Directeur de la collection Série B chez Delcourt, dans laquelle on peut trouver de magnifiques séries comme Travis, Carmen Mal Callum, Tao Bang et on en passe, les bédiens l'ont vu et disséqué pour vous, lors du festival Delcourt de Paris Bercy. Confidences d'un homme au coeur de l'action !
interview Bande dessinée
Fred Blanchard
Bonjour Fred Blanchard. Comment ça va ?
Fred Blanchard : Ca va bien, merci ! Grosse année pour Série B, parce qu'il y a des projets en cours qui continuent et d'autres qui commencent. L'année 2005 est aussi celle du 10e anniversaire de Série B, on va donc fêter cela comme il se doit!
Pour faire connaissance, est ce que tu peux nous parler de ton parcours ?
Fred Blanchard : Ca risque d'être un peu long, mais en gros, école d'art (ESAG / Penninghen), puis début dans la pub, ce qui ne m'a pas trop emballé. Je me suis donc lancé dans ce que je préférais : l'illustration. Puis j'ai sorti mon premier album chez Zenda en 1990, Ran Corvo, qui a précédé de peu ma rencontre avec Olivier Vatine, pour un projet qui n'a pas vu le jour. Petit à petit, l'idée de Série B a grandi, sur un coin de table, avec Tao Bang et Carmen Mc Callum. Avec Olivier, on l'a proposé à Guy Delcourt, qui a fini par nous faire confiance. On se retrouve aujourd"hui à la tête d'une collection qui va dépasser les 60 titres courant 2005. Et pour boucler la boucle, je sors cette année ma première bande dessinée en solo depuis 15 ans. En parallèle, j'ai travaillé de 1990 à 2001 au sein du studio de dessin animé Gangster en tant que chef déco, jusqu'à l'adaptation de Corto Maltese au cinéma par Pascal Morelli (Corto Maltese, La cour secrète des Arcanes), avec Didier Cassegrain (dessinateur de Tao Bang) au design des personnages et Virginie Augustin (dessinatrice de Alim le tanneur) au layout. Depuis, beaucoup de gens qui bossaient dans l'animation commencent à se reconvertir dans la bande dessinée !
Tu as "designé" Carmen Mc Callum et Tao Bang. Puis plus rien. Tu es trop occupé ?
Fred Blanchard : Après Ran Corvo qui n'avait pas du tout marché et sur lequel je m'étais beaucoup (trop ?) investi, j'étais un peu dégoûté. Je me suis donc reporté sur le dessin animé. Puis, en tant que responsable de Série B, j'ai commencé à travailler avec plein d'auteurs talentueux et ça m'a donné envie de m'y recoller. Sur Tao Bang, j'agis en tant que "béquille" pour Didier Cassegrain, qui adore s'occuper des personnages, mais un peu moins des décors. Pour Carmen Mc Callum, même principe. Il fallait établir un univers, et de fil en aiguille, une fois que le projet était lancé, on n'a plus eu besoin de moi, et c'est très bien comme ça ! Ces derniers temps, je me suis de nouveau investi à fond dans une bande dessinée... mais ça va être la mienne à moi tout seul (pour la partie graphique).
Et comment se passe la collaboration avec Olivier Vatine, à la direction de Série B ?
Fred Blanchard : On se répartit les séries, parce que ça demanderait trop de travail de s'occuper de tout. Si nous sommes d'accord sur l'essentiel, c'est presque deux entités séparées qui forment "la Direction" de Série B. Olivier développe des histoires très "grand public", du type Golden City, que je n'aurais jamais eu l'idée de faire et moi, j'aime bien m'occuper de projets qui proposent des univers tentaculaires, de type Arcanes. C'est cette diversité qui, à mon humble avis, fait tout l'intérêt de notre travail et du label.
On a vu sur le Web que la vocation de Série B est de renouer avec la bande dessinée de genre.
