Les fans de french comics, qui plus est indés, ont en mémoire l'étonnant Capitaine LSD, de Jim Dandy (un pseudo). Un récit en Noir et Blanc au ton tragi-comique qui révélait une réelle profondeur en ne se limitant pas à caricaturer le genre super-héroïque. L'auteur, Mathias Fourrier (de son vrai nom), propose cette fois-ci une histoire complètement différente, L'écume des Ours. Une romance revisitée de La Belle et la Bête, en couleurs. Il s'est prêté avec engouement à l'exercice des questions-réponses.
interview Comics
Jim Dandy (Mathias Fourier)
Bonjour Mathias. On te connaît aussi sous le pseudonyme de Jim Dandy. Peux-tu te présenter ? :)
Mathias Fourrier : Salut ! Eh bien voilà, Jim Dandy c’est le type qui aime les super-héros, qui essaie d'en dessiner mais qui galère un peu. Mathias c’est celui qui lit des comics indé et fait des fanzines. Ils sont incompatibles alors je les ai dissociés. En gros je préfère être moi-même (Mathias) mais parfois Jim prend le dessus... et puis faut bien avouer que c’est quand même fun de dessiner des super-héros !
Peux-tu nous parler de ton parcours et ce qui t'a amené à faire de la bande dessinée ?
Mathias Fourrier : Je crois que j'ai fait de la BD pour garder une trace des choses qui me semblaient importantes (quand j'étais enfant) : retranscrire des histoires inventées par mon père, le film de La Guerre Des Etoiles (y avait pas de magnétoscope à cette époque,enfin pas à la maison), un album du Scrameustache vu à la TV dans Temps X ou Récré A2... Il y avait cette idée de garder une trace de ces choses qui m’avaient fascinées. Je crois que j’avais peur de les oublier, du coup je les dessinais de mémoire. Après ça j’ai découvert Strange et je ne rêvais plus que de Spider-Man. Pour résumer mon parcours je dirais que j’ai fait deux ans de Beaux-Arts à Tournai et après j’ai travaillé chez Semic, principalement sur Zembla et parfois avec Franc Oneta. J’ai aussi bossé comme scénariste à la TV sur des dessins animés ( Iron Man et le Petit Nicolas ) et j’ai eu la chance de réaliser mon premier album "Capitaine LSD" ainsi qu’un comic d'Ozark. Ca fait peu, mais j’ai toujours bossé à temps complet dans la restauration ou l'hôtellerie en parallèle. Je crois que je ne voulais pas faire que de la BD, car l’inspiration me vient de ce que je vis et un dessinateur reste beaucoup assis à sa table. Mais aujourd'hui je commence à avoir envie d'une vie moins harassante, en gros si je pouvais rester assis un peu plus ce serait parfait.
On t'a connu avec Capitaine LSD, un drôle de personnage désabusé. Le récit mélangeait parodie de super-héros, critique politique et romance humoristique. Comment est né ce projet et comment l'as-tu conduit ?
Mathias Fourrier : Ce projet est né de mon jury de fin d'année aux Beaux-Arts. J’ai vu que le personnage de Capitaine LSD avait vraiment plu aux autres élèves. Après des gens de la classe ont lancé un fanzine, Porophore et j’ai pu travailler avec eux. Dans ce personnage désabusé il y a pas mal de moi. Et c’est vrai que j’adore passer d'un genre à l’autre, je trouve que ça permet de mettre en valeur certaines choses. En fait c’est un peu comme dans la vie... Peut-être que j’ai tenté une autre approche du roman graphique autobiographique ?
Ce comic book comporte un grand nombre de références aux super héros et auteurs. Quelles ont été tes influences dans ce registre et plus généralement ?
Mathias Fourrier : J’ai grandi avec Strange d'abord et j'ai eu la chance de découvrir en album des auteurs comme Ditko, Kirby, Lee ou Colan. Et quand j’ai eu de l’argent de poche, on était en pleines 90s' et j’ai vécu très intensément toute l’évolution des comics à cette époque : McFarlane sur Spidey, Liefeld sur X-force, Quesada, Larsen, les couvertures spéciales, puis les comics Valiant de Shooter et enfin l'indé avec Clowes, Allred, Pope, Lapham, Jeff Smith, Seth, Bagge ou Kieth c'était vraiment très riche et super formateur. Chaque comic de cette époque reste gravé comme une étape de ma vie (c’est pour dire l'importance que les comics ont pu avoir à une époque pour moi).
