interview Bande dessinée

Jim Bishop

©Glénat édition 2021

Dans son album publié chez Glénat, intitulé Lettres perdues, Jim Bishop aborde des thématiques touchantes. Séduits par son univers graphique, nous l’avons rencontré lors du festival Quai des Bulles à St Malo. Il nous a laissé entrer dans son univers acidulé, et nous avons plongé avec lui !

Réalisée en lien avec les albums Lettres perdues, Jill & Sherlock
Lieu de l'interview : Quai des Bulles (St Malo)

interview menée
par
22 novembre 2021

Bonjour Jim Bishop, peux-tu te présenter pour les lecteurs qui ne te connaissent pas encore ?
Jim Bishop : Je m'appelle Jim Bishop, je fais de la bande dessinée depuis l'âge de 12 ans et je n'ai jamais vraiment arrêté, même si j'ai eu envie parfois d'arrêter. J'ai sorti ma première bande dessinée pour moi tout seul quand j'avais 13-14 ans chez moi ! Non plus sérieusement, j'ai fait 4 bandes dessinées en tout. J'ai fait deux premières bandes dessinées en indépendant, qui s'appellent Nubo le gardien nuage qui étaient publiées aux éditions Bonstre. C'était vraiment une toute petite maison d'édition qu'on avait montée avec ma copine de l'époque. Et j'ai fait une BD chez Ankama, Jill et Sherlock, où j'avais juste écrit le scénario. Et puis voilà, Lettres perdues qui est tout récent, tout frais !

Justement, est-ce que tu peux nous parler de ce dernier titre que tu as publié Lettres perdues ?
Jim Bishop : La thématique principale c'est vraiment le deuil. Je voulais l’aborder de manière assez légère, parce que c'est quand même un sujet qui est lourd. Et du coup, j'ai voulu apporter un peu de légèreté avec des personnages qui sont frais, qui ont du caractère et auxquels tu t'attaches, pour que tu vives en fait l'aventure avec eux et que, quelque part, tu vives plus le deuil avec eux. Parce que tu vois, comme ça part d'un postulat personnel, je me suis dit que j'avais pas forcément envie de me mettre à nu directement. Je trouvais que ça pouvait être violent pour le lecteur et même pour moi. Et puis, de toute façon, moi de base ce que j'aime c'est inventer des personnages et des univers. Et du coup, ça se rejoignait bien, et j'aime bien l’alchimie que ça crée de mélanger des personnages avec un vécu personnel.
Copyright Bishop, Glénat

Est-ce que tu t'es inspiré de personnes que tu connaissais pour créer ces personnages charismatiques ?
Jim Bishop : Ouais ouais. Pour Iode, c'est un peu moi quand j'ai eu ma période de déni tu vois. Et puis dans son évolution. Même graphiquement, j'avais une coupe comme ça quand j'étais gamin, très blond (moins maintenant). Et pour Frangine aussi pareil, je me suis beaucoup inspiré d'une partie de mon caractère un peu en colère. Même de ma mère. Enfin, je pense qu'avec ma mère on a ce point commun d'être des gens un peu sensibles, mais on n'aime pas les injustices, on est un peu révoltés. Pour le design de Frangine, je me suis inspiré de Louise Bourgoin, parce que j'aimais bien. Je suis tombé sur une photo où elle avait un chignon, et je l'ai remixé bien sûr, mais je me suis dit que j'aimais bien le style. Et de base j'aimais bien son charme, bref j'ai trouvé ça stylé. Et après pour les vêtements, il y a une inspiration un peu lointaine de One Piece. Les membres du gouvernement ont tous de grands manteaux, et du coup je me suis dit ouais j'aime bien les manteaux qu'ils ont dans One Piece, ils sont trop cool. Pour le personnage de Cycy, c'est vraiment parti du fait que je voulais quand même parler du deuil, mais pas forcément de la perte d'un proche, mais aussi du deuil de nos ambitions, du deuil de choses qu'on peut faire. Et Cycy, il représente ça. Je voulais parler d'un personnage hyper ambitieux, tellement ambitieux qu'il en devient un peu con et très égoïste. Et du coup “égoïste” en anglais c'est “selfish”, et “fish” ça signifie poisson... Et c'est parti de ce jeu de mot à la base, je me suis dit : ah je vais faire un poisson ! Et après tout a découlé de lui en fait, sur tout l’univers. Je voulais que ça ait du sens au final.

