Depuis 1984, Makyo, de son vrai nom Pierre Fournier, nous a ravis de nombre de séries cultes : Jérôme K Jérôme, Balade au bout du monde, Le maître de peinture… En 2008, l’inspiration du scénariste, qui lorgne de plus en plus vers le cinéma, n’est pas prête de s’éteindre. Jugez-en à son récent Je suis Cathare, aux côtés de l’artiste italien Alessandro Calore, qui livre de son côté une partition graphique exemplaire. En route pour une petite interview…
interview Bande dessinée
Pierre Makyo
Bonjour Pierre Makyo ! Pour faire connaissance, pouvez-vous vous présenter ?
Makyo : J’ai commencé en tant que dessinateur, avec le rêve absolu d’être publié dans le journal Spirou. Maintenant que je l’ai réalisé, pour moi, tout est surplus et bonus ! Peu à peu, et notamment lors de ma rencontre avec Alain Dodier, j’ai été amené à écrire des scénarios pour d’autres dessinateurs et à un moment donné, j’ai dû faire un choix car dessinateur et scénariste sont deux métiers très différents. Je suis maintenant une sorte de scénariste.
Pas envie de reprendre le dessin ?
Makyo : A une époque, je faisais du dessin comique dans Spirou sur Les Bogros. J’ai refait un volume, le quatrième, qui va être publié chez Soleil. On en profitera pour re-coloriser et ressortir les premiers. C’est un style plus léger et ça me permet de refaire un peu de dessin, de temps en temps pour laisser reposer les neurones.
Tenté d’écrire pour le cinéma ?
Makyo : J’ai écris quatre scénarios de long métrage, trois courts. Je viens de réaliser un court métrage d’ailleurs que je suis en train de finir de monter. J’ai un projet de film avec un producteur, le casting est même déjà fait, François Berléand et Bruno Loché en font partie. Il ne nous reste plus qu’à trouver le financement. Ce sera une comédie qui s’appellera Tout sauf l’amour. Cela fait trois ans que je travaille dessus et l’écriture est vraiment proche par certains aspects, mais tellement différentes sur d’autres. Le cinéma est devenu une sorte de convention d’inconscient collectif où tout le monde connaît les codes de manière instinctive. On est obligé de multiplier les ellipses, là où en bande dessinée on a beaucoup plus de temps. Je vais aussi sortir chez Futuropolis un titre adapté d’un de mes scénarios, prochainement : une histoire en 100 pages qui s’appellera Exauce nous.
Et pourquoi ne pas tenter d’écrire un roman, dans cette optique de découverte d’écriture ?
Makyo : J’en ai fait aussi mais cela est passé inaperçu. Tout à l’heure, on me disait qu’en ce moment, on voit un véritable retour en force de Makyo. On a l’impression qu’entre Balade au bout du monde et aujourd’hui, il y a eu une sorte d’éclipse. Pour moi, j’ai réalisé des choses très intéressantes comme Le maître de peinture ou L’histoire de chaque jour, qui était composée de trois tomes dont deux de bande dessinée, et un troisième qui était le roman qu’avait écrit un des protagonistes dans les deux autres tomes, mais cela a été très mal présenté. J’ai écris le roman sous la surveillance d’amis écrivains et cela m’a appris beaucoup. J’ai du changer mon mode d’écriture car on me faisait remarquer que les premières versions faisaient plus penser à un scénario étiré, et donc j’ai du m’adapter.
Peux-tu nous parler de Je suis cathare ?
Makyo : C’est tout d’abord la rencontre avec Alessandro Calore qui est une personne formidable. Son dessin est très vivant, j’adore le héros qu’il a su rendre très humain. Un de mes amis, Eugenio Sicomoro, avec qui j’ai réalisé Lumière froide, et avec qui j’ai travaillé sur La porte au ciel un titre qui sort prochainement en Aire Libre (en mars), qui me l’a présenté. La porte au ciel est d’ailleurs le titre d’un court métrage que j’ai réalisé et pour lequel j’ai développé le scénario pour en faire un long. Pour Je suis cathare, c’est une période qui me plaît, celle de tous les excès, où l’église atteint le sommet de la perversion, l’inquisition s’appliquant assez bien à la définition du mal qui se fait passer pour le bien. A cette violence extrême s’opposait la pureté extrême des cathares…
Combien de tomes aurons-nous de Je suis cathare ?
Makyo : Ce sera une trilogie en quatre volumes (rires), je suis l’inventeur du concept !
Vous avez développé des univers à chaque fois très différents, est-ce un moyen pour vous de ne jamais manquer d’inspiration ?
Makyo : Quand je travaille sur un projet, il m’importe avant tout de me débarrasser de tout ce que je sais faire pour trouver une idée forte, neuve, surtout capable en un premier temps de stimuler et d’intéresser le dessinateur, il en va de ma responsabilité. Par ailleurs, lorsque l’on parle de succès ou d’insuccès, je préfère évidemment que mon titre se vende à des millions d’exemplaires, car cela est confortable pour faire ce que l’on veut ensuite. Mais en même temps, c’est quelque chose d’assez dommageable pour la création en elle-même, cette obsession pour le tirage… Cela n’a rien à voir avec le principe artistique… J’ai des amis qui sont peintres et qui considèrent qu’il faut cinquante ans pour être un bon peintre et que le succès reste un accident. Dans Le maître de peinture, c’est une histoire sur le rapport à l’inspiration. C’est l’histoire d’un vieux peintre polonais reconnu et qui est manque d’inspiration et qui va rencontrer un jeune peintre à l’inspiration étonnante. Le manque d’inspiration n’est pas une chose qui me hante, mais qui me fascine. J’ai travaillé pendant deux ans avec quelqu’un qui a beaucoup étudié les contes et en a presque fait une discipline spirituelle. La réalité du scénariste est de raconter une histoire comme on le fait dans un conte, c'est-à-dire en comprenant et en mettant en œuvres les mécanismes fondamentaux du conte. Par exemple, tous les personnages, le roi, le héros, le dragon, la princesse sont des aspects du psychisme. Par exemple, une dépression peut être traduite dans le langage du conte, par l’enlèvement de la princesse ( la fleur du dynamisme) par le dragon (ombre). Le roi est démuni, abattu et le royaume l’est aussi tout entier à cause de son unité de nature avec le roi. Le roi fait appel au héros qui est le pôle dynamique de la personne, et qui, pour s’en sortir, doit accomplir un parcours qui est celui, initiatique, du héros. Lorsque le héros accepte la demande du roi, il ne sait pas où est le dragon, ni s’il aura la force de le combattre. Le héros a trois qualités essentielles pour achever sa quête : la force de son adhésion à la demande du roi ; la liberté par rapport aux formes c'est-à