans le futur, aussi bien parmi les comics que les romans ou les films. Mêmes si nos personnages entretenaient un lien avec les personnages connus, comme Solo, on ne savait pas ce qui allait lui arriver. On n'était pas obligé de travailler et d'insérer nos histoires entre les films existants.
Beaucoup de fans ont eu une réaction négative vis-à-vis de ce bond dans le futur, mais vous avez réussi à les convaincre. Nous avons parlé avec Gabriel [NDT: Hardman, son mari à la ville et co-auteur] et on a aussi parlé du fait d'employer de nouveaux personnages pour entretenir l'inattendu.
Corinna Bechko : C'est vrai que c'est une bonne chose. On n'a pas à chercher à faire passer un notre fil dans le chas d'une aiguille.
On va donc pouvoir continuer de suivre les deux licences ! Mais pour Legacy, seuls les deux premiers albums américains ont été traduits ici. Pourrais-tu nous parler un peu des suivants ?
Corinna Bechko : Après les deux premiers ? On savait que notre run arrivait à son terme du fait de rachat de Disney, ou plutôt de Marvel. Enfin, bon, Marvel appartient à Disney, maintenant. Donc on savait qu'il nous faudrait conclure dès lors que Dark Horse perdrait la licence. Et on a réussi à tout emballer et à raconter l'histoire des origines de Darth Krayt et comment cela s'insérait dans les histoires de Jao et d'Ania. Je pense qu'on a réussi notre conclusion. On aurait pu en faire plus mais, au moins on est parvenus à raconter notre histoire.
Est-ce que tu ne crains pas d'aller voir le prochain Star Wars et d'y voir quelque chose tiré de Legacy sans qu'on n'en t'ai parlé avant ? J'ai vu le teaser et on voit très brièvement une jeune fille qui m'a fait penser à Ania...
Corinna Bechko : Oui, on m'en a parlé, de cette scène. Des gens sur Twitter m'ont demandé "est-ce qu'ils on pris ça de Legacy ?". Je pense que quand tu travailles sur une franchise, tu travailles pour quelqu’un d'autre. Ce que tu créé ne t'appartient pas, même si tu en es à l'origine. Ils peuvent donc en faire ce qu'ils veulent par la suite. Si je voyais quelque part quelque chose qui ressemble Heathentown, qui est de moi, je ne serais pas très contente, mais là, je serais même honorée de voir quelque chose que j'ai fait être ré-employé dans le film.
Oui mais dans ce cas la moindre des choses serait de passer un coup de fil pour t'en informer au préalable, non ?
Corinna Bechko : Tu sais, tu signes le contrat et après, on verra bien. On y est allé bien conscient de ce dans quoi on mettait les pieds. Ayant déjà travaillé pour Marvel et moi-même, j'ai déjà travaillé en tant que zoologiste pour Playboy et on te fait signer contrat sur contrat stipulant tous que tu n'attenteras en rien aux intérêts de la compagnie. J'étais donc bien consciente de cette possibilité mais je doute que ce personnage soit Ania, c'est probablement une coïncidence mais même si ce n'était pas le cas, que veux-tu que j'y fasse ?
Comment se passe la collaboration avec Gabriel ?
Corinna Bechko : C'est plutôt sans accroc. On se connait bien l'un l'autre, on est mariés depuis longtemps. On commence par discuter d'une idée. Si c'est basé sur une licence, on sait où commencer car on connait d'avance l'atmosphère du titre. Sinon, même s'il s'agit d'une de nos créations, on fait plusieurs allers et retours sur cette idée et c'est souvent à propos des personnages et de ce que devraient être leurs comportements dans différentes situations. On distille ensuite l'ensemble pour parvenir à une histoire à raconter. Puis, l'un de nous écrit une sorte de pitch, un condensé de l'histoire que l'autre va relire et on échange ainsi jusqu'à ce que ce soit prêt pour l'étape de l'écriture du script. Pour ça, on procède de la même manière : l'un de nous rend un premier jet que l'autre corrige... On a nos forces et nos faiblesses respectives mais on planifie nos échanges en fonction de nos autres projets. Parfois, Gabriel travaille sur un film ou bien je travaille sur un autre projet. Le choix de qui produit la première écriture est donc aléatoire mais je ne pense pas que ça ait une incidence sur la qualité du produit fini.
