Second sur notre liste des personnes à rencontrer pour parler de la sortie du manga tiré du célèbre dessin animé Les mystérieuses cités d’or, Bernard Deyriès est considéré avec Jean Chalopin et Mitsuru Kaneko comme l’un des trois principaux créateurs de la série. Jouant le rôle de gardien du temple pour cette adaptation, il veille à ce que le scénario comme les graphismes du titre d’origine soient respectés. Quel que soit le support, il faut que l’esprit reste fidèle à ce que les créateurs originels des Mystérieuses cités d’or voulaient transmettre avec leur histoire... Mais 30 ans après, le dessinateur chargé du projet n’est pas issu de l’équipe de la première heure : au contraire, il s’agit d’un fan qui a grandi avec la série. Un passage de relais trans-générationnel en quelque sorte. Alors, monsieur Deyriès, l’héritage a-t-il été bien transmis ?
interview Manga
Les mystérieuses cités d'or - Bernard Deyriès
Pouvez-vous nous parler de l’adaptation manga des Mystérieuses cités d’or qui viennent de sortir ? Comment est né le projet ?
Bernard Deyriès : C’est Kazé qui nous a dit qu’ils avaient un projet de manga. Moi, ça m’a fait très plaisir : depuis le temps que j’avais découvert les mangas au Japon dans les années 80, quand cela a pris en France il y a une quinzaine d’années, ça m’a fait plaisir de voir ça. Alors Les mystérieuses cités d’or en manga, quand Kazé m’en a parlé, ça m’a tout de suite plu.
Comment cela s’est-il passé : ils sont arrivés avec des planches, vous ont demandé votre avis ?
Bernard Deyriès : Ils m’avaient envoyé par Internet 2 ou 3 pages déjà faites par Thomas Bouveret, le dessinateur. J’ai découvert ça et je suis allé une première fois chez Kazé faire connaissance physiquement avec les gens, et on a parlé des premières pages. Il y avait quelques petites choses qui n’allaient pas sur les personnages et un peu sur le découpage de l’histoire. Ils avaient pris le parti d’attaquer en plein voyage et qu’il y ait des flashbacks. On a remis un peu d’ordre et j’ai trouvé que c’était bien. On a finalement commencé par le grand flash-back, celui où Mendoza raconte ses souvenirs (dans la série on commence par Esteban qui court sous la pluie). On a beaucoup discuté de la structure du récit. C’est bien de l’avoir bougé car ça ne change rien à la relation entre la série et le manga, ça respecte toujours fidèlement l’histoire. On a aussi travaillé les personnages : au début, Thomas avait tendance à les tirer à lui mais je pense qu’il ne s’en rendait pas compte. Mon travail a été de le faire revenir vers les personnages, sans pour autant oublier les codes mangas : ce sont des personnages différents de la série mais qui pour moi sont les mêmes. Surtout Mendoza : au début il en faisait un personnage très différent, à lui. Et peut-être un peu Zia qui était un peu différente aussi... Mais c’est normal au début, c’est l’ajustement entre la vieille série et le nouveau dessinateur qui arrive.
Ci-dessus : Mendoza, dessinée par Thomas Bouveret dans le manga des cités d’or
Vous dites qu’il tirait les personnages à lui : les graphismes tiraient trop sur le manga ?
Bernard Deyriès : Non, il en faisait quelqu’un d’autre physiquement mais je pense qu’il les voyait comme ça dans sa tête. Je connais tellement bien les personnages qu’on ne peut pas dévier un nez ou une oreille sans que je ne m’en aperçoive. Moi, je suis dans l’extrême contraire : je connais par cœur l’emplacement des yeux dans le visage, etc. et ça me choque quand ce n’est pas pareil. Je pense que Thomas les rendait comme il les avait vus, comme il les avait ressentis. Mon boulot c’est d’avoir un rendu objectif, si tant est que je puisse l’être. J’essayais d’être le plus ressemblant à la série, qu’on retrouve les personnages et qu’on ne puisse pas se dire « Zia ne se ressemble plus, on dirait un personnage d’un autre manga ». Je trouvais qu’il y avait des personnages trop différents. Dans le manga il y a des règles sur la construction des personnages, et celle de Thomas était complétement différente de la nôtre. Nous, on avait déjà bousculé les règles à notre époque sur les modèles des Mystérieuses cités d’or. On n’avait pas respecté la règle qui était un peu commune aux USA ou au Japon à l’époque, de prendre une tête et de mettre les yeux au milieu. Si vous regardez Zia, elle a les yeux un peu plus hauts par exemple. On avait déjà fait toutes ces variations qui permettaient de donner du caractère aux personnages, d’avoir un style différent. Pendant un moment, le style américain était tellement présent que je trouvais que les personnages étaient tous pareils : toutes les princesses blondes se ressemblent, toutes les brunes se ressemblent, tous les héros aussi... Et même encore un peu aujourd’hui. Ils sont tous construits un peu pareil, les dessinateurs ont du mal à déplacer les éléments de construction, les nez plus courts ou plus gros, les yeux plus hauts, le front plus grand... Comme dans la vie, on n’est pas tous pareils. Ils le font quand il faut exagérer un personnage, par exemple faire une grosse tête à un savant, mais ils ne peuvent pas accepter qu’il y ait des héros aussi différents physiquement que deux personnes réelles. Pour comparer ça à des acteurs de mon époque, ce serait Delon et Belmondo. Ils ont chacun une beauté mais ce n’est pas la même, leur visage est très différent...
