Inconnu jusqu'ici en France, Koh Hong Teng est un artiste originaire de Singapour. C'est en adaptant le roman Gone Case de Dave Chua en roman graphique, sous le nom de L'homme de la maison, que les lecteurs français ont pu découvrir les talents de ce dernier. Par le biais des éditions Steinkis, nous vous proposons un entretien qui vous permettra de mieux connaître l'auteur mais également l'accueil de la bande dessinée dans son pays.
interview Bande dessinée
Koh Hong Teng
Les questions sont l'œuvre d'Elisabeth Haroche.
Pourquoi avez-vous choisi de faire une adaptation et non d’écrire une histoire originale ?
Koh Hong Teng : Avant cette adaptation, j’ai écrit assez facilement plusieurs histoires courtes, mais j’avais toujours voulu travailler sur un projet plus long et partir d’éléments existants m’a alors rassuré, ma priorité étant la gestion du temps. Et là, je suis tombé sur le roman de Dave, nous avions travaillé ensemble lors de mon exposition : voilà comment tout a commencé.
Pour quelles raisons avoir choisi le roman Gone Case ?
Koh Hong Teng : C’est une histoire qui me renvoie à mon histoire personnelle... Rien que cette expression, « gone case », c’est comme ça que m’appelait un de mes profs de primaire quand je passais mon temps à griffonner en classe au lieu d’écouter : c’est un peu un cas désespéré, un bon à rien, quelqu’un qui gâche ses chances.
Dites-moi s’il y a des similitudes entre la vie de Yong et votre propre jeunesse ?
Koh Hong Teng : Oui et non. Au même âge j’ai vécu ce passage du fameux PSLE (examen d’entrée au collège à Singapour), j’ai vécu la disparition de proches (c’est surtout cela qui m’a donné envie d’adapter le roman) et puis j’avais aussi la nostalgie de ces premiers tremblements du cœur. Sinon, je n’ai jamais eu de mauvaises fréquentations ni de problèmes comme ceux que Yong a avec ses parents. Et comme le dit un proverbe chinois : « la famille a toujours un passage désagréable à lire », ce qui signifie qu’il n’y a pas de famille sans histoire triste.
Est-il courant, à Singapour, de voir deux religions coexister dans une même famille ? La tante de Yong est catholique et fait chanter sa mère dans la chorale de l’église. Alors que plus tard cette dernière aura des funérailles taoïstes...
Koh Hong Teng : L’oncle et la tante de Yong ne vivent plus sous le même toit dans l’histoire. Cela dit, c’est assez courant qu’il y ait plusieurs religions dans une même famille, surtout chez les Chinois.
Est-ce que les cités ont une mauvaise image à Singapour, celle de lieux défavorisés où il est difficile de vivre ?
Koh Hong Teng : En réalité, tout dépend de ce que vous appelez « cité ». Je pense que dans la plupart des pays, il y a des quartiers réservés jouxtant des zones plus difficiles sans que l’architecture soit l’élément discriminant (pratiquement tout Singapour est une ville moderne). On trouve des zones, comme celle où je vis actuellement, construites il y a trente ans, et que nous considérons comme de vieux quartiers, à côté de zones plus récentes ayant bénéficié d’un travail d’architecture et d’urbanisme de meilleure qualité. Donc du point de vue de l’habitat, au sens strict, on ne peut pas dire qu’à Singapour, les gens sont mal logés.
Pourquoi est-il difficile d’avoir douze ans pour Yong ?
Koh Hong Teng : C’est tout simplement qu’à cet âge, on est plus un enfant et pas encore un adolescent. En plus, à Singapour, ça correspond à l’examen d’entrée au collège qui est un passage clé dans la vie de chaque enfant. Au moment où il se prépare à cet examen tant redouté, Yong sent peser sur lui toute la pression de son entourage. Dernièrement, il y a même eu des débats au sujet de l’abandon du système de notation dudit PSLE. Dans l’histoire de Yong, ce qui est difficile, c’est cette charge supplémentaire d’avoir à accompagner sa grand-mère dans la maladie, à quoi s’ajoute sa tristesse, quand son père s’éloigne du foyer, au moment même où Yong aurait le plus besoin de lui.
L’homme de la maison est très cinématographique par son découpage et son rythme. Quels sont vos films préférés ?
Koh Hong Teng : Je regarde toutes sortes de choses mais mes genres de prédilection ont changé avec les années. Enfant, j’adorais lesfilms de Kung-fu de Hong Kong et plus tard, quand j’étais aux Beaux-arts, c’était plutôt les réalisateurs chinois dits « de la cinquième génération » et la nouvelle vague taïwanaise. À l’époque de mes études à Londres, j’ai découvert des cinéastes européens comme Krzysztof Kieslowski, ses trois films Bleu, Blanc et Rouge comptent parmi mes préférés.
Pouvez-vous me parler de l’adaptation télé. Votre BD a-t-elle servi pour la réalisation du film ?
Koh Hong Teng : Je ne suis pas le mieux placé pour en parler. J’ai beaucoup apprécié le travail du réalisateur Ler Jiyuan qui tout en s’étant inspiré de la BD a produit une œuvre graphique très différente du livre.
Qu’en est-il du marché de la BD à Singapour ? Est-il dominé par les productions américaines et japonaises ? Comment vous situez-vous dans ce contexte ?
Koh Hong Teng : Les auteurs locaux sont relativement marginaux en effet. Les titres américains sont directement importés des États-Unis et la BD japonaise est traduite ici par des maisons d’édition comme Chuang Yi, aujourd’hui disparue, qui en ont racheté les droits. D’ailleurs, on trouve des versions de manga traduites autant en mandarin qu’en anglais. Mon travail, quant à lui, est un peu à part. En tout cas, il est artistiquement très différent de ce qui se vend communément à Singapour, tant du point de vue du propos que sur un plan formel. Ici, mes livres sont assez populaires pour être diffusés dans un grand circuit de librairie comme celui de la chaîne japonaise Kinokuniya, mais on peut également les trouver dans des librairies spécialisées, plus confidentielles (comme Books Actually, Woods in the Books ou encore Grassroots Bookroom).
Dernière question. Appréciez-vous la bande dessinée européenne ?
Koh Hong Teng : Oui, évidemment ! Les albums de Tintin bien sûr... mais également ceux de Mœbius : Blueberry, Arzach, Les Cités obscures de Peeters et Schuiten...
Merci !