Sa collaboration avec Jean Van Hamme sur les Maîtres de l’Orge l’a propulsé sur le devant de la scène et son dessin élégant se reconnaît entre 1000. Après Tosca déjà scénarisée par Stephen Desberg, Francis Vallès s’éclate au travers de Rafales et tire à bout portant sur l’actualité. Si la série s’installe progressivement, son dessinateur confesse modestement continuer à se chercher, à progresser.
Action, Histoire et réflexion : un cocktail prometteur !
interview Bande dessinée
Francis Valles
Réalisée en lien avec l'album Rafales T2
Bonjour Francis Vallès ! Sans vouloir te moquer, tu appartiens à une génération à qui personne n’apprend plus à faire la grimace. Ce 33eme festival d’Angoulême, tout se passe bien, la routine ?
Francis Vallès : Ma foi, je vais très bien. Et, comme toujours, le festival démarre très fort, sur les chapeaux de roues. Un peu speed, néanmoins j’ai effectivement l’habitude et rencontrer ses lecteurs procure un réel plaisir. Sinon, je n’ai pas participé au premier Angoulême, mais pas loin ! Pas en tant qu’auteur : j’étais venu avec des copains dont Chaland (l’Incal) malheureusement aujourd’hui décédé. Je me situais donc alors de l’autre côté de la barrière. J’étais « fan ». Je ne me souviens pas précisément quelle édition était-ce… Puis, j’ai franchi cette barrière et j’avoue que parfois l’affluence me paraît affolante sans pour autant me plaindre car j’exerce tout de même un métier de privilégié. En tout et pour tout, j’ai du assister à une bonne quinzaine d'éditions de ce festival… Au départ, la manifestation présentait les qualités (et les défauts) des débuts amateurs. Désormais, le succès implique un nouveau visage, plus professionnel. Attention, on ne va pas s’en plaindre ! Je trouve personnellement cela très bien.
Pourquoi, en cette fin de janvier, y’es-tu présent alors que tu ne sembles pas avoir d’actualité brûlante ?
Francis Vallès : En réalité, je viens de terminer le second tome de Rafales et je m’imaginais dans le train venir le dédicacer… Mais personne ne l’a encore lu puisqu’il est toujours chez moi ! L’album ne paraîtra qu’en avril, il est terminé mais non édité. Alors tout bien réfléchi, je n’ai effectivement pas d’actualité. Plutôt une ancienneté, la parution du premier titre remontant au printemps dernier (mai)…
Supposition : en interview on te parle inlassablement des Maîtres de l’Orge… ?
Francis Vallès : Gagné ! Néanmoins, je ne renie surtout pas la série car si j’en suis là aujourd’hui, c’est en grande partie « grâce » aux Maîtres de l’Orge. Ce fut une aventure fabuleuse à une époque merveilleuse ! Je redécouvrais mon travail au travers de l’histoire signée Van Hamme. A ce moment, tous les projecteurs étaient alors braqués sur moi et c’était forcément super ! Mais je ne renie pas plus Dorian Dombre (une série précédente avec José-Louis Bocquet) ou même mes tout premiers pêchers de jeunesse qui, franchement, avec du recul, ne me paraissent pas terrible. Mais bon, normal, c’est la chaîne…
Après avoir travaillé avec Van Hamme, tu fais équipe désormais avec Stephen Desberg : deux monstres du scénario. Perçois-tu de réelles différences dans ces deux collaborations ?
Francis Vallès : Oui, il existe de grosses différences… [Il marque un temps d’arrêt et reprend] Jean Van Hamme symbolise le scénariste rêvé par tout dessinateur. Enfin, ceux qui comme moi aiment les choses carrées. Van Hamme est « pro » jusqu’au bout des ongles ! Stephen Desberg est à 90% ressemblant, aussi carré et professionnel, seulement il raconte les histoires d’une façon très (totalement !) différente. J’ai donc du m’adapter, modifier mes cadrages, etc… Ce qui est bien, on évolue. Je ne vais pas refaire du Maître de l’Orge le restant de ma vie !
Ta biographie « officielle » sur le site des éditions du Lombard qualifie ton dessin d’« élégant ». En fait, à bien y regarder, c’est sans doute le premier adjectif qui vient à l’esprit…
Francis Vallès : C’est génial ça (sic) ! Depuis quelques années, on qualifie effectivement mon trait d’élégant, de classe… Il est vrai que j’aspire à une certaine élégance. Parfois même, moi qui ne suis pas toujours très à l’aise avec certains mouvements en pleine action (que je trouve grotesques), parfois donc, il arrive que je modifie la posture de mes personnages pour qu’ils gardent même alors une stature élégante. En définitive, j’aime ce regard critique porté sur mon travail et je le reçois comme un compliment. Plus prosaïquement, je viens d’un milieu populaire et je me demande si, au plus profond de moi, je n’aspire pas à une certaine bourgeoisie, à un univers un peu plus… [Il réfléchit puis résume] Bref, peut-être cette recherche de l’élégance provient-elle de là ?...