Ci-dessus : Zia, dessinée par Thomas Bouveret dans le manga des cités d’or
Vous avez donc joué le rôle du garde-fou au niveau du character design. Au niveau scénario, vous aviez également la mainmise sur tout ou avez-vous laissé une marge de manœuvre au dessinateur pour apporter ses idées ?
Bernard Deyriès : Ils m’ont proposé des idées sur le scénario au début. Très vite, j’ai dit ce que je pensais, des petites modifications à apporter, des petites choses qui n’allaient pas. Je pense que j’ai été un peu choqué par quelques dialogues au début par exemple. Je me disais « pourquoi changer ce dialogue très simple pour en faire quelque chose de plus compliqué ? ». Je pense que ce n’était pas utile de trop changer les dialogues. Et après, on a trouvé très vite le rythme. Maintenant je pense que vers le milieu du bouquin j’ai pratiquement plus rien eu à dire : des détails, toujours surveiller Mendoza, des petites choses comme ça... A ce moment-là, on était d’accord sur l’histoire et après c’est très vite passé.
Bernard Deyriès en dédicace au salon Cartoonist 2013 à Nice
Comment s’est déroulée la suite de la collaboration ?
Bernard Deyriès : Il m’envoyait les planches par groupe, mais ça dépend des étapes. Au début, les story-boards m’étaient envoyés par chapitre. Après, il m’envoyait l’encrage car c’est quand même un moment où le dessin bouge beaucoup. Très vite on a été d’accord et ça s’est bien calé. Sur la moitié finale, je n’ai pas dit grand-chose. Remarquez, c’était plutôt bien. Je le vois maintenant de toute façon : dans la première moitié, je vois le travail un peu difficile - mais lui et moi on est peut-être les seuls à le voir - et à la fin, il est beaucoup plus à l’aise. Maintenant, sur la suite, je ne me fais pas trop de souci.
Par la suite, vous allez continuer comme ça ?
Bernard Deyriès : Non parce qu’au début il y avait un découpage général sur lequel on s’est mis d’accord, pour l’ensemble du premier volume mais aussi sur l’ensemble de tous les bouquins. On a discuté un peu là-dessus, mais bien sûr on ne peut pas tout mettre. Déjà, à l’époque, il y avait des épisodes qui tiraient en longueur, pour rallonger un peu. Les amazones par exemple, c’est typique : l’épisode est juste là pour faire une aventure un peu différente. Une production de dessin animé, quand c’est parti, c’est comme un train qui roule : pour l’arrêter... Quand vous avez fini les 10 premiers épisodes, le train roule très vite, il peut vous écraser. C’est vrai dans une production comme celle-là... Donc les amazones sont passées comme ça. Après coup, on se dit que s’il n’y avait pas eu les amazones, ça n’aurait rien enlevé à la série. Dans le découpage pour le manga, ils se sont abstenus de faire certaines petites séquences. En relisant le tout, j’ai trouvé que rien ne me manquait. L’essentiel c’est de garder la progression des enfants, leur quête, et d’arriver aux points principaux qui font évoluer l’histoire, il y a des points précis comme l’arrivée au village de Zia par exemple.
Ci-dessus : Tao des Mystérieuses cites d’or, croqué par Bernard Deyriès
J’ai entendu parler d’une adaptation BD pour Les Mystérieuses cités d’or 2, qu’en est-il exactement ?
Bernard Deyriès : J’en ai entendu parler moi aussi, mais pour l’instant on n’est pas dessus. On m’a prévenu puisque normalement, c’est moi qui fais le gardien du temple. Des fois, c’est Jean (Chalopin), mais le plus souvent il a beaucoup moins le temps.
Si la saison 2 des Mystérieuses cités d’or fonctionne bien, vous envisagez également une adaptation manga ?
