Il est tout timide, mais dessine les pin-ups (et les jeunes filles en général) comme personne… Herval est l’un des deux papas de Tiffany – l’autre étant le prolifique Yann – une détective privée originale (elle peut entendre certaines pensées), qui enquête chez Delcourt. Son design caractéristique, un trait féminin et des touches pastels, accorde beaucoup de caractère à cette comédie policière saupoudrée de fantastique, qui trouve une harmonie de ton rare…
interview Bande dessinée
Herval
Bonjour Hervé. Pour faire connaissance, peux-tu te présenter (brièvement) ? Comment en es-tu arrivé à devenir dessinateur de BD ?
Herval : Je suis un dessinateur autodidacte. J'ai toujours été passionné de BD mais je n'étais pas sûr de pouvoir en vivre, alors je me suis orienté vers la pub, où je travaille depuis près de 20 ans... (ça ne me rajeunit pas !...) Depuis quelques années, je veux redonner la priorité à la BD. Je partage donc mon temps entre ces deux activités.
Comment as-tu rencontré Yann ? (comme toi – mais dans un autre registre – spécialiste de Pin-ups !)
Herval : C'est un scénariste avec qui je rêvais de travailler, mais je pensais que je n'avais pas le niveau pour intéresser quelqu'un qui a collaboré avec des génies du 9ème art, et tant de dessinateurs que j'admire : Franquin, Morris, Chaland, Conrad... Un ami m'a quand même incité à lui envoyer un petit dossier pour lui présenter mes dessins. Deux jours après, il m'a appelé. Mon dossier lui avait plu. Je n'en revenais pas. J'ai failli avoir une attaque !
Comment a germé la création de Tiffany ?
Herval : Avec Yann, on a passé un an ou deux à faire mieux connaissance en évoquant des thèmes ou des sujets susceptibles de nous intéresser tous les deux. A un moment, on a eu un projet de science-fiction, une autre fois, une histoire de pirates... Et puis un jour, il m'a parlé d'un projet avec une héroïne à la Audrey Hepburn, escrimeuse et détective, enquêtant dans la haute société... Je ne suis pourtant pas particulièrement amateur de polars, mais le "pitch" m'a plu tout de suite. Et le projet intéressait les éditions Delcourt, ça s'est concrétisé très vite.
Comment se passe votre collaboration ? Comment te livre t-il son scénario (story-board ? par bribes ?) Quelle marge de manœuvre te laisse t-il ?
Herval : Yann me donne d'abord un synopsis, qui raconte l'histoire dans ses grandes lignes, en 2 ou 3 pages. Ensuite, il développe, et me fournit un découpage sous forme de storyboard. Il m'envoie ça par séries de 5, 6 pages. On en discute, car il est ouvert à toute suggestion susceptible de rendre une page encore plus intéressante. Mais il a une telle expérience, que son découpage est assez inattaquable ! Du cousu-main... En général, je n'ai plus qu'à me mettre au travail, en adaptant tout ça à mon style de dessin. Au bout d'un mois environ je lui montre le résultat, et il m'envoie la série suivante de 5-6 pages... Et puis on discute aussi des nouveaux personnages, des lieux où situer l'action, de la documentation nécéssaire, etc..
Personnellement, je trouve que pour cette série, Yann a trouvé l’équilibre parfait. La juste dose d’humour, de « féminité », de suspens et de fantastique s’harmonise à ton graphisme élégant, réaliste mais pas trop. Est-ce toi qui t’es adapté à lui ou lui à toi ? Ou êtes-vous deux auteurs qui se sont « trouvés » ?
Herval : C'est sans doute ce qui a précédé la création de Tiffany. On avait tourné autour de différents projets. Je lui envoyais plein de dessins, et je crois qu'il a beaucoup réfléchi à ce qui conviendrait le mieux à mon style. De mon côté, je rechignais un peu à dessiner des voitures et des décors citadins mais je m'en suis accommodé, car le sujet me plaisait.
Tu réalises toi-même tes couleurs, aux teintes un peu pastels, « féminines »… mais idoines pour la série. As-tu fais plusieurs essais avant de déterminer ces choix ?
Herval : Non, pour de simples illustrations, il m'arrive d'essayer des choses différentes, au niveau de la couleur. Mais pour Tiffany, je me suis tenu à ce qui me vient le plus naturellement. Yann accorde beaucoup d'importance à la couleur, et c'est ce qui lui avait particulièrement plu dans mes dessins.
As-tu fais beaucoup d’essais avant de trouver les « bons » personnages ? A quoi a-t-on échappé ?
Herval : A une Tiffany en grande prêtresse sado-maso, combinaison latex et cravache à la main ! Je plaisante, bien sûr. ll me semble que les personnages, dans leurs grands traits, sont venus assez rapidement. Mais leurs caractéristiques se sont affirmées en travaillant sur des petits détails : Momo a une petite touffe de poils sous la lèvre, on a ajouté des lunettes au frère de Tiffany, Sherry n'a pas tout à fait le même style vestimentaire lors de sa première apparition. Désormais, elle est en baskets, et porte presque toujours une casquette. Ceci dit, j'ai l'impression que les personnages ne sont pas définitivement "fixés", et qu'ils peuvent encore évoluer graphiquement.