L’élégance est donc ta marque de fabrique. Est-ce à dire que ton dessin évolue peu ?
Francis Vallès : Oh non ! En fait, mon dessin évolue, j’évolue. Et pas toujours en bien d’ailleurs… Sur certains aspects de mon travail, je me lâche un peu plus. Je suis moins « contraint » (sic), guindé par l’histoire que j’illustre. De surcroît, en ce moment, je rencontre des problèmes bêtement matériels. Je ne trouve plus le bon papier et l’encre de chine que j’appréciais. Cela peut sembler ridicule mais j’ai en tête de changer de fournisseurs afin d’y remédier. Cependant, tout est si différent, voire disparaît, maintenant…
Tu ne te consacres qu’au dessin, pourquoi ? Scénariser ne t’intéresse pas ?
Francis Vallès : Pas pour le moment. J’ai été ce que l’on appelle un auteur « complet » (scénario et dessin) à mes débuts. Effectivement, à l’époque, je n’avais pas le choix et je faisais moi-même mes couleurs, j’écrivais mes histoires et les dessinais. C’était ce que c’était mais bon, je le faisais quand même. A l’heure actuelle, j’ai des projets personnels d’écriture qu’au contraire je ne dessinerais sans doute pas. Car pour cela, il faut du temps, ce qui n’est vraiment pas aisé à dégager… J’ai toujours clamé pendant très longtemps que je souhaitais travailler avec des scénaristes afin de ne me consacrer qu’au dessin, afin d’évoluer, d’aller dans le sens que je désirais. Et je savais qu’écrire et scénariser me prendraient trop de temps au détriment du dessin.
Nombre d’auteurs répètent inlassablement qu’écrire et dessiner sont deux métiers différents…
Francis Vallès : Deux métiers différents, en effet. D’ailleurs, la plupart du temps, les problèmes surviennent de ce que les scénaristes (en général) ne savent absolument pas dessiner… En outre, voici presque vingt ans que Marie-Paule (Alluard) est ma coloriste : c’est vieux ! Elle me procure un confort de travail formidable. J’aime son boulot, elle travaille toujours à l’ancienne sans informatique et j’en suis très content !
L’accueil critique du premier album de Rafales fut mitigé, particulièrement au regard du scénario (donc signé S. Desberg), jugé trop « confus ». Cela te touche-t-il ?
Francis Vallès : Oui, forcément. Cela me touche puisqu’un livre est un tout. C’est un produit que l’on propose ensemble et l’on sait pertinemment qu’une partie du public n’aimera pas le style de dessin, d’autres le scénario, certains même les deux ! Plus simplement, je suggère aux sceptiques d’attendre la parution du deuxième tome et de le lire. Evitons la langue de bois et on en reparlera. Je comprends cette réaction dans la mesure où l’intrigue paraît effectivement « confuse » au départ. Confuse parce que complexe. Néanmoins, « je » connais les grandes lignes directrices et je suis très confiant. « Je » sais que l’on parviendra à retourner les sceptiques. Stephen a réellement écrit un super truc (sic) !
Mais encore, tu ne doutes jamais de la pertinence de ce que tu illustres ?
Francis Vallès : Honnêtement, je lui en ai parlé quelques peu. Il tient un récit tellement riche entre ses mains que le risque est de s’emballer. Je me suis dit que personne ne comprendrait rien au premier tome si l’on en mettait trop. Alors, calmons-nous. Prenons notre temps, on a le temps. On va progressivement développer le sujet, par ailleurs vraiment d’enfer à mes yeux (sic) ! J’adore. Cela correspond parfaitement à mes attentes présentes. J’ai envie de dessiner du contemporain, en prise avec la réalité, sans pour autant donner dans du Largo Winch ou alias… Et Stephen aussi. C’est en discutant ensemble que l’on s’est découvert beaucoup d’affinités sur des questions socio-politiques, économiques, écologiques… Alors, pourquoi ne pas en parler ? Vu le monde aujourd’hui, autant être en prise directe avec l’actualité. Bref, un premier tome (« d’exposition ») est toujours une affaire délicate, de surcroît si l’intrigue est complexe. Beaucoup de personnages, un héros photographe, Sébastien, que l’on ne voit pas tellement faire son job (prendre des photos !) mais acteur [et spectateur] de rebondissements spectaculaires : l’histoire se met en place. Elle est bien engagée et je répète que l’on retournera les sceptiques en notre faveur.
Combien de tomes sont-ils prévus ?