Fred Blanchard : Oui, on a créé ce label il y a dix ans, parce qu'on aime bien les romans, les films et la bande dessinée de genre. L'appelation "Série B" était par là même un pied de nez à la bande dessinée d'auteurs de type essentiellement autobiographique qui émergeait à ce moment là à l'Association, dont j'aime bien par ailleurs les parti-pris. Mais ça n'a pas été perçu comme ça par une partie du public qui nous a considéré dès le départ comme un label de demeurés, de seconde zone. Mais bon, on a dépassé le million d'albums vendus début 2005, et ça, c'est grâce aux lecteurs qui ont su dépasser leurs à prioris ! Les critiques, eux, ne nous ont pas fait de cadeaux, et ce dès le début. On n'est pas du tout reconnus pour ce qu'on fait vraiment, même par la presse spécialisée. On a donc un peu grandi tout seuls dans notre coin, mais on va essayer de remettre les choses à plat pour les 10 ans.
C'est une erreur de naissance ?
Fred Blanchard : Et bien, on pensait que les gens seraient plus intelligents. On se dit aussi qu'il y a des chapelles qui se combattent et que certaines d'entre elles ont plus facilement accès à la presse. Ils ont une écoute plus favorable des journalistes. Le problème de ces gens là, c'est qu'il sont un peu obtus, ils défendent leur petite chapelle. C'est vrai que Série B et L'association, ce n'est pas franchement la même chose, loin s'en faut, mais dans les deux cas tout ça a été entrepris avec rigueur et honnêteté, même si les albums qui en sortent n'ont absolument rien à voir à tout point de vue !
Tu te considères comme un dessinateur, un directeur artistique ou un éditeur ?
Fred Blanchard : Et bien... un peu tout cela à la fois ! Le fait d'être directeur de collection me place à un carrefour de la création, et me permet de participer à tout. Ce côté touche-à-tout me plait bien. J'aime m'immerger dans différentes façons de travailler. M'impliquer aux côtés des auteurs dans l'élaboration d'un scénario ou d'une planche, avec les impératifs que ça implique, me permet d'évoluer sur différents plans. Pour moi, c'est très enrichissant, et c'est ce que j'aime !
Comment se lance une nouvelle série ?
Fred Blanchard : Série B ou pas, c'est toujours un peu pareil. D'abord, c'est la rencontre de deux personnes, qui viennent ensemble ou qu'on fait se rencontrer. Pour dire la vérité, seul un projet nous a été amené par un tandem déjà formé: John Doe (de Baloo et Alain Henriet). Mais ça n'a pas tenu ses promesses, donc on a arrêté la série au troisième album. Et puis finalement, on a pu rebondir avec le dessinateur Alain Henriet, sur Golden Cup. C'est donc une erreur sans en être une. Mais on a toujours des petites antennes qui traînent à droite à gauche. Ça peut prendre du temps de lancer un projet, mais un jour ou l'autre, on va voir Delcourt avec un dossier bien avancé. Au début, il ne nous faisait pas trop confiance. On était plutôt des auteurs, et pas trop dans l'optique de développer une collection. Puis on a appris notre métier. Maintenant, Guy discute sur nos projets plutôt pour le plaisir de la discussion, parce qu'il nous connaît et nous fait confiance. Il nous laisse une grande latitude de mouvement, à tel point qu'on a parfois l'impression d'être indépendants... mais on tâche quand-même de lui faire régulièrement un état des lieux de nos travaux. Ce qui nous intéresse, c'est d'aider à créer des séries qu'on aimerait retrouver en librairie. C'est le plaisir qui nous guide. Donc le dernier maillon de la chaîne est important. Car si on n'arrive pas à transmettre aux lecteurs l'intérêt d'une série, notre travail ne sert à rien, mais pour l'instant ça s'est toujours bien passé !
Dans votre travail d'entremetteur, vous regrettez certains mariages ?
