Frank Cho a débuté dans le monde des comics avec son excellente série de strips Liberty Meadows. Rapidement, les qualités artistiques de cet auteur d'origine sud-coréenne ont attiré les principaux éditeurs américains. Il a fait un malheur, notamment grâce à son talent pour illustrer la gente féminine. Alors qu'il enchaîne les projets, il a accepté de revenir avec nous sur une carrière et nous a dévoilé son envie de travailler à l'avenir uniquement pour les lecteurs français ! Si vous ne connaissez pas encore Frank Cho ou si vous souhaitez en apprendre plus sur lui, lisez ce qui suit....
interview Comics
Frank Cho
Réalisée en lien avec les albums X-Men (revue) – V 2, T15, Liberty Meadows T2, Shanna
Bonjour Frank Cho, peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Frank Cho : Bonjour, j'ai commencé à dessiner des bandes dessinées quand j'étais très jeune. Je n'ai jamais suivi de cours ou d'école de dessin. Je suis autodidacte. Je suis allé à l'Université du Maryland pour être infirmier à Baltimore. J'y ai gagné de jolies médailles en tant que célibataire. Au lycée, j'ai commencé à faire des choses dans le journal du lycée, le Diamondback, ce qui m'a permis de pratiquer le dessin. Le syndicat des créateurs m'a soutenu par la suite et m'a permis de lancer ma série Liberty Meadows dès le 31 mars 1997 dans un quotidien. Peu après, Image et Marvel m'ont remarqué grâce à mes strips et m'ont offert du travail. Voilà tout.
Comment définis-tu ton art ?
FC : Des gros seins, de belles hanches et des jambes larges ! Sans rire, j'essaie de faire en sorte que mon style soit classique et réaliste. J'aime accentuer des lignes propres et avoir une composition équilibrée dans mes pages.
Tes personnages sont toujours très soignés. Utilises-tu des modèles ?
FC : Non, je n'en utilise pas. Parfois, je prends des photos quand j'ai des doutes sur une anatomie. Si vous regardez de près, mon inspiration principale pour les femmes est Lynda Charretier, Bettie Page et Michelle Ryan.
Quelles sont tes références ?
FC : Mes influences me viennent d'Al Williamson, John Buscema, Frank Frazetta, Don Newton, Geof Darrow, Norman Rockwell et John Singer Sargent.
Liberty Meadows est ta première série. Comment l'as-tu imaginée ?
FC : Cela raconte le quotidien d'un refuge animalier où chaque habitant est fou. Je me suis inspiré de Bloom County, Calvin & Hobbes et les anciens Mad magazines. J'ai juste voulu faire une histoire qui me fasse rire mes amis et moi.
As-tu un personnage favori parmi ceux de Liberty Meadows ?
FC : Cela dépend forcément du moment où j'écris. Chaque personnage est une extension de ma personnalité donc je les apprécie tous, que j'écrive sur eux ou que je les dessine.
Liberty Meadows a très bien fonctionné. Peut-on espérer que tu étoffes la série ?
FC : Je planifie vraiment Liberty Meadows pour les années à venir. C'est dur d'avoir le temps libre nécessaire pour travailler dessus, car je dois respecter mes deadlines pour Marvel. Je pense cependant qu'un album, un nouveau, de Liberty Meadows, composé de strips réalisés le dimanche, sortira en juin 2012 ou un peu après.
Est-il difficile de se renouveler lorsqu'on fait des strips ?
FC : Oh, c'est très dur. La comédie est toujours difficile. C'est comme donner la vie. C'est pénible et la douleur est atroce. J'ai été stupéfié d'être en mesure de créer autant de plaisanteries et de scénarii que les gens ont appréciés.
En France, Liberty Meadows bénéficie d'une nouvelle édition. As-tu eu l'occasion de la voir ?
FC : Non, je ne l'ai pas supervisé. Je me fie au traducteur et j'espère que mes blagues ne perdront pas trop de leur impact en passant de l'anglais au français. Surtout au niveau des références culturelles.
En parallèle de Liberty Meadows, tu as dessiné de nombreuses histoires de super héros. Comment fais-tu pour alterner les deux registres ?