Ton actualité, c'est "L'écume des ours", une histoire intimiste très différente de ton bouquin antérieur. Comment en parlerais-tu ?
Mathias Fourrier : Je pense que Capitaine LSD était déjà intimiste...L’écume, c’est encore une histoire d'amour avec de l'humour, et pas mal de réflexions qui me sont personnelles. J'y expose ma vision en fait. A l'école je me suis souvent senti comme le héros, Jean-Louis. Moqué, mis à part. Mais je m’en suis assez vite et plutôt bien tiré. J'y parle aussi du milieu de l’entreprise, de la naissance du sentiment amoureux, du sexe...Ma femme dit que c’est un comic pour filles, elle dit pareil de Capitaine LSD. Le truc c’est que j’écris avant tout pour moi-même. C'est bizarre...
Pourquoi d'ailleurs avoir choisi de le publier sous ton nom et pas sous ton pseudonyme ?
Mathias Fourrier : Je pense que j'ai maintenant le courage d'assumer mes délires. Enfin j'espère. Du moins une fois que la BD est publiée je n'y pense plus et je l’oublie peu à peu. Du coup je me sens moins concerné.
Jean-Louis, dit l'Ours, est un personnage particulièrement atypique. Comment t'en est venue l'idée ?
Mathias Fourrier : J’ai trouvé chez mon grand-père une photo d'un type très poilu dont la frange et la barbe se rejoignaient presque, avec ma sœur ça nous a beaucoup amusés. Un jour on m’a demandé de développer des strips pour "A Nous Paris", c’est comme ça que j’ai créé cette histoire. D'ailleurs si tu observes bien la plupart des pages sont composées de deux strips mis l'un en dessous de l’autre. Il faut aussi savoir (ou pas) que la première page a été dessinée en 2002. La dernière en 2015 ! J’ai laissé ce projet de côté près de 10 ans après qu’il ait été présenté à tous les éditeurs de l’époque. C’est quand mon pote François Duprat (Space Kariboo) a voulu dessiner le projet que j’ai eu envie de le reprendre. Bon ça aurait aussi été géant que François le dessine cela dit !
Ce comic book est la première publication de Mega Low Comics. C'est une association Loi de 1901 dont tu es le président. Parle-nous donc de cette aventure.
Mathias Fourrier : J'ai eu la chance d'acheter à leur sortie toutes les publications de Horse Press, la boite de Paul Pope, au milieu des 90s'. Ça a changé ma vie! Je les lisais, les relisais, les emmenais partout. Et quand j’ai eu la chance de rencontrer l’auteur juste avant d’entrer aux Beaux-Arts je me suis dit que je voulais faire exactement comme lui ! Le guide "How to self-publish comics" de Dave Sim m'a aussi bien instruit. L'objectif pour l'instant c’est de ne pas perdre d'argent et d'avoir assez pour réinvestir dans d'autres livres. Ça correspond bien au fonctionnement d'une asso. Mais c’est sûr que si j'arrivais à avoir ne serait-ce que 500 lecteurs réguliers je pourrais vraiment me consacrer à cette activité et envisager d'être autoentrepreneur. Ça m'intéresserait en effet. Mais sinon je retournerai sans problème dans la restauration ferroviaire !
Tu proposes aussi différentes modalités de commandes pour L'écume des ours. Du poster, des trading cards, des dessins et dédicaces. Ça se passe comment ?
Mathias Fourrier : Et bien sur le comic-book à 5 euros je me fais une petite marge, mais si j’ajoute une dédicace et un poster je peux proposer un prix plus élevé. Comme ça personne n'est pénalisé : ceux qui veulent juste la Bd peuvent l'avoir à 5 euros, ceux qui veulent un dessin et un collector peuvent le recevoir pour 15 euros. Ça me parait juste. Le coupon se présente comme une trading card (inspirée par la série X-men de Jim Lee 92' de chez Impel). C'est la première d'une série de 3, il y aura un coupon diffèrent dans chacun des trois premiers comics publiés par Mega-Low, la personne qui aura les trois coupons pourra les échanger contre un comic-book : Capitaine LSD#0. Ce sera 100% gratuit !!! (moins les frais de ports). En tant que fan de comics, c’est exactement le genre de choses que je trouvais follement excitante !! C'est une idée que Shooter avait mise en place chez Valiant et qui fut par la suite reprise chez Image et Malibu...Vous pouvez aller jeter un œil sur le site http://mega-low-comix.com/ pour tout savoir !