Et pourquoi ne pas avoir créé un personnage de policier avec une tête de poisson, mais d’avoir dessiné un poisson policier dans un bocal ?
Jim Bishop : En fait, je me suis dit que j'aimais bien l'idée du poisson rouge. On dit que le poisson rouge perd la mémoire assez vite, je ne sais pas si c'est vrai mais c'est ce qu'on dit. Et je me suis dit c’est un personnage qui refait les mêmes erreurs, il tourne en rond dans son bocal, il est obnubilé par son ambition, et il fait n'importe quoi. Il est vraiment enfermé dans son truc et il a l'impression d'avoir raison. Et en plus, le pire, c'est qu'il ne se trompe pas forcément sur ses intuitions, mais par contre il en fait n'importe quoi à chaque fois. Et au final les gens aiment bien ce personnage, ils le trouvent drôle.
Copyright Bishop, Glénat

Tu as réussi à aborder des thématiques assez dures, avec beaucoup d’humour et d'absurde, c'est quelque chose que tu maîtrises facilement ou que tu as dû travailler ?
Jim Bishop : J'aime bien l’absurde de base, j'aime bien ça. Après je ne sais pas si je maîtrise, mais en tout cas c'est un genre d’humour que j'aime bien. J'en fais souvent dans la vraie vie et souvent c'est pas compris, c'est trop absurde. Et du coup j'essaye de dire “bah tu vois c'était une blague”... Mais l'absurde j'aime bien ça, dans Jill et Sherlock il y avait déjà un personnage de Tanguy qui faisait des blagues, et à chaque fois il faisait “ouais tu rigoles pas à ma blague”. Ca c'est vraiment en trait de ma personnalité que j'ai mis dans ce personnage, en mode personne rigole jamais à mes blagues, parce qu’elles sont nulles en vrai, parce que je suis vraiment hyper nul pour faire des blagues. Du coup j'aime bien l'humour, je trouve qu'en plus sur un sujet comme celui-là ça rajoute de la légèreté. Tu n’es pas concentré sur le deuil, en mode “ouais je sais qu'il va y avoir des trucs lourds”. Non mais pour moi c’est la vie, c'est comme ça que se passe la vie. Même si tu vois, un jour tu vas à un enterrement, tu sais que ça peut être une journée un peu lourde, dans la journée il y a des gens qui vont te faire une blague, et puis là tu vas relativiser. Et moi j'avais envie de ça, j’avais envie qu'on relativise beaucoup sur le sujet, même si je l’aborde de façon frontale à un moment, j'avais besoin d'exprimer ça.

Est-ce que cette légèreté que tu voulais apporter, s’est traduite dans le choix des couleurs qui sont très acidulées ?
Jim Bishop : Oui exactement. Alors déjà de base, j'ai une palette très acidulée, et j'aurais pu entrer dans des palettes de couleurs plus sombres, mais non. Déjà le fait de vouloir faire la mer, je voulais que ça respire. Je voulais qu'on sente, enfin moi j'avais ça dans ma tête, l'ambiance que tu as quand tu mets un coquillage près de ton oreille, et que l’on te dit que tu entends la mer. Je voulais vraiment qu'on ressente ça, mais c’était mon intention perso. Je voulais que ça passe par les couleurs, et puis je trouvais que ça pétait bien le jaune du personnage, ça rend un peu le côté on est à la plage, c’est un peu les vacances, il y a la chaleur, mais il y a quand même des trucs sombres qui se passent. C'est un monde qui vit !

Copyright Bishop, Glénat


Il y a un important contraste entre la douceur de la couverture, et les tons plus acidulés des illustrations de l’album. Est-ce que c'est toi qui a fait le choix de la couverture ?
Jim Bishop : Ouais, c'est moi qui ai choisi la couverture. Sur la première version de la couverture, il y avait les trois personnages en ligne, et tu avais plein de poissons de différentes races. Et j'aimais bien, mais elle était chargée. Alors que celle-ci, pour moi, ça représente l'émotion de Iode, sa solitude, le fait qu'il soit rêveur. Et pour moi, c’était quand même le postulat de base de la bande dessinée. Ça reste quand même l'émotion principale, la douceur et la solitude, le deuil. Et la folie arrive après. Et en plus, j'aime bien aussi finalement d'avoir surpris, c'est mon kiff perso, c’est pour faire un contrepied au ressenti qu’on a en regardant la couverture. Mais je trouve que ça ne trompe pas, je pense qu'on a cette émotion, on la retrouve à l'intérieur de l'album. Du coup, c’était un choix. J'aurais pu faire une couverture éclatée, avec plein de trucs, ouais regardez c'est fou ! Ça aurait été trop direct, trop “je vous annonce la couleur” et je trouvais que ça marchait bien le fait que ça soit épuré. Copyright Bishop, Glénat Dans tes dessins on retrouve plein d’influences, notamment Miyazaki : ça a été une influence majeure pour cet album ?
Jim Bishop : Oui c'est vrai, en réalité, ça a été la vraie seule influence que j'avais. J'avais les bouquins de Miyazaki, je m'étais acheté des artbook de Chihiro. J'avais acheté un artbook, où c'est des cochons qui font la guerre, c'est déjà un peu le mood de Porco Rosso. Et il a fait la BD Porco Rosso aussi, c'est que en japonais, et c'est ouf, il y a des chars et des avions. J'avais ce bouquin à côté de moi, j'avoue, c'est vraiment la seule inspi graphique. Après il y a d'autres trucs, ça se ressent moins je pense, mais il y a aussi un peu de Moebius, enfin tu vois c'est des grands maîtres de la bande dessinée. Et aussi un peu de Bob l'éponge, il y en a plein d'autres, mais Miyazaki c'est le plus présent.