Francis Vallès : La difficulté d’installer une série est l’une des raisons pour lesquelles les éditeurs laissent aux auteurs traditionnellement 3 ou 4 albums. Au Lombard comme ailleurs, ils le savent et en outre les ventes sont bonnes, si j’en crois le bon accueil qui nous a été fait. [Il se tourne vers le bar V.I.P. du local où se déroule l’interview] Regarde, les patrons sont là, ils sourient, c’est donc que les choses vont bien !... Plus sérieusement, l’accueil est assez tranché : des gens sont emballés, d’autres non… Le nombre de tomes ? Il n’est pas défini, rien n’est arrêté mais l’histoire semble si riche que l’on peut raisonnablement espérer entre 6 ou 8 albums. Oui, la fourchette me paraît bonne.
Un jour il faudra donc tourner la page. Tu t’attaches à tes personnages ? N’as-tu jamais envie de dessiner un héros récurent, immortel ?
Francis Vallès : Bien sûr, je m’attache à mes personnages. Le problème, c’est qu’en effet on ne me propose que des histoires où ils passent puis disparaissent les uns après les autres. Je n’ai pas de Blueberry ou de Ric Hochet. Depuis les Maîtres de l’Orge, le problème est générationnel ! Je suis donc obligé d’en créer, de les renouveler perpétuellement. Mais c’est une des richesses du métier et je ne m’en plains pas. J’aime changer d’univers.
Tu changes justement de format d’édition, plus modeste. Une volonté de ta part ?
Francis Vallès : Non, absolument pas. C’est la collection qui veut cela. Au niveau du découpage, cela n’affecte en rien mon travail. Par ailleurs, j’ai souhaité rester classique afin d’aider à la compréhension. A intrigue complexe, il faut un découpage assez carré. Si je ne veux pas perdre tout le monde au travers de cases éclatées à l’instar de l’héroïc-fantasy. Au niveau du découpage, j’entends. Sinon, c’est cuit !
Tu dessines donc surtout du contemporain, du réel. As-tu déjà eu envie de tout plaquer, tout changer ? Stylistiquement parlant, j’entends…
Francis Vallès : Avant que je ne présente quoi que ce soit à un éditeur, à mes débuts, je me suis posé la question : est-ce que j’opte pour un dessin fantaisiste ou réaliste ? Mes références et influences étaient Blueberry (Giraud) ou Gil Jourdan (Maurice Tillieux) et une sur deux, je variais au gré de l’histoire à raconter. Puis, vint le moment où je due choisir. Parce qu’il fallait trancher et que je voyais bien que cette fantaisie ne menait à rien, un peu n’importe quoi. Et, c’est Blueberry qui a gagné ! Faire de l’héroïc-fantasy ? Je crois que je n’en ai tout simplement pas le talent. L’alchimie fonctionne à la condition de ressentir l’univers proposé et moi, l’univers S-F., même si j’aime au cinéma des films comme Alien pour leur part fantastique, je n’y suis pas très réceptif. En revanche, l’Histoire, je mords dedans à pleines dents, je m’éclate ! Pour dessiner, il faut ressentir les choses, les vivre et, ainsi, elles prennent de l’épaisseur.
Nous parlions de l’alchimie vécue avec Marie-Paule Alluard, ta coloriste, mais n’as-tu jamais songé à sortir une version crayonné (dite « 2B ») de tes albums ?
Francis Vallès : Pourquoi pas ? On ne me l’a jamais proposé, alors que cela m'emmerde d’encrer !... En fait, je fais des crayonnés très poussés. Je travaille sur table lumineuse ou sur calque depuis très longtemps. Le calque permet notamment de cadrer correctement son dessin, de l’ajuster et de le corriger sans pour autant le reprendre à zéro. Parce qu’en général, lorsque l’on croque quelque chose pour la première fois, ce n’est jamais bon. Ainsi, cette méthode aide à l’agrandir ou le diminuer afin d’épouser la dimension de la case. Alors, une version crayonnée, oui : utile.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Francis Vallès : Pfiou !!!... Il y en a tellement. Exemple, Gil Jourdan (Tillieux) les albums Libellule ou le Gant à trois doigts. Prenez même toute la série ! Plus récemment, les Sept vies de l’épervier (Cothias, Juillard). Mais beaucoup trop d’albums m’ont fait rêver dans ma jeunesse comme de simples couverture qui m’ont fait chialer (sic)…
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Francis Vallès : Sûrement chez un américain comme Frank Frazetta dont on connaît les peintures mais qui est aussi l’auteur d’excellentes bd (l’Indien blanc). Ou chez Harlod Rodolf Foster (Prince Vaillant), le top du dessin classique et léché. Jack Davis (Tales from the crypt) est aussi un mec capable, lui, d’évoluer dans un style réaliste ou humoristique.
Merci Francis !