FC : C'est toujours un défi de passer sur un format de 22 pages le temps de 4 épisodes. L'approche est très différente, que ce soit en termes de grandeur, de forme ou même d'approche. Le travail pour Marvel me permet d'imaginer des choses plus grandioses et parfois plus excitantes que le petit format des strips. J'approche les deux genres avec un but simple : que mon histoire soit claire et soignée graphiquement. Un bon storytelling est essentiel pour moi.
Jusqu'à la moitié des années 2000, tu as fait de nombreux fill-ins. Que penses-tu de ce type de travail ?
FC : J'ai vraiment apprécié être le remplaçant de ces auteurs. Cela ressemble à des mini-vacances pour moi.
En 2005, tu as re-visité l'univers de Shanna the she-devil. Que penses-tu de cet album ?
FC : C'est un concept assez naturel pour moi. J'ai toujours été un grand fan de Ray Harryhausen et d'Edgar Rice Burroughs. J'adore dessiner des femmes fortes et des dinosaures. Ainsi, dessiner tout le background et les décors de Shanna a été très simple pour moi.
L'un des points communs entre Shanna et Liberty Meadows, est que les deux titres ont subi les affres de la censure aux USA...
FC : Il arrive souvent dans ce business que des personnes non-créatives dirigent les créateurs. Sur Liberty Meadows et Shanna, les éditeurs ne se sont pas fiés aux lecteurs et m'ont censuré, de peur que mes histoires les offensent. L’Amérique est parfois surnaturelle. On n'y censure pas la violence, mais la nudité. Cela est cependant assez logique lorsqu'on sait que le pays a été fondé par des fanatiques religieux et des imbéciles que l'Europe ne voulait plus !
Juste après Shanna, tu as créé une autre série sur une jeune femme pulpeuse vivant dans la jungle (Jungle Girl). Y a-t-il une chance de revoire Shanna ?
FC : Oh oui, Shanna n'est pas morte. Je travaille d'ailleurs sur une nouvelle aventure de Shanna pour Marvel. Cela devrait être annoncé bientôt.
Pour Jungle Girl, tu as laissé la partie visuelle à Adriano Batista. Qui l'a choisi ?
FC : J'étais très occupé. Ce n'est pas moi qui ait choisi Adriano Batista, c'est >Dynamite. Ils ont essayé de choisir des artistes dont le style se rapprochait du mien. Je suis heureux que leur choix se soit porté sur Adriano, c'est un artiste solide et très prometteur.
Mon petit doigt me dit que tu te pencherais sur une troisième héroïne vivant dans la jungle...
FC : C'est vrai. Je planifie de dessiner et de peindre une nouvelle héroïne, Jungle Queen, pour le marché français ou européen, en évitant la stupide censure américaine. Il sortira donc en tant que bande dessinée française ! J'en suis toujours aux stades préliminaires pour le moment et ça ne sortira pas avant 2 ou 3 ans, dès que j'aurai terminé mon contrat d'exclusivité pour Marvel. Je souhaiterais passer progressivement des comics au marché français dans les 5 à 10 ans à venir.
Tu as aussi réalisé de nombreuses couvertures. Comment les conçois-tu ?
FC : Lorsque je fais une illustration pour une couverture, mon approche est simple : je pense cela comme un poster. Je m'assure que la couverture soit simple, directe et attractive pour l’œil. Faire une couverture est très différent de la réalisation de pages intérieures. Pour ces dernières, tu te dois de raconter au mieux une histoire. Je n'ai pas la même méthode de travail selon ce que je dessine.
Récemment, nous avons eu la chance de te retrouver sur les New Ultimates. Que penses-tu du Marvelverse ?
FC : Je vais te dire la vérité : je n'ai jamais lu un titre de l'univers Ultimate depuis que j'ai fait ces épisodes. Je ne sais pas du tout comment cela s'est poursuivi. Pas mal de mes amis me disent que cela est bon et intéressant.
L'un de tes prochains titres à sortir se nomme Guns & Dinos. Qu'est-ce que c'est exactement ?