Au début de l’histoire, on ne sait pas forcément que le personne d’Iode traverse une période de deuil, il attend une lettre qui n'arrive pas. Est-ce que tu parles d'une expérience personnelle, de cette attente de quelque chose qui n'est jamais venu ?
Jim Bishop : En fait, je pense que l'attente, c'est un sentiment que tu ressens quand tu es en deuil ou alors quand tu attends une réponse de quelque chose. Et du coup, la lettre pour moi, c’est le message qui va te libérer de cette attente. Je voulais parler de ça, parce que moi ce sentiment d'attente je l’ai eu longtemps, par rapport au fait que ma mère avait un cancer. Et il y avait l’attente de, malheureusement, on sait que ça va arriver, mais on sait pas quand. Et ça crée une vraie attente, pas une attente de “je veux que tu partes”, mais ça te figes dans le temps, tout s'arrête. Après, la période de deuil, il y avait le même sentiment, ou en fait tout s'arrête aussi, il s'est passé un truc, j'ai pas trop compris ce qui s'est passé, mais tout se fige autour de toi. La lettre au final ça correspond à un déclic. Il y a de la colère aussi, ça passe à travers le personnage de Frangine. Le postulat c'était vraiment la symbolique de l’attente.

Copyright Bishop, GlénatEst-ce que tu travailles sur d’autres projets en ce moment ?
Jim Bishop : Ouais, je travaille sur un autre projet en ce moment avec Glénat, toujours en solo. Dans l'idée, c'est pas la suite de Lettres perdues, mais l'émotion que je laisse dans on la récupère plus ou moins dans le prochain et après ça va autre part. C'est dans un autre univers, avec d'autres personnages, une façon d'aborder les choses un peu différente dans la narration. Relativement ressemblant, dans la palette, un peu plus sombre peut-être. Il y aura des thématiques qui vont se rejoindre. J'ai exploré une thématique dans Lettres perdues, et je me dis que j'aurais voulu en parler différemment. Normalement si tout va bien, ça sortira en 2022.

Si tu avais le pouvoir cosmique de rentrer dans le crâne d’un autre auteur, chez qui irais-tu voir le monde, et pour y trouver quoi ?
Jim Bishop : Y en a tellement… En fait, il y a des auteurs tu as envie de rentrer dans leur crâne, parce que tu ne les connais pas et il y en a qui se sont tellement dévoilés, que tu les admires, mais en fait il y a plus de questions. Mais je pense que je choisirais Akira Toriyama, j'aime bien. Parce que j'ai vu une interview de lui, et j'ai l'impression que ce gars il a l'air trop cool, trop chill, trop détente, il a l'air d'être quelqu'un aussi vachement introverti et j'aime bien ce qu’il dégage. J'ai vu une interview de lui sur Youtube, je crois que c'est une des seules d'ailleurs. J'aimerais bien voir comment c'est dans sa tête, je pense que c'est un gamin, c'est un enfant et je trouvais ça drôle. C’est tellement dur de choisir… Parce que Matsumoto j'aime beaucoup aussi… On peut faire les morts aussi ?? Alors ouais, non c'est bon j'ai une vraie réponse ! Osamu Tezuka parce qu'en fait sa créativité, ses idées, tout est en place, tout est fort, et j'aimerais bien aller voir juste cinq minutes, genre : comment tu fais ça ? Je choisis Osamu Tezuka, ça serait un pouvoir assez incroyable d’aller voir comment ça se passe dans sa tête, c’est trop fort, je pense que c'est mon auteur de manga préféré.