interview Manga

Jun Mochizuki

©Ki-oon édition 2010

Jun Mochizuki est l’une de ces rares auteurs féminines de shônen, d’autant plus remarquable que son titre Pandora Hearts se classe dans les 10 meilleures ventes au Japon. Venue en France à l’occasion de Japan Expo, Ki-oon lui avait préparé un accueil royal avec un stand complet dédié à une exposition sur son travail. Au milieu de son programme surchargé, nous avons eu le loisir de lui poser quelques questions.
(Interview réalisée à Japan Expo 11 conjointement avec actuabd.com, mangavore.fr et unificationfrance.com)

Réalisée en lien avec l'album Pandora Hearts T3
Lieu de l'interview : Japan Expo 11

interview menée
par
22 septembre 2010

Unificationfrance : Actuellement, plus de 10 volumes de Pandora Hearts sont publiés au Japon. Combien comptez-vous en réaliser et connaissez-vous déjà la fin du récit ?
Jun Mochizuki : Pour ce qui est de la longueur de la série, je pense qu’on va terminer la série vers le volume 20. Pour la fin, je n’ai pas encore de scénario définitif mais j’ai quand même une certaine idée de la direction à prendre.

Unificationfrance : Tout le monde connaît le rôle d’un tantô (NDR : responsable éditorial de l’auteur qui gère avec lui le développement de son manga) dans l’élaboration d’un manga. Quelle importance a le votre dans votre histoire : est-ce un guide ou vous donne-t-il des indications dans le récit ?
Jun Mochizuki : Comment vous dire… Je suis un peu gênée car le tantô en question est justement derrière vous. Je dirais que c’est une grande gueule qui dit tout ce qu’il pense ! (rires) C’est lui qui m’a appelée pour me dire que j’avais gagné le concours organisé par Square Enix. J’étais tellement heureuse que je lui ai répondu que je venais le voir dès le lendemain. Et le lendemain, quand j’ai pu le voir, ça a été une douche froide car il m’a dit « tu sais, tu ne sais pas dessiner les filles, elles ne sont pas mignonnes, et puis ton style est un peu vieillot, etc. ». Bref, c’était une grande douche froide ! Il sait manier le bâton et la carotte, mais il me donne très peu de carottes et beaucoup de coups de bâton ! (rires) Voilà les rapports que j’entretiens avec lui. C’est la première fois que je rencontre quelqu’un qui me tape autant sur les nerfs ! (rires)

Actuabd : Par rapport à l’œuvre de Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, qu’est ce qui vous a inspiré dans cette œuvre ? Qu’en avez-vous retenu et comment avez-vous construit votre propre univers à partir de cela ?
Jun Mochizuki : Avant d’écrire Pandora Hearts, j’ai dessiné un one-shot du même nom, également dans un magazine de prépublication de Square Enix, mais au contenu différent. Lorsque j’ai écrit ce one-shot, je voulais absolument une trame de fond que chacun puisse reconnaître facilement. C’est pour cela que j’ai eu l’idée de choisir Alice au pays des merveilles comme trame de fond. A partir de là, j’ai creusé un peu le sujet et je me suis rendue compte que j’aimais beaucoup l’atmosphère de l’Angleterre victorienne. J’ai donc décidé pour cette version longue de Pandora Hearts de continuer à utiliser cette œuvre comme toile de fond.

Illustrations couleurs de l'auteur
Illustrations couleurs de l'auteur présentées dans l'exposition

Actuabd : Est-ce que le personnage d’Oz s’appelle comme cela à cause du magicien d’Oz et, si c’est le cas, dans quelle mesure cela a inspiré votre travail ?
Jun Mochizuki : Oui, je me suis inspirée du magicien d’Oz mais ça n’a rien à voir avec l’histoire. Lors de la conception de l’histoire de Pandora Hearts, le personnage d’Oz, qui s’appelait à l’époque Til, était un personnage secondaire qui était là pour accompagner Gilbert, qui était alors le personnage principal. Et puis mon responsable éditorial m’a dit d’inverser. J’ai donc décidé d’inverser - enfin, j’ai suivi son avis en fait (rires). Et là je me suis dit que Til, c’était un peu mignon comme nom, mais que ça n’avait pas d’impact. Je voulais absolument un nom à 2 lettres, alors j’ai décidé de l’appeler Oz, j’aime bien cette sonorité. Et quand j’ai proposé à mon tantô d’ajouter aussi un personnage qui s’appelle Dorothée, il m’a dit que j’exagérais et qu’il ne fallait pas faire de la parodie (rires). Donc je me suis arrêtée à Oz.

Dédicace de l'auteur
Dédicace de l'auteur

Actuabd : Pour revenir à la trame inspirée par Lewis Carroll, il y a des controverses entre fans pour savoir si on peut faire une correspondance entre le personnage d’Alice chez Lewis Carroll et Oz dans Pandora Hearts, ou avec Alice elle-même, et puis également avec le Lapin blanc, les deux pouvant correspondre l’un à l’autre, et vice-versa. Quel est votre point de vue là-dessus ? Comment les choses se sont-elles structurées ?
Jun Mochizuki : En fait, au Japon, je pense que finalement très peu de gens ont lu l’œuvre originale de Lewis Carroll. Evidemment, tout le monde a vu le film d’animation de Disney mais très peu de gens connaissent l’œuvre originale. Donc il n’y a pas ce genre de controverse. Du coup, je suis très surprise que les fans français aient ce genre de discussion sur les correspondances entre les personnages. Comme je vous l’ai dit tout à l’heure, Alice au pays des merveilles n’est pour moi qu’une trame de fond : j’ai pris juste quelques éléments et je n’ai jamais eu l’intention de me placer par rapport à ce livre là. Je ne me prononcerai donc pas sur cette question. Je dirai simplement que les lecteurs sont libres de penser ce qu’ils veulent et que c’est très bien ainsi : s’ils veulent discuter sur ce genre de correspondance, j’en suis heureuse.