FC : Guns & Dinos, c’est un medley entre Jurassic Park et Il faut sauver le soldat Ryan. L'histoire alterne avec des séquences sentimentales et de survie. J'ai écrit ce récit il y a plus de 15 ans, en sortant du lycée. Puis je me suis assis sur cette histoire jusqu'à ce que mon bagage technique soit suffisamment bon pour l'illustrer. Je le fais maintenant parce que je travaille pour Marvel et sur un scénario autour de Zombie King (NDR : un catcheur affrontant des morts vivants !) pour un producteur de film. Dès que j'ai un peu de temps, je me plonge dedans et je progresse jusqu'à la fin aussi vite que je peux.
Tu adores dessiner les dinosaures....
FC : Oui, c'est ma seconde nature maintenant. J'ai toujours des tonnes de modèles de dinosaures et de références dans mon studio. J'adore dessiner et peindre ces créatures. C'est une sorte de passion.
Tu as souvent travaillé avec des scénaristes de renom (Jeph Loeb, Doug Murray, Mark Millar). Qu'est-ce que cela t'a apporté ?
FC : Travailler avec des grands noms est vraiment génial. J'aime leurs narrations et leurs histoires. La lecture de leurs scripts m’inspire à travailler encore plus sur mes histoires. Ce qui m'a permis de faire plus souvent le scénario et le dessin ces dernières années.
Tu disais précédemment que tu allais travailler pour le marché français ou européen prochainement. Que penses-tu de ce marché ?
FC : Blacksad de Juan Diaz Canales et de Juanjo Guarnido est une de mes bandes dessinées préférées. Je trouve que Guarnido est absolument fantastique, un des meilleurs artistes du 9ème art. J'aime aussi Le vent dans les saules de Michel Plessix. Il est un artiste superbe qui a un peu disparu ces dernières années. J'adore aussi tout ce que fait Ladrönn. Son travail sur Final Incal avec Jodorowsky était étourdissant. Et évidemment, j'apprécie énormément les bandes dessinées du grand maître de la bande dessinée française : Mœbius. Et j'aime aussi l'art de Claire Wendling !
Quels sont tes prochains projets ?
FC : Je suis en train de jongler entre plusieurs projets. Actuellement, chez Marvel, j'écris et dessine un livre important qu'ils annonceront au San Diego Comic Con. En tant que créateur, je continue à faire avancer Guns & Dinos, Liberty Meadows, Dragon Lines et Jungle Queen. Et je suis sur la fin de Zombie King. Comme tu peux le voir, je ne dors pas beaucoup !
Si tu pouvais travailler sur un personnage en particulier, lequel choisirais-tu ?
FC : J'ai travaillé sur presque tous les personnages que je voulais. Mais si je pouvais choisir, je dirais sans doute Conan.
Es-tu toujours un lecteur de bandes dessinées ? Si oui, as-tu quelques albums favoris ?
FC : Travailler dans l'industrie de la bande dessinée ne me permet pas de lire énormément et d'apprécier tous les titres que je souhaiterais suivre. Je me rends régulièrement tout de même dans une librairie spécialisée pour parcourir les sorties. J'y trouve beaucoup de choses intéressantes et agréables à l’œil. Je suis particulièrement Walking Dead, Invincibles, Hellblazer et Usagi Yojimbo.
Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
FC : Cela peut sembler étrange mais j'observe souvent ce que font des artistes en dehors de la bande dessinée pour y trouver de l'inspiration. Il y a deux artistes dont j'admire le talent et la productivité, il s'agit de Paul Rubens et de Norman Rockwell.
Si je t'offrais un super pouvoir, lequel voudrais-tu ?
FC : Je prendrais la capacité d'arrêter le temps pour que je puisse respecter les délais et que mon travail de créateur soit plus avancé.
Si tu n'avais pas eu de don pour le dessin, qu'aurais-tu fait ?
FC : Je serais sans doute dans le cinéma. Ou alors je pourrais faire de la peinture à l'huile, que j'exposerai dans des galeries. Ce sont par contre des choses que j'aimerais faire à l'avenir.
Un petit message pour tes fans français ?
FC : J'adore la France ! Mon espoir est de faire plus de bandes dessinées pour le marché français et européen. Merci à tous pour votre soutien et merci de lire mes livres un peu idiots.
Thank you so much Frank Cho !