Deux titres sont déjà annoncés pour l'an prochain. On veut des infos et des scoops !
Mathias Fourrier : Ah ! Et bien j’ai déjà sous le coude un 24 pages crayonné de Capitaine LSD, c’est une histoire qui se passe à la Noël 82 en Norvège après l'enlèvement du Père Noël. C'est pour le coup très géopolitique et beaucoup moins intimiste. Le Capitaine LSD de cette époque n'est pas encore alcoolique et il arbore une sacrée coupe mulette. Pour le troisième comics, je ne suis pas encore sur de ce que je veux faire. Soit une anthologie appelée " Super Fun Comix" avec 4 histoire et des strips, soit un one-shot appelé " Le Grand Carnaval" un truc plutôt sérieux, ou alors je me lance dans la deuxième partie de "L'Ecume des Ours" qui mettra en scène le personnage que l'on découvre sur la dernière page du premier one-shot. En parallèle je travaille à l'illustration d'une nouvelle sur le personnage du Blaireau (apparu dans Capitaine LSD), écrite par l’auteur Gilles Peyroux (http://donnie-jeep-productions.com/)
Tes remerciements à Thierry Mornet ne nous ont pas échappés. Est-il question d'une collaboration pour Le Garde Républicain ?
Mathias Fourrier : Thierry est quelqu'un de très important dans mon parcours. Même si ce que je fais n'a rien à faire chez Delcourt, il a toujours été là pour me conseiller et m'aider, ce depuis presque 15 ans. On voit déjà le Garde Républicain dans Capitaine LSD, en 2010, avant même qu’ il ne se lance dans cette aventure ! C'est aussi moi qui ai fait le design de l'identité civile du Garde des 60s'… Donc oui, c’est sûr qu’un jour ou l'autre je dessinerai du Garde :) Mais nous avons avant cela un projet (avec d'autres dessinateurs de la Semic) qui paraîtra cette année. Thierry l’annoncera surement au début de l'année !
T'accordes-tu encore le temps de lire des comics et lesquels as-tu aimés dernièrement ?
Mathias Fourrier : J'adore les comics !!!! Ça faisait 11 ans que je travaillais à Londres et il s'est rarement passé une semaine sans que je passe à Forbidden Planet ! Ma série préférée c'est "Stray Bullets", et de très très loin. J'adore aussi "Tuki" et "Afterlfe with Archie". Je finance également tous les kickstarters de Steve Ditko. A 86 ans, il a vraiment une démarche fascinante dans son oeuvre. Pour me détendre je lis tous les titres Valiant et quelques séries Image et d'autres Marvel.
Revenons à ton travail. Tu te charges de tout : écriture, dessin et couleurs. Parle-nous de ta façon d'articuler les étapes de création.
Mathias Fourrier : Je commence toujours par écrire le scénario. D'abord un synopsis et ensuite les dialogues. C’est souvent l'étape la plus longue et la plus difficile. Mais c’est aussi celle que je préfère. Ensuite vient le story-board. C’est très très long, mais également cruciale. Il n'y a qu’avec un bon story-board que je peux arriver à crayonner une planche sans trop de douleur. Le crayonné est vraiment le plus difficile pour moi, ce qu'il y a de moins naturel, je n'ai pas le dessin facile. L'encrage par contre j'adore! C'est même une passion. Une grande partie des pages de "l'écume" ont été dessinées directement à l'encrage. La couleur vient à la fin, c’est assez récent pour moi, mais tout comme l'encrage j'adore ça ! Le lettrage c'est pénible par contre... Je n'ai pas encore trouvé la bonne façon je pense, ou le bon logiciel. La création de fichiers pour l'impression est assez stressante car on ne peut pas se tromper.
Si tu pouvais accéder à l'âme d'un auteur ou artiste, pour en comprendre le processus créatif, ses techniques etc..., qui choisirais-tu et pourquoi ?
Mathias Fourrier : J'avoue que Salinger m'intrigue beaucoup. Y'a un tel mystère autour de lui. Et puis son style est juste impeccable, j'adore ses "non-dits" et sa façon de nous plonger dans le récit sans préliminaire. Pour la BD ce serait probablement Dan Clowes parce que je trouve que c’est un génie. Il est aussi drôle que malsain. Hugo Pratt ça doit être pas mal non plus. David Lynch ça me tenterait bien, ou alors Roger Waters ou Kurt Cobain mais ça pourrait être glauque.
Merci Matthias.