Féminine, pétillante, active, branchée, accessible, voici Margaux Motin, illustratrice et auteure de bande dessinée (elle a même travaillé pour Florence Foresti !). A l’image de ses œuvres où elle parle d’elle et des femmes trentenaires qui affrontent le monde d’aujourd’hui, elle échange avec passion et humilité sur son travail. Portrait d’une femme active et réactive : profondément moderne.
interview Bande dessinée
Margaux Motin
Réalisée en lien avec les albums La Tectonique des plaques, Oui !, La théorie de la contorsion
Bonjour Margaux. Peux-tu te présenter aux lecteurs ?
Margaux Motin : Je suis Margaux Motin, illustratrice et auteure de bandes dessinées, la dernière en date étant La tectonique des plaques.
Avant d’entrer dans la bande dessinée, tu étais dans l’illustration. Peux-tu nous en parler ?
Margaux Motin : J’y suis encore aujourd’hui. Mon métier à la base est illustratrice. Cela signifie que je travaille pour la presse, la publicité et l’édition. Au début, je faisais des couvertures de romans, des événements pour des clients pubs et des illustrations d’articles de presse. J’ai commencé il y a une dizaine d’années et j’avais un site internet professionnel qui me permettait de mettre en ligne mes images. Malheureusement, le projet du site a avorté et du coup, j’ai monté un blog pour mettre mes boulots professionnels et avoir un book en ligne pour mes clients. Comme sur le blog, tu peux toi-même décider de ce que tu peux mettre en ligne, je me suis fait prendre au jeu et j’ai pris beaucoup de plaisir à poster un dessin de cette façon. Petit à petit, ma mère est venue, ma sœur, ma tante, mes cousins et ça a donc commencé de façon très familiale. Le blog s’est ensuite étendu et j’ai tout de suite été séduite par le « ping-pong » avec le lecteur : tu envoies quelque chose et tu reçois tout de suite un retour. Le blog s’est développé comme ça. Après le blog, il y a eu mon album puis le deuxième et aujourd’hui, je suis autant illustratrice que auteure. J’y trouve un bel équilibre.
Peux-tu nous parler de ta rencontre avec Florence Foresti ?
Margaux Motin : C’était très drôle cette rencontre. Je suis fan de Florence Foresti depuis très longtemps et il était question que j’aille voir son spectacle Mother Fucker il y a trois ans. On avait pris nos places et je m’étais dit qu’il fallait que je trouve un moyen pour lui donner mon bouquin parce que j’adore ce quelle fait. C’était simplement un cadeau et pas un calcul pour travailler avec elle. Je prends un livre, je le dédicace et je me dis que je trouverai un moyen ce soir de lui refourguer en le laissant à l’accueil. Ce jour-là, je suis l’actualité de mon blog et je vois le mail d’une nana qui me dit : « Bonjour, je suis l’assistante de Florence Foresti. Elle aimerait vous rencontrer. » J’envoie un mail : « ouais super ! Mort de rire. Merci pour la blague ». Puis l’attachée de presse confirme que c’était sérieux et me demande quand l’on pourrait se voir. Je lui explique alors que je vais à son spectacle le soir même et elle me répond : « super. On t’attend à la loge après le spectacle ». On s’est alors rencontré et on a travaillé ensemble. J’ai donc illustré le guide qui accompagnait son coffret collector de DVDs. Ça a été une super expérience pour moi de voir vraiment le processus créatif de cette nana qui, en plus, a dû bosser dans le graphisme à un moment donné car elle a une idée hyper précise de ce qu’elle veut. Depuis, on s’échange de temps en temps un petit message pour se féliciter dès que quelqu’un fait quelque chose. C’était vraiment une très belle rencontre.
Il n’y aura pas d’autres collaborations entre vous ?
Margaux Motin : Ce n’est pas prévu pour l’instant. Il y a un éditeur qui a tenté un truc mais c’est vrai que ce n’était pas le bon moment et ça n’intéressait pas Florence d’écrire un bouquin. Son but, c’est d’être sur scène. Pour qu’une rencontre scénique se fasse avec une rencontre illustrée, ce n’est pas si évident. Pour l’instant on avait chacune envie de faire nos trucs. Maintenant, on verra mais ce n’est pas prévu aujourd’hui.
Parlons de La Tectonique des plaques. Peux-tu nous en faire un petit pitch ?
Margaux Motin : C’est l’histoire d’une nana qui se rend compte que sa vie n’est pas du tout ce qu’elle avait planifié quand elle était plus jeune. Elle s’est complètement écartée du chemin qu’elle avait prévu car, comme n’importe quelle fille, elle avait planifié où elle devait être, ce qu’elle devait faire de sa vie et avec qui l’a menée. Là, elle se rend compte qu’il faut qu’elle accepte, soit de se battre comme une malade pour qu’elle se remette sur le chemin qu’elle avait préparé, soit qu’elle lâche et qu’elle accepte d’être embarquée ailleurs. Elle va finir par accepter de dériver, comme dans la tectonique des plaques qui est une espèce de dérive des continents. Et la magie opère car c’est en dérivant et en lâchant qu’elle va finalement se retrouver exactement là où elle rêvait d’être.
Quelle est la part de fiction et d’autobiographie ?