Bernard Deyriès : Pourquoi pas ? Si en plus le manga de la première série marche bien, pourquoi s’en priver ? Je pense que Kazé doit déjà être un peu sur le coup. Je crois que le manga démarre plutôt bien, de ce que j’ai compris et des échos de Kazé. De toute façon, moi je suis partant avec plaisir si le projet se fait.
Bernard Deyriès en plein travail
Bernard Deyriès : Pour la seconde série, pas du tout. Pour ce qui est de la première, il y en a eu un au Japon mais je n’en ai pas entendu parler en France.
Si la nouvelle version des Mystérieuses cités d’or et les adaptations quelle qu’elles soient (manga, BD, anime comics) ont du succès, pensez-vous que plus tard, quand vous en aurez terminé avec les cités d’or, vous pourriez relancer des projets identiques avec par exemple Ulysse 31 ou d’autres séries de l’époque ?
Bernard Deyriès : Oui bien sûr, c’est toujours intéressant. Sur de nouvelles versions de dessins animés, il y a déjà des projets, et même des projets de spin-off qui n’utilisent qu’une partie de l’univers d’origine. Pour les versions BD etc., aucune nouvelle pour l’instant, rien de précis. Je pense que ça doit bouillonner pas mal. Il doit y avoir des gens qui y réfléchissent mais il faut arriver avec des maisons d’éditions sérieuses. Car des projets en l’air on peut en recevoir beaucoup... Il peut y avoir des dessinateurs intéressés, mais après il faut trouver des boîtes qui les éditent et les distribuent. On a très vaguement entendu parler d’une version manga d’Ulysse 31, mais ça ne va pas très loin. Ca a juste été évoqué au cours d’une conversation, mais ce n’est même pas le début d’une véritable information.
Ci-dessus : Ulysse de la série Ulysse 31, dessiné par Bernard Deyriès
A propos de la nouvelle saison des Mystérieuses cités d’or et de celles qui vont suivre, quel a été votre rôle par rapport au scénario ?
Bernard Deyriès : Avec Jean (Chalopin), on supervise la production. La production doit nous donner des éléments et Jean participe beaucoup à l’écriture. J’y ai participé aussi au début et après, de plus en plus, j’ai basculé sur la partie graphique et la réalisation - c’étaient nos rôles à l’époque. J’ai participé à l’écriture de la première série des Mystérieuses cités d’or il y a déjà longtemps. Là, Jean s’est beaucoup occupé de ça, et moi j’ai fait beaucoup de supervision d’images, la direction, la modélisation des personnages au début : comme pour le manga, il a fallu visser, resserrer, faire que tous les personnages ressemblent au modèle d’origine. Là, on n’avait pas d’autre choix que d’être fidèle à la série pour le coup. Le seul problème, si vous regardez bien la première série, c’est que les enfants évoluent énormément. A l’époque, c’était une ancienne technique et ça passait dans des centaines de mains. Ils sont plus ou moins ressemblants si vous les regardez vraiment dans la première série. On faisait ce qu’on pouvait, on en a jetés des dessins ratés pourtant ! Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’il y avait comme horreur aussi... Là, la 3D garantit que le modèle est toujours pareil, donc il a fallu travailler beaucoup sur le modèle de départ, faire attention à tous les angles... C’est surtout là-dessus qu’on a travaillé, surtout pour les enfants, Mendoza, et Pedro et Sancho. Et puis même les autres sont très réussis maintenant. Il a fallu faire très attention à ça au départ donc, mais maintenant les animateurs ont tous le même modèle donc il n’y aura pas de défaut de ressemblance.
Pour le scénario de la première série, il y avait vous, Jean Chalopin et Mitsuru Kaneko. Quel a été votre rôle précisément à l’époque dans cette équipe ?
