interview Comics

Gary Frank

©Urban Comics édition 2014

Depuis un peu plus de 20 ans, l'anglais Gary Frank régale régulièrement les lecteurs de comics avec un trait soigné, fin et personnel. Celui qui nous ravit de ses ambiances sombres dans Midnight Nation, nous régale ces derniers temps sur les personnages iconiques de DC Comics. En compagnie du scénariste Geoff Johns, Gary Frank nous a impressionné sur Superman et a fait encore plus fort avec Batman Terre-Un. Cet énième retour sur les origines du super héros a su se montrer bien plus intelligemment mené que d'autres et a surtout permis aux auteurs d'offrir un formidable récit aussi bien écrit que somptueusement illustré. Présent à la librairie parisienne Pulp's pour y célébrer le Free Comic Book Day, un événement qui se démocratise en France et qui consiste pour le lecteur à recevoir de la part de son libraire un album gratuit un jour dans l'année. L'occasion parfaite pour lire à l'œil et rencontrer ce brillant dessinateur.

Réalisée en lien avec les albums Batman Terre-Un, Geoff Johns présente – Superman, T3, Midnight Nation
Lieu de l'interview : Librairie Pulp's

interview menée
par
15 mai 2014

dédicace Power Girl Gary Frank Bonjour Gary Frank, peux-tu te présenter ?
Gary Frank : Je m'appelle Gary Frank et je dessine des comics depuis... Un long moment maintenant. 20 années et quelques, je suppose. J'ai percé en entrant chez Marvel UK avec Killpower & Motormouth et aussi quelques trucs avec Hulk et plusieurs autres choses au fil des années : Gen13, Supergirl, et plus récemment Superman et Batman Terre-Un qui ont été parmi mes derniers projets. J'ai fait quelques comics moins mainstream comme Midnight Nation avec Joseph Michael Straczynski, ce genre de choses.

Quelles sont tes influences ?
Gary Frank : C'est difficile à dire aujourd'hui. J'ai été fortement influencé par une poignée de personnes, à mes débuts mais alors que le temps passe je réalise que je me réfère moins à ce que font d'autres auteurs et je me contente d'apprécier ce que je fais moi. Je ne ressens pas nécessairement le besoin d'incorporer ce que font d'autres auteurs. Mais à l'époque où j'absorbais littéralement ce que faisaient les autres, c'était surtout Arthur Adams, Alan Davis, Jim Lee... Ce genre de personnes.

Comment décrirais-tu le style « Gary Frank » ?
Gary Frank : Je ne sais pas, je ne prend pas, à dire vrai... consciemment, de décision concernant le trait ou le style. J'en suis au point où ce qui m'intéresse, c'est la narration, faire passer le récit. Je ne m'intéresse plus vraiment au concept d'un aspect particulier. Le plus important pour moi est de réussir à raconter une histoire de la manière la plus claire et la plus divertissante possible.

Batman commission de Gary Frank Récemment en France, nous avons pu découvrir Batman Terre-Un. Que penses-tu de cette nouvelle version des origines du Dark Knight ?
Gary Frank : Clairement, je l'aime bien ! (rires) Je ne suis pas nécessairement un fan des reboots incessants mais je pense qu'il y avait des choses intéressantes à faire avec une histoire qui n'était pas forcément englobée dans une vaste continuité. C'était la chance de pouvoir... Je veux dire, la mythologie autour de Batman date sacrément et la manière dont l'histoire a débuté... Le monde a changé, les choses sont différentes, aujourd'hui et il doit donc y avoir une nouvelle approche du personnage. Par exemple, je ne pense pas que des motivations aussi simplistes que celles que l'ont connait et qui tenaient debout il y a des années de cela puisse encore avoir un sens aujourd'hui. Pour nous, il s'agissait surtout de nous intéresser à un personnage qui deviendrait peut-être un jour le Batman et d'explorer la façon dont il en arriverait là plutôt que de dire « Ok, on a Batman, on sait qui il est, voilà ce qu'il fait et voilà comment cela a commencé », ce n'était pas comme ça. Il s'agissait plutôt de prendre en charge et de faire évoluer, de manière organique, un personnage en une certaine version de Batman. Mais arriver à Batman, tel qu'on le connait, n'est pas notre objectif. Oon peut changer des choses et nous avons assez de liberté sur ce titre pour « bricoler » la mythologie du personnage et le rendre plus... Je ne sais pas, plus humain, plus crédible. Mieux défini dans le cadre d'un personnage contemporain, issu d'une époque où l'on peut se contenter de raconter les origines d'un personnage sur une page avant de le projeter dans l'action.