Margaux Motin : C’est très autobiographique effectivement. Il n’y a pas tant de fiction que cela. Il y a quand même les chutes de gags qui sont fictives parce qu’à un moment donné, pour aller chercher le comique de situation, la réalité ne suffit pas et il faut bien accentuer certains traits. Les situations et émotions de base sont vraiment autobiographiques. Il y a d’autres artistes qui font très bien de la fiction : moi, j’ai besoin de m’appuyer sur des choses que j’ai vraiment expérimentées. C’est le seul moyen que j’ai d’être vraie dans ma retranscription. C’est là que j’ai les bonnes images et les vrais termes… sinon, je m’égare.
Comment vit-on après avoir sorti quelque chose de soi ?
Margaux Motin : La seule chose que j’ai sorti de moi qui me questionne tous les jours, c’est ma fille. Pour le reste, je ponds mes bouquins, je les offre au monde et je m’en vais pour continuer l’aventure. Pour moi, un livre, une fois qu’il est fait, ne m’appartient plus. Il appartient aux lecteurs et à ceux qui vont en parler et je sais qu’il va vivre sa propre vie. Si je reste attachée à lui, ce sont les moments où je me fais mal. En effet, je vais ensuite trouver des éléments qui ne me plaisent pas car j’évolue dans mon art ou je vais forcément entendre des critiques qui ne vont pas me plaire. Je le relis de temps en temps à la maison. Je tombe dessus, je lis deux ou trois pages et ça me fait délirer mais c’est derrière moi. Sur La tectonique des plaques, j’ai bossé un an dessus avec un an de promo. J’ai donc passé deux ans de ma vie. Maintenant, j’ai envie de renouveler l’énergie pour autre chose.
Est-ce que le côté trentenaire qui essaie de vivre une seconde jeunesse (comme dans les œuvres de Pacco) est un thème à la mode en bande dessinée ?
Margaux Motin : Pour moi, ce n’est pas du tout calculé. Je lis très peu de blogs. Je ne peux pas savoir si c’est une mode car c’est comme ça que se déroule ma vie. Aujourd’hui, on est des vieux, c’est vrai, je m’en rends bien compte mais je reste une gamine des années quatre-vingt-dix dans mon langage. C’est comme nos parents qui avaient des tics de langage de leur époque qu’on trouvait débiles. J’ai grandi avec ça donc c’est hyper naturel. Ce côté gamin n’est pas tant une mode qu’un phénomène social. A un moment donné, à trente ou trente-cinq ans, tu te retrouves séparée avec un ou plusieurs enfants. Tu as commencé ta vie de façon traditionnelle : tu te maries, tu fais des gamins dans un truc hyper mature. Tu joues à l’adulte : tu fais des petites verrines de concombres pour tes invités le week-end et tu es content de jouer à la petite maman pendant les dîners de réception. Tu joues à la petite bourgeoise mais le truc te pète à la gueule et d’un seul coup, tu te rends compte que, ces années là, tu aurais aimé les vivre comme une gamine de vingt-cinq ans. Il y a une espèce de retard que tu récupères donc c‘est vrai que tu te retrouves dans des situations un peu immatures à trente cinq balais.
Ton dessin est assez atypique. T’inspires-tu de la mode ?
Margaux Motin : Je m’en inspire beaucoup mais pas comme une « fashion addict ». Ce n’est pas la mode qui m’intéresse mais, dans la construction de mon image, le vêtement offre un tas de possibilités graphiques. Selon ce que j’ai envie de raconter, une grande nana toute mince avec une énorme robe aura un certain message et à l’inverse, une nana qui a une mini jupe et des grosses bottes n’exprimera pas la même chose. En termes de composition de l’image, je peux accentuer le côté loose, fatigué ou dynamique. Cela me sert énormément. Je bosse très peu les décors car cela m’enquiquine. Du coup, le fait de travailler la précision des vêtements nourrit beaucoup mon image sinon mon dessin serait hyper austère !
Quels sont tes projets actuellement ?
Margaux Motin : En ce moment, je me questionne sur le sujet de mon prochain album, le quatrième tome. Du coup, je commence à remettre le pied à l’étrier. Je voulais revenir sur le blog mais je me suis aperçue que je ne voulais pas revenir dessus juste comme ça, de façon gratuite. J’ai besoin d’un thème global et que ce soit porté par un projet qui soit un livre. Je me questionne sur ce que sera le prochain thème : je n’ai pas encore la réponse donc ça peut prendre un certain temps. Après, j’ai des projets de bouquins mais qui sont plus des illustrés. On va faire un truc avec Pacco en duo : une espèce de petit guide pratique sur questions à se poser avant le mariage. Ca va être vraiment de la déconnade. Il y a deux trois pistes de bouquins illustrés que j’aimerai bien faire mais en termes de bd, je suis en réflexion.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d’un autre auteur, qui choisirais-tu ?
Margaux Motin : Je n’ai pas lu beaucoup de BD mais je vais rester dans le thème de prédilection du site… je ne vais pas faire ma relou ! Je choisirai Hugo Pratt. J’étais très fan de lui quand j’étais gamine et j’aurai bien aimé être dans sa tête, pas forcément pour sa réflexion scénaristique, mais pour savoir comment son cerveau passait par ses yeux pour voir les noirs et blancs. J’ai trouvé qu’il gérait le noir et blanc d’une façon hyper impressionnante, hyper poétique et efficace. Je me demande comment ses yeux synthétisent la réalité pour la retranscrire comme ça. J’aurai bien aimé être à sa place pour ça.
Merci Margaux !