Fred Blanchard : Non. Petite erreur tout de même avec Arcanes, on a signé un peu vite avec Roland Pignault, le dessinateur des tomes 1 et 2, qui était avant tout un fan de base du travail d'Olivier Vatine. Heureusement, nous avons rebondi avec un nouveau dessinateur, Bojan Kovacevic, avec qui on a travaillé un an sans le voir, par Email, ce qui ne changeait pas grand-chose à nos habitudes de travil car, d manière générale, on travaille de façon un peu désincarnée avec les auteurs, car ils sont répartis un peu partout en France... L'Email, le fax et le téléphone sont notre lot quotidien ! Aujourd'hui, on élargit encore le champ géographique de nos investigations. On travaille avec des gens talentueux en Serbie, en Croatie, au Canada ! Tout ceci est en train de prendre une dimension nouvelle et "internationale" !
Et Olivier Vatine, il a mis comme toi un peu sa carrière de dessinateur de côté ?
Fred Blanchard : C'est un autre problème pour lui. Quand je l'ai rencontré, il était déjà un auteur reconnu pour Aquablue et moi pas encore grand-chose. Puis lui a voulu sortir du carcan de la bande dessinée, il a fait pas mal d'illustrations, d'animation. Mais tout ceci va changer avec son western à venir, Angela.
Ta biographie nous a appris que tu avais dessiné la quasi-totalité des décors du dessin animé Corto Maltese, la cour secrète des Arcanes. C'est hallucinant !
Fred Blanchard : Oui, n'est-ce pas ? J'ai travaillé pendant 10 ans avec Pascal Morelli, le réalisateur, qui, à l'époque de la sortie de mon premier album, venait de monter une boite de dessin animé, Story, avec notament Guy Delcourt. C'est comme ça que j'ai rencontré tout ce petit monde, d'ailleurs. Puis Pascal est parti de son côté, et Guy a continué de développer sa maison d'édition. Moi, j'ai continué avec les deux ! Je dirigeais à l'époque le département décor de la nouvelle société de Pascal, Gangster, sur des projets inégaux pour la télévision ou les networks Américains tels Calamity Jane, Arsène Lupin, Gadget Boy, etc... Le dernier projet de la boîte, avant qu'elle n'explose, fût prestigieux puisqu'il s'agissait de Corto Maltese, La cour secrète des Arcanes. A l'époque où nous avons commencé ce projet, nous étions deux décorateurs, mais le premier jour de production, mon collaborateur est parti : crise de paranoïa, impossible de le faire revenir sur sa décision. Il a donc fallu que je m'y colle tout seul... On a essayé de trouver des gens pour m'aider, mais on n'en trouvait pas qui répondaient aux exigences de Pascal Morelli. J'ai donc fini par dessiner tous les décors ! Vatine m'a aidé pour, allez, disons 10 décors dans le film... Virginie Augustin, qui venait d'intégrer l'équipe, s'est partagé entre les personnages, le layout et le décor. Mais j'ai du faire 90% du travail de décor tout seul. Donc on a fait le film, tout en continuant la série télé en parallèle, et en m'occupant pour ma part également de Série B, sans compter les illustrations pour les magazines auxquels je participais à l'époque, comme Science-Fiction Magazine. Je n'arrêtais pas ! Quand on sait que le film, même s'il a des défauts, a été fait essentiellement par 15 personnes qui ont réussi à accoucher du script, du model-pack, du storyboard, d'une partie de l'animation, du compositing, du montage, alors que sur une production de cette ampleur aux Etats-Unis on aurait été 10 à 20 fois plus nombreux… Depuis, l'animation Française s'est un peu effondrée sur elle-même. Pas mal de gens de l'animation sont revenus vers la bande dessinée. Du coup, on travaille maintenant à fond sur notre collection. On essaie de mettre en place des univers complets (par exemple Arcanes, Arcane Majeur, Arcanes premiers qui doit commencer à paraître en fin d'année). A ce propos, quand je lis sur des forums qu'on fait tout cela (des séries multiples exploitant le même univers) pour le blé, ça me fait mal. On est avant tout, nous aussi, des lecteurs. Si l'on met le maximum d'énergie dans Série B, le "fric" n'est pas LA motivation première des auteurs du label, même si on a tous à coeur de toucher des droits d'auteur.