Planète BD : Avez-vous le temps de lire des mangas ? Vers quoi vont vos préférences et quels sont ceux qui vous ont influencée ?
Jun Mochizuki : Je lis beaucoup de manga, beaucoup plus que lorsque j’étais étudiante. D’abord car je suis libérée des contraintes financières : je peux en acheter autant que je veux. Et puis, chaque fois que j’achète un manga, je me dis que je ne fais pas ça pour mon plaisir mais que c’est du travail (rires). J’ai toujours une justification. Pour les genres, je lis vraiment de tout : shônen, shôjo, seinen, je dévore tous les mangas qui sont publiés. En lisant les mangas écrits par les autres, je me dis parfois « ça c’est une bonne idée, ça c’est à éviter... » mais je ne peux pas les nommer. Lorsque j’étais petite, j’étais abonnée au magazine de prépublication Shônen Jump et j’étais très fan de La quête de Daï (Dragon quest). Plus récemment, je suis devenue une très grande fan de Arakawa Hiromu, de Fullmetal Alchemist, et c’est cela qui m’a motivée à envoyer mes planches à Square Enix.

Les ex-libris tirés par Ki-oon pour la venue de l'auteur en France
Les ex-libris tirés par Ki-oon pour la venue de l'auteur en France

Planète BD : Vous disiez aimer et lire tous les genres de mangas. Envisagez-vous de dessiner vous même dans des genres très variés durant votre carrière ?
Jun Mochizuki : Oui, je pense que c’est nécessaire pour explorer mes possibilités techniques en tant que mangaka, et j’aimerais toucher à tous les genres. Mais si vous me demandez quel genre j’aime actuellement, c’est surtout la fantasy. Je ne vais par exemple pas me mettre à dessiner aujourd’hui une histoire qui se passe au Japon actuellement, à Tokyo, parce que c’est trop réel. Je ne suis pas prête à dessiner ce genre de chose. Pour le moment, je veux rester dans ce monde onirique, de fantasy. Pour ce qui concerne les tranches d’âge du public visé, je n’ai pas d’a priori. J’aimerais dessiner des mangas qui correspondent à tous les âges, même si peut-être que mon responsable éditorial a une certaine idée du public visé, même s’il ne me le dit pas. De mon côté, je ne vise pas une tranche d’âge en particulier. Et pour ce qui concerne le public masculin ou féminin, j’aimerais toucher un public mixte.

Mangavore : Lors de vos séances de dédicaces, vous avez souhaité être isolée sous une tente. Pourquoi ? Est-ce pour préserver le fait que vous êtes une auteur féminine de shônen ?
Jun Mochizuki : C’est juste que je suis une grande timide et que, lorsqu’il y a beaucoup de monde autour de moi, je stresse.

L'exposition présentait les costumes des personnages en taille réelle
L'exposition présentait les costumes des personnages en taille réelle

Mangavore : Malgré votre emploi du temps très chargé, avez-vous eu le temps de visiter Paris, la France ? Qu’est ce que vous pensez des français ?
Jun Mochizuki : Justement, j’ai eu l’occasion de visiter le mont Saint-Michel avant le début de Japan Expo. J’ai adoré, j’en étais émerveillée. Pour ce qui est de Paris, je n’ai pas eu l’occasion de visiter beaucoup et surtout, je n’ai pas pu faire de shopping alors c’était un peu dommage, c’est un peu triste. Quant aux hommes français, ils sont exactement comme je le pensais, mais les femmes sont beaucoup plus fortes que je ne l’imaginais. Les hommes ici sont des gentlemen. Par exemple, au Japon, quand on va au restaurant, vous pensez que les hommes tiennent la porte ? Et bien non pas du tout ! (rires) Les français sont des gentlemen : ils laissent toujours passer les femmes, etc.

Dédicace géante de l'auteur sur le mur de l'exposition consacrée à Pandora Hearts
Dédicace géante de l'auteur sur le mur de l'exposition consacrée à Pandora Hearts

Mangavore : Que pensez vous de la loi japonaise de la protection de la jeunesse qui n’est pas encore passée, mais qui pourrait être présentée au parlement (il s’agit d’une loi qui interdit toute représentation d’une partie nue du corps d’un enfant) ?
Jun Mochizuki : Evidemment, si cette loi passe, je serai un peu embêtée avec Pandora Hearts. Je comprends l’avis de ceux qui ont soutenu cette proposition de loi, mais je suis pour la liberté d’expression, donc je suis contre.

Merci !

Merci aux éditions Ki-oon

Dédicace géante de l'auteur sur le mur de l'exposition consacrée à Pandora Hearts
Dédicace géante de l'auteur sur le mur de l'exposition consacrée à Pandora Hearts

Toutes les illustrations de l'article sont ©Jun Mochizuki / SQUARE ENIX CO., LTD.
Toutes les photos sont ©Planète BD