interview Bande dessinée

Damour

©Delcourt édition 2009

Pendant près de 10 ans, Damour a œuvré sur la série d’anticipation qui l’a lancé, Nash. Aujourd’hui, toujours aux côtés de son scénariste favori Jean-Pierre Pécau, le dessinateur s’illustre sur le Testament du docteur M, un thriller « patiné » rebondisant sur les mystères entourant la série des films Mabuse de Fritz Lang…

Réalisée en lien avec l'album Le testament du docteur M T2
Lieu de l'interview : Festival Delcourt 2008

interview menée
par
12 juin 2009

© Damour - RoughtBonjour... Sébastien ? Bonjour... Damour ? Comment doit-on dire ?.
Damour : Damour c'est mon pseudonyme. Mon état civil, c'est Sébastien Tessier.

Pourquoi Damour ?
Damour : C'est simple et sentimental : c'est le nom de jeune fille de ma mère. Quand il a fallu me trouver un pseudo pour la BD, ce nom s'est imposé, il sonne bien. Contrairement à mon patronyme, qui est très commun. Et c'est un clin d'œil à mon grand-père maternel.

Pour faire connaissance avec les lecteurs qui ne te connaissent pas, peux-tu te présenter rapidement ?
Damour : Alors que je terminais mes études d'art plastiques, j'ai rencontré Didier Crisse qui a été « ma bonne fée » en BD (merci Didier !). Il m'a orienté vers Fred Blanchard et Olivier Vatine, les deux patrons du label Série B. Ils ont été intéressés par mon travail, autour du projet Nash, qui était encore très embryonnaire à l'époque en 1994. Mais le scénario n'était pas au point. Ils ont cherché un scénariste et trouvé Jean-Pierre Pécau, déjà un familier des univers cyberpunks. Mais lui, à l'époque, n'avait pas encore fait de scénarii pour la BD. Et on ne se connaissait pas du tout.

© Damour - RoughtTu as donc la paternité du synopsis de Nash ?
Damour : J'ai apporté le personnage de Nash et quelques protagonistes. Mais je n'avais même pas le pitch, à l'époque, juste une idée d'univers très influencé par Blade Runner. La trame, c'est surtout Jean-Pierre qui l'a construite, je n'avais qu'une base grossière.

Comment ça se passe lorsqu'un scénariste s'approprie ce genre de travail.
Damour : Moi, je me définis quasi exclusivement comme dessinateur. J'ai été ravi que Jean-Pierre ait pu faire sienne la petite idée que j'avais apportée et qu'il l'ait enrichie. Je ne me suis pas du tout senti dépossédé, Jean-Pierre a apporté un vrai travail scénaristique.

© Damour - RoughtEt concernant le Testament du docteur M, c'est également une de tes idées ?
Damour : Pas du tout : c'est du 100% Pécau, cette fois-ci.

Tu connaissais l'œuvre de Fritz Lang, auparavant ?
Damour : Oui un peu, mais je sais que Jean-Pierre est un véritable féru de cinéma et il en connait un rayon en la matière. Moi, j'aime bien le cinéma, mais sans être spécialiste comme lui. Quand Jean-Pierre m'a proposé ce scénario, avec la référence aux Mabuse de Fritz Lang, vu l'espèce d'aura un peu mystérieuse qui plane autour de ces films, ça a bien fait tilt. Très modestement, cette série s'inspire effectivement de l'histoire et de la biographie de Lang, mais ce n'est pas du tout un album destiné aux spécialistes de la période ou du cinéaste. Le déclic de Jean-Pierre pour construire ce scénario fut la particularité du premier Mabuse. Le film sort en effet en 1922 et une première officielle est organisée à Berlin. Or, historiquement, on n'a vu ce film dans son intégralité qu'une seule fois : l'introduction a été immédiatement perdue et ensuite, on n'a plus jamais pu voir le film en entier. À partir de ce détail du mystère de la bobine perdue, Jean-Pierre a brodé une fiction pure, un thriller, une affaire de tueurs en série, une enquête policière. Qu'y a t-il, en substance, dans ce premier quart d'heure de film ? La bande dessinée évoque la possibilité qu'il y ait quelque chose de très troublant, une puissance de suggestion colossale. D'un fait « cinéphilique » avéré, Jean-Pierre a développé une intrigue complexe et très sombre.

© Damour - RoughtComment as tu approché la mise en dessin de cette nouvelle série ? On sent que tu as fait évoluer ton trait par rapport à Nash, comme si pour trancher avec la science-fiction, tu avais cherché à donner une patine un peu désuète...
Damour : C'est tout à fait juste ! Lorsque Jean-Pierre m'a soumis ce projet, il était évident qu'il fallait que je trouve un ton graphique différent de celui de Nash. Les lecteurs de Nash reconnaitront certainement le trait, mais je l'ai effectivement travaillé différemment. Le côté un peu rétro que tu soulignes est juste : j'ai introduit plus de noir, de trames, plus de hachures qu'avant... Les personnages sont aussi moins réalistes, les visages plus taillés à la serpe, plus stylisés, ils tirent plus vers la caricature. Et enfin, dans les décors, il y a plus d'ombres, de noirs, de clairs-obscurs, d'atmosphère...