Au final, l'album a rencontré un vrai succès auprès du public...
Gary Frank : Oh oui, ça a été fantastique ! Le titre a été très bien reçu et on en a été très satisfaits. On savait que, comme on appréciait de travailler sur ce titre, le public allait quant à lui aimer le lire. Mais oui, les retours ont été très positifs. On est très contents et je sais que beaucoup de gens se sont dit « Oh bon sang, encore une énième version des origines de Batman » mais je pense qu'on a inclus assez de nouveaux éléments pour que ces mêmes gens soient quand même intéressés.

dédicace Pulp's Batman A quoi peut-on s'attendre dans la suite de Batman Terre-Un ?
Gary Frank : Je peux dire que... Maintenant que l'histoire est lancée, et que la plupart des personnages principaux ont été présentés, il y a beaucoup moins de mise en place à effectuer et on peut dorénavant se concentrer sur l'action. On a maintenant l'opportunité de pouvoir aller plus au fond des choses et de nous intéresser à la psychologie même des personnages. Les fondations sont maintenant toutes en place et il s'agit désormais de bâtir dessus.

Batman Terre-Un a été pensé comme un roman graphique. Quelle différence cela a t-il changé dans ta façon de concevoir cet album ?
Gary Frank : J'aime les mécanismes impliqués par un projet, le fait de devoir passer d'une étape à une autre. J'obtiens un script, je réalise les dessins, je détermine les couleurs, l'encrage puis le livre sort et on a les retours. J'aime beaucoup cette impression de sentir la machine avancer, de pouvoir observer la progression du projet. Or, quand on travaille sur un titre plus ambitieux, comme Batman Terre-Un, on se retrouve dans une sorte de vide sensoriel : on est isolé, on n'a pas de retour rapide sur ce que l'on fait et on a parfois l'impression que le titre n'existe pas. Après un moment, on se sent plus... Je ne dirai pas tendu mais on commence à ressentir le besoin d'avoir un peu de retour sur son travail. Mais bon, quand le livre finit par sortir et qu'on l'a en main, qu'on peut enfin en tourner les pages, on en ressent la richesse, la plénitude, et j'aime aussi beaucoup cette sensation, bien plus que de me contenter de réaliser 22 pages sur un pilote. Donc oui, c'est appréciable de pouvoir travailler sur une histoire qui est riche.

Batman dédicace Gary Frank Quels sont tes prochains projets ?
Gary Frank : Après Batman ? Je ne sais pas. On a parlé de plusieurs choses mais il est encore trop tôt pour en parler. Je pense que cela ne sera pas nécessairement un titre prenant place dans l'univers DC. Avec de la chance, je travaillerai alors encore avec Geoff et l'équipe créative sera alors la même. Je ne sais pas ce que je peux dire de plus.

Tu collabores très souvent avec Geoff Johns. Quel regard portes-tu sur votre collaboration ?
Gary Frank : Geoff et moi avons une bonne collaboration car nous aimons tous deux travailler sur le même type d'histoires. Tous les deux aimons les histoires centrées sur les personnages plutôt que sur les cadres grandioses ou les combats épiques. Tous les deux aimons nous plonger dans les personnages, les rendre humains et retranscrire leurs sentiments. Cela fait des années que je m'emploie à ce que mes dessins réussissent à faire passer ça. J'ai passé beaucoup de temps à étudier comment réussir à faire passer des émotions, les expressions du visage, le langage corporel... Et c'est ce vers quoi s'oriente ce que fait Geoff. Il ne s'agit pas nécessairement de mettre en place une intrigue complexe ou encore de retranscrire un superbe combat, il s'agît d'attirer les lecteurs et de les amener à s'identifier et à ressentir quelque chose pour ces personnages. Donc, de ce point de vue, nos deux approches se rejoignent et c'est une collaboration très heureuse.