Lequel préfères-tu dessiner ?
Herval : J'aime bien animer le trio Tiffany, Sherry, Momo. Avec une préférence pour les deux filles !
Si tu avais une gomme magique, l’utiliserais-tu pour peaufiner l’un ou l’autre des deux premiers volumes ? Sur quelle(s) séquence(s), quel(s) aspect(s) ?
Herval : Je suis assez critique et insatisfait par mon propre travail. Si je m'écoutais, tout serait toujours à refaire! Il y a notamment une page du tome 2 sur laquelle je me suis acharné pour un résultat que je trouve un peu décevant. Je ne vais pas dire laquelle, je ne vais pas tendre le bâton pour me faire battre ! Je fais ça très bien moi-même... Et puis il faut aller de l'avant.
Y a-t-il un nombre de tomes prédéfini pour la série ?
Herval : Non, car la série fonctionne sur le principe d'épisodes one-shot : un album, une enquête. On peut les lire dans le désordre. Nous, on espère bien en faire plusieurs, mais ça dépendra du public. C'est devenu assez difficile de faire remarquer une nouvelle série, on mise sur le bouche à oreille... Pour l'instant , on est partis sur un troisième épisode. On verra après.
Peux-tu nous donner un scoop sur la suite ?
Herval : Tiffany se met au vert ! Elle sort enfin un peu de Paris pour aller enquêter en bord de mer, en Bretagne. Ça va me détendre de dessiner des arbres à la place des immeubles haussmanniens ! Ah, et Momo a une nouvelle voiture.
Combien de temps passes-tu sur un album ?
Herval : Environ un an. J'aimerais que ça aille plus vite, mais pour l'instant je ne peux pas faire autrement.
La bande dessinée est-elle un job à plein temps pour toi ?
Herval : Non, comme je le disais au début, je travaille aussi dans une agence de pub. Je n'y fais pas que du dessin, mais on me demande souvent des roughs ou des storyboards. J'ai négocié un mi-temps, pour que ça ne me prenne que l'après-midi. Il me reste le matin, la nuit et les week-end pour travailler sur Tiffany ! J'ai parfois aussi d'autres travaux d'illustration en freelance qui me retardent. Comme en ce moment. Je n'arrive pas à avancer correctement sur le tome 3, ça m'inquiète!
Quels sont tes projets ? En cours et/ou à plus long terme ?
Herval : A cause de mon emploi du temps, je ne peux pas multiplier les projets... pour l'instant je me concentre sur le tome 3. On verra ensuite, en fonction du succès de la série.
Y aura-t-il d’autres Pin-up chez Bamboo ?
Herval : Non, rien de prévu pour l'instant. Mais si l'éditeur nous en redemande, on est assez partants, Erroc et moi. C'était vraiment un boulot sympa. On s'était bien amusés à faire ça.
Envisages-tu de passer un jour au scénario ?
Herval : Non, pas du tout. Ou disons, de moins en moins. Il m'est bien arrivé d'avoir quelques idées et de réaliser des petites histoires, mais il y a suffisamment de scénaristes talentueux qui ne demandent qu'à trouver des dessinateurs, pour que je ne vienne pas jouer les scénaristes du dimanche... Je préfère me concentrer sur ce que je sais le mieux faire, dessiner, travailler la mise en scène, la narration en images.
Quelles sont tes références ?
Herval : En bande-dessinée ? Ceux qui ont eu une influence déterminante sont ceux que j'ai lu dans ma jeunesse et mon adolescence : Les "classiques", Goscinny & Uderzo, Hergé, Franquin, Morris... Les dessins animés et publications Disney, aussi. Et puis Giraud/Moebius. Ensuite, la liste s'allonge. ça va de Conrad à Berni Wrightson en passant par Bodart, Corben, Jamie Hewlett, Mignola, Alex Raymond, Wendling... pour n'en citer que quelques uns qui me passent par la tête.
Si tu étais un bédien (un habitant de la planetebd), quelles seraient les séries que tu conseillerais aux terriens ?
Herval : ça dépend à quels terriens. L'autre jour, en dédicace, je parlais à des gens de La quête de l'oiseau du temps... Ils n'en avaient jamais entendu parler ! Disons qu'en dehors des classiques bien connus, je reparlais récemment à quelqu'un de la série Donito de Conrad... Une série géniale pour les enfants, dont les 3 premiers tomes étaient en couleurs directes. .. une splendeur, dont je me demande toujours pourquoi elle n'a jamais rencontré le succès. Dans un registre différent, il y a les Plageman de Bouzard, qui m'ont fait pleurer de rire et que j'ai souvent recommandé aux copains. Enfin bref, il y en a paquet. Je pourrais aussi bien vous parler de mes dernières lectures : Rose et Isabel, de Ted Mathot, Brüssli le conquérant de Fonteneau et Etienne, L'intégrale tome 2 de Tif et Tondu...
Si tu avais le pouvoir cosmique de te téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD (pour mieux comprendre son talent), qui irais-tu visiter ?
Herval : Jean Giraud, probablement. Avec Gir et Moebius, ça fait au moins trois personnes à voir sous le même crâne.
Merci Herval !