Bernard Deyriès : Au tout début, j’étais sur l’écriture avec eux. Et puis surtout, on est arrivés au Japon en apportant le côté SF. Il y avait le livre de Scott O’Dell et les japonais voulaient faire quelque chose de plus traditionnel, de fantastique mais plutôt magique. On les a poussés puisqu’on sortait d’Ulysse 31 et que la SF, c’était notre truc. On les a poussés sur les dieux aussi car il y avait des collections de livres sur le sujet à l’époque, la collection « Aventure Mystérieuses » notamment. On en a beaucoup parlé avec Gilles Broche (le président de l’association Les enfants du Soleil) récemment, pour son livre à sortir sur Les mystérieuses cités d’or. Il y avait beaucoup de collections sur les civilisations disparues. Là-dessus, avec les japonais c’était d’accord puisque c’était dans le roman, il n’y avait pas de problème. Mais on les poussés vers beaucoup plus de SF... Par exemple on a beaucoup travaillé sur le bateau et ses voiles qui étaient plus comme des éléments sortis de l’univers d’Ulysse 31 (quand la voile solaire se déplie) que ce qu’ils avaient fait avant qui était plutôt une technologie de la renaissance. Les japonais voyaient l’histoire globalement d’une façon plus renaissance/médiévale, et nous, il y avait des éléments qu’on voyait très SF. On leur a vendu le truc et ensuite j’ai fait tous mes raccords avec les designers comme avec Shingo Araki. J’ai passé du temps à redresser les mentons, les faire pas trop pointus etc. mais là c’était bien car on était partis sur un style très différent. A la base, il y avait une volonté de se démarquer. C’est ça aussi qui nous a plu. A l’époque il n’y avait pas beaucoup de style comme ça dans l’animation japonaise. C’est ça que je trouve intéressant : graphiquement, Les mystérieuses cités d’or c’était un peu unique. Ulysse 31 un petit peu aussi, mais moins. On sent qu’il y a quand même des japonais derrière. C’est ce qui nous a plu dans le fait de travailler avec Shingo Araki : il a su apporter sa main tout en respectant nos désirs. Là, dans la nouvelle série, on a été chargés d’essayer de garder tout ce qui avait été bénéfique dans la première. On est plutôt des superviseurs.
Ci-dessus : Thémis de la série Ulysse 31, dessinée par Bernard Deyriès
A l’époque, il y a des choses que vous avez spécifiquement rajoutées, des idées qui venait de vous ?
Bernard Deyriès : Quand vous êtes 8 ou 10 autour d’une table et que tout le monde discute du scénario, c’est dur de dire qui a apporté quoi. En relisant de vieux agendas, j’ai découvert récemment que dans la première série, c’est moi qui avais eu certaines idées. C’est très surprenant de voir ça. Vous m’auriez interviewé avant, je vous aurais dit que c’était l’équipe qui avait trouvé ça. Ne pas se souvenir d’une idée qu’on a eu il y a 30 ans, c’est un peu normal mais ça fait bizarre tout de même. Mais quand vous avez 10 personnes qui discutent comme ça, et qu’on fait plusieurs versions du scénario, des révisions, etc. : à la fin, on ne sait plus qui a amené quoi. On sait qui a eu l’idée globale de départ mais c’est tout. Comme pour Ulysse 31 : un jour, Jean Chalopin a dit « on va faire l’odyssée dans l’espace, ça serait bien ». Donc on peut dire que c’est lui qui a eu l’idée de base, mais après il a fallu nourrir tout ça. Mis à part Ulysse et Télémaque, il faut mettre du monde. Donc on a créé les compagnons par exemple, et puis Nono en se disant « ça serait bien qu’il lui offre un robot pour son anniversaire », etc. L’idée générale, c’est toujours quelqu’un qui l’a, ou des gens en discutant ensemble, et après on nourrit tout ça et il y a pleins de gens qui viennent pour écrire... C’est pour ça qu’on ne peut jamais dire précisément. Un dessin animé, c’est l’œuvre d’une grande équipe. Après, il y a les gens comme Jean qui rassemblent, qui coordonnent, pour que ça sorte avec une certaine cohérence.
Ci-dessus : Nono de la série Ulysse 31, dessiné par Bernard Deyriès
Les compagnons figés, qui a eu l’idée ? Il y avait une contrainte technique ?
Bernard Deyriès : Franchement, économiquement ça nous arrangeait pas mal, mais ça ne pouvait pas être seulement cela sinon ça n’aurait pas tenu à la longue. Il y avait la malédiction. Et sur le plan de la construction des histoires, c’est difficile d’avoir beaucoup de gens. On s’aperçoit très vite que quand vous avez 3 ou 4 personnages en situation, il faut les nourrir : vous ne pouvez pas avoir des personnages qui parlent et les autres derrière qui attendent que les premiers aient terminé de parler et qui ne font que regarder comme ça. Il faut qu’il les passe quelque chose. On voulait garder cette espèce de huis-clos avec Ulysse et les enfants entre eux.
Et ça donnait une bonne excuse : en plus de retrouver le chemin de la Terre, Ulysse et les enfants doivent sauver les compagnons : ça évite toute idée de renoncement car il y a d'autres vies que la leur en jeu.
Bernard Deyriès : Oui, voilà... On a dérivé là, non ? (rires)
Merci !
Esteban des Mystérieuses cités d’or, dessiné par Bernard Deyriès
Retrouvez également l’interview de Jean Chalopin en cliquant ici !
Retrouvez également l’interview de Thomas Bouveret en cliquant ici !
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