Tu as travaillé avec Gabriel sur Savage Hulk. Est-ce que c'est différent par rapport à la Planète des Singes ou Star Wars, en termes d'approche ?
Corinna Bechko : Non, je ne pense pas. La seule différence réside au sein de l'histoire. Avec la Planète des Singes, on était très conscients du rendu que l'histoire devait avoir, il fallait que le lecteur ait le sentiment que ce soit la Planète des Singes. Et avec Hulk, je voulais qu'on ai le "feeling" d'une histoire de Hulk. On a donc la même approche sur les deux. Les gens ont du se dire "Oh, les gens de Lucasfilm ont du être ultra-précis sur ce qu'ils voulaient voir dans l'histoire" mais ça n'a pas été le cas. Ils nous ont laissé les coudées franches. Et pareil pour Hulk car l'histoire se déroulait en dehors de la continuité de l'histoire du personnage; J'imagine que si ça n'avait pas été le cas et que l'histoire ait eu une interaction avec les films ou s'ils avaient voulu garder le contrôle absolu sur le contenu, on aurait été embêtés mais à chaque fois, il s'agissait d'univers à part et on a été assez libres.
Quels sont tes prochains projets ?
Corinna Bechko : Le prochain s'intitule Invisible Republic et ça sort chez Image, en mars, et ,avant ça, ce sera sollicité en janvier. C'est notre propre épopée de science-fiction. Sorti de là, je travaille sur un deuxième graphic-novel de Once Upon a Time et quelques autres projets. Mais on a aussi un autre titre avec Wonder Woman qui sort dès aujourd'hui en digital et la version matérielle dès le 17 décembre.
Est-ce différent pour vous d'aborder la narration d'un format digital ?
Corinna Bechko : En tant qu'auteur... On savait que ce projet concernait un comics d'une longueur habituelle de 30 pages mais sectionné en trois chapitres. Gabriel se chargeant à la fois de l'écriture et de l'illustration, c'était différent car chaque page était publiée une moitié après l'autre. Il lui a fallu donc les concevoir avec ça à l'esprit, de manière à ce que l'action connaisse une pause à mi-chemin de la page et à la fin de la page, de manière à ce que ça fonctionne aussi bien digitalement que matériellement. C'est un peu problématique mais on n'a pas approché l'histoire différemment.
Aujourd'hui, tu as travaillé sur la franchise Star Wars mais aussi pour Marvel. Est-ce que tu serais intéressée de travailler sur Star Wars, pour Marvel ?
Corinna Bechko : Tu sais, je pense que là, on a fait notre part, sur Star Wars. Il ne faut jamais dire jamais mais j'aime l'idée de redevenir une fan comme les autres et de ne plus avoir à me soucier des tenants et aboutissants de l'histoire. C'est bien de se retrouver dans une position où on n'a plus à réfléchir sans cesse à ce que l'on pourrait changer ou améliorer. On peut désormais se contenter d'observer et de profiter. ça me va très bien.
Si tu pouvais choisir d'écrire au sein d'une autre grande licence, laquelle choisirais-tu ?
Corinna Bechko : Oh mon dieu... Doctor Who. [rires] J'ai toujours adoré Dr Who. ça a vraiment démarré aux Etats-Unis que depuis peu mais quand j'étais petite fille, je les regardais sur la télévision publique. Le quatrième docteur était *mon* docteur. J'ai toujours aimé ces histoires gothiques avec des monstres et tout. ça a mal vieilli mais, quand j'étais petite, j'adorais cette atmosphère.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Corinna Bechko : Oh, on ne me l'a jamais posée avant, celle-là ! J'ai plusieurs auteurs préférés et j'essaie d'en choisir un mais c'est difficile. Je vais dire... Paul Bowles. Sa carrière a été très intéressante. Il a écrit The Sheltering Sky [NDT: "Un thé au Sahara "]. C'était un expatrié en Afrique et il a écrit des choses fascinantes mais je n'ai aucune idée de la manière dont son esprit fonctionnait, donc ... [rires]
Merci Corinna !
Remerciements à Arno, Fanny, Julien et à l'organisation du Lille Comics festival, et à Alain Delaplace pour la traduction laser !.