C'est toi qui pilotes Vincent Froissard pour la colorisation ?
Damour : Vincent a une certaine autonomie, car c'est un très bon coloriste et fort bon dessinateur de surcroît. Pour chaque planche, je lui fournis une photocopie avec quelques indications de couleurs. Il y a des choses auxquelles je tiens (des détails souvent) mais les ambiances et les tons, c'est lui en général qui les choisit. Il m'a proposé, puisqu'on parle de Fritz Lang et de Mabuse, qu’on s'inspire au maximum de l'ambiance du cinéma muet : les films en noir et blanc, les tons sépia, les camaïeux c'est ce qui l'a inspiré au départ. Il n'y a pas de couleur très vive, mais plutôt des demi-teintes, des gris colorés, des beiges. C'est le premier album sur lequel on travaille ensemble, et il a vraiment rapporté une réponse adéquate.

© Damour - RoughtSi tu avais une gomme magique pour changer des choses post-publication, l'utiliserais-tu et sur quoi ?
Damour : Je reviendrais sur les inévitables maladresses qu'on voit toujours après coup. Il y a toujours des petites choses inélégantes, des « pains » comme j'appelle ça... Sur le plan de la couleur, je suis très satisfait. Ce serait surtout dans mon domaine à moi que j'interviendrais. Mais bon, il faut bien avancer sur les planches. Globalement, l'album me satisfait, en toute humilité.

La série est prévue en 3 tomes ?
Damour : Exactement, ni plus ni moins ! Le scénario de Jean-Pierre est pensé et écrit pour couvrir 3 tomes : 46 planches pour le tome 1 et 54 planches pour les deux tomes suivants.

© Damour - RoughtTu vas faire les trois d'un coup et tu reviendras sur Nash ?
Damour : Ça n'est pas un scoop, mais Nash est vraiment terminé. C'est vrai que la fin du dernier tome, le tome 10, a laissé quelques lecteurs pantois, sur leurs faims. Ils ont eu l'impression, sans doute à juste titre, que cela restait en suspens, que cela appelait une suite... Mais dans notre esprit, la messe est dite. On a définitivement tourné la page Nash.

Vous étiez arrivés à saturation ?
Damour : Oui, on commençait à s'essouffler, on avait furieusement envie de passer à autre chose. Les 3 tomes du Testament du docteur M, je suis donc en train de les faire d'une traite, dans la foulée. Je mentirais en disant qu'on reviendra à Nash, car il se sera écoulé 3 ans ou plus et les lecteurs seront également passés à autre chose.

© Damour - RoughtSi tu avais des albums à conseiller, des séries de BD de référence, ce serait quoi ?
Damour : Je ne suis pas un énorme lecteur de BD. Je lis les choses avec beaucoup de retard. Par exemple, parmi mes dernières lectures, je n'ai découvert que récemment Alack Sinner de José Muñoz et Sampayo. Mais je ne pourrais pas conseiller de sortie récente : je suis un petit peu largué. En tant qu'auteurs de BD, on est tellement immergé dans ce médium là, qu'on ne trouve pas forcément le moment ou l'envie de passer son temps libre à y retourner. Moi, j'ai plutôt besoin de découvrir des choses hors BD, des romans, des films...

© Damour - RoughtSi tu avais le pouvoir cosmique de pénétrer dans l'esprit d'un autre auteur de BD, pour y cerner son œuvre, sa démarche, ce serait qui ?
Damour : Je pense à quelqu'un comme Jean Giraud / Moebius, qui est aux yeux de la profession un grand créateur. En même temps, aller dans l'esprit de Jean Giraud, c'est peut-être un peu risqué... mais ça doit être une sacrée expérience ! J'ai beaucoup d'admiration pour son œuvre. Sinon, si je devais donner le nom d'un scénariste, je serais plutôt tenté par un petit tour dans l'esprit de Thierry Smolderen. J'aime beaucoup les univers qu'il a pu développer, même s'ils n'ont que peu de rapport avec les miens. Sur L'enfer des Pelgram, par exemple, avec Dominique Bertail, il a développé un univers vraiment particulier. Ce qu'il a fait aussi avec Jean-Philippe Bramanti sur Windsor McCay, c'est magistral ! Et puisqu'on parle de Dominique Bertail, c'est aussi quelqu'un qui a un talent fou, qui peut tout dessiner ! Bref mes admirations sont nombreuses !

Merci Damour !

© Damour - Rought