On a entendu plusieurs auteurs nous dire qu'ils avaient été blessés par ce qu'ils lisent sur les forums internet.
Fred Blanchard : C'est vrai. Mais c'est intéressant aussi parce que ce sont quand même des lecteurs qui écrivent ça. C'est une variable dont je ne tiens pas compte, mais c'est intéressant. Ça me fait penser aux dédicaces. Il y a des gens qui viennent pour avoir un dessin, mais ils te disent en même temps qu'ils n'aiment pas ce que tu fais. J'avoue que je ne les comprends pas toujours ! D'ailleurs, soit dit en passant, la dédicace emmerde la plupart des auteurs tellement c'est un excercice stérile en terme de rapports humains... La plupart des gens qui vinnent se faire dédicacer leur bouquins prennent les auteurs pour des "distributeurs automatiques de dessins", dessins qui se doivent d'être les plus beaux et uniques possibles cela va de soi, sans ça ils sont mécontents en plus ces braves gens... Un comble ! J'aimerais que les séances de dédicace soient plus un espace de dialogue entre auteurs et lecteurs, mais bon faut pas trop rêver... Personnellement, ça fait trois ou quatre ans que je n'en fais plus, je profite des quelques festivals où je me rends pour faire mon boulot de directeur de collection, c'est bien plus interressant. Pour en revenir aux forums, souvent, le discours ne va pas très loin, du genre : c'est de la merde. J'aime entendre des avis, mêmes négatifs, lorsqu'ils sont argumentés, mais des avis de ce type... C'est sans intérêt, on a l'impression de retranscriptions d'appels téléphoniques anonymes !
Sur quoi travailles-tu actuellement ?
Fred Blanchard : Sur Série B ! Je suis en charge, comme je l'ai dit plus haut, de "l'univers Arcanes", et on développe une nouvelle série dans le style de la Loge Noire (chez Glénat) qui devrait sortir au deuxième semestre de cette année, voir à Angoulême 2006. D'ici la fin de l'année prochaine, on a pas moins de 10 albums qui devraient sortir dans cet univers ! . On vient de boucler le Art Of de Caza, puis on va travailler sur celui de Marc Caro (le co-réalisateur, avec Jean-Pierre Jeunet, de La cité des enfants perdus) qui sortira cette année. Ca n'a l'air de rien, mais ce type de bouquin représente énormément de travail et de temps. Il y a aussi mon album, Karmatronics, qui est le premier tome d'une série dérivée de Travis, sur Pacman, le copain de Vlad. On devait faire un one shot, Fred Duval et moi, mais on s'amuse tellement qu'on a décidé d'en faire 3 albums finalement, sur un rythme de 1 tome tous les deux ans. Je travaille aussi sur le tome 3 de Tao Bang. On ne veut désormais faire que des one shot sur cette série, parce qu'on sait que Didier Cassegrain est un peu lent. Alors mille excuses pour les 5 ans d'attente entre le tome 1 et le suivant. Une deuxième série sur Carmen Mc Callum devrait voir le jour également, tout en continuant la série principale.
Si tu étais un bédien, quelles seraient les BD que tu aimerais faire découvrir aux terriens ?
Fred Blanchard : J'aimerais leur faire découvrir des bandes dessinées, pas des BD pour commencer, nuance... et en priorité l'album que je suis en train de dessiner, qui va être assez spécial. Je pense que les lecteurs seront un peu décontenancés par l'univers proposé par Karmatronics, mais j'espère que ce sera dans le bon sens. L'action se passe dans des univers virtuels, alors il va falloir accepter les métamorphoses successives de Pacman etb des autres personnages qui jalonnent l'album!
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d'un autre auteur de BD, chez qui aurais-tu élu domicile ?
Fred Blanchard : Euh… J'aimerais être dans la tête de pas mal de gens, juste pour voir, mais Moebius est quelqu'un qui a exploré pleins de voies différentes de manière très interressante, et j'aurais bien aimé assister au processus de création qui a donné tant d'albums inoubliables, au premier rang desquels je placerais Le Garage Hermétique.
Merci Fred !