Aurais-tu envie de te remettre à l'écriture d'un scénario ? Cela fait un moment que Kin est sorti...
Gary Frank : J'ai en quelque sorte satisfait ce besoin avec Kin. C'était chouette d'avoir plein d'idées et, pendant un temps j'ai pensé qu'il serait bon d'avoir un certain contrôle sur l'histoire, mais en travaillant avec Geoff, je retire beaucoup de cette collaboration. On discute tout le temps et je ne ressens plus le besoin de partir dans mon coin et de faire mon truc, tout seul. J'arrive à incorporer suffisamment de mes propres idées dans le récit pour en être content et j'arrive dès lors à me concentrer sur ce que je fais de mieux : l'illustration. Donc oui, Geoff peut se charger du reste. J'ai beaucoup de chance: je peux me contenter de demander « est-ce qu'on fait ci ou ça ? » et laisser un pro se charger d'incorporer ça à l'histoire et pour ma part prendre du plaisir à dessiner.

Gary Frank Pulp's Parmi tous les personnages sur lesquels tu as travaillé, peux-tu nous dire lequel est ton préféré ?
Gary Frank : Oui, même si ça a changé au cours du temps. Avant, j'aimais bien le Silver Surfer. Quand j'étais gosse, j'aimais Spider-Man... Je ne sais pas si c'est dû au fait que Hulk ait été si important pour ma carrière mais il est probablement mon personnage préféré aujourd'hui. J'ai aussi beaucoup aimé travailler sur Superman, pour DC Comics.

Es-tu un lecteur de comics et si oui, as-tu des lectures favorites dernièrement ?
Gary Frank : Pour être honnête, je ne lis plus autant que j'en avais l'habitude. Quand j'ai commencé, j'avais évidemment lu des comics auparavant, mais j'étais littéralement immergé dans tout ce qui touchait aux comics et je lisais tout ce que je pouvais puis, graduellement, au fil du temps et à mesure que je passais de plus en plus de temps derrière la planche à dessin et que je vivais dans cet univers des comics en tant que créateur, je me suis mis à aller chercher mes loisirs dans d'autres milieux. Je ne sais pas, je pense qu'à la fin de la journée, j'ai besoin de changer d'air, de milieu.

Blackest night Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre artiste pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Gary Frank : S'il s'agît d'acquérir quelque chose provenant d'un autre artiste, j'aimerais être capable de pouvoir puiser dans cette source de puissance dans laquelle Frank Frazetta allait toujours puiser. Ne serait-ce que... *soupir* Il est juste impossible de décrire ce que faisait ce type. Il y a tellement d'artistes, aujourd'hui, dont je regarde le travail et que j'admire, mais il y a très peu d'artistes dont je regarde le travail et où la seule chose qui me viennent alors à l'esprit est « Mais comment font-ils ? », et Frank Frazetta est de ceux-là. D'où viennent ces types, quoi ? Aujourd'hui, plein de gens arrivent à imiter le style de Frazetta. Si tu investis cinq années de boulot là-dedans, tu peux probablement parvenir à produire de très bons fac-similés de dessins de Frazetta, mais parvenir à faire surgir ça de soi, c'est tout bonnement incroyable. Je n'arrive pas à imaginer comment il a pu développer ce style. Maintenant, s'il s'agit de parler avec quelqu'un... Qui choisir ? Je pense que c'est nettement plus difficile, là. Tu vois, j'ai plein de noms en tête, des gens dont j'admire le travail, et je me dis que non, je n'aurais pas nécessairement envie d'avoir une discussion avec eux. Je ne sais pas, je pense à des musiciens, à des dessinateurs qui ont fait des choses fantastiques mais qui n'étaient pas forcément le genre de personnes auxquelles on souhaite parler. Tu sais, les artistes ont parfois tendance à avoir des personnalités très intenses. Est-ce que parler à Vincent Van Gogh serait aussi agréable que de contempler un de ses tableaux ? Probablement pas. Je ne sais pas, je vais devoir faire l'impasse sur cette question.

Merci Gary !

Remerciements spéciaux à la librairie Pulp's (visiter la page Facebook) et à toute son équipe (Anne, Arnaud, Florent et Stéphanie, ....), à Alain Delaplace pour la traduction et à Mickaël Géreaume pour ses questions et sa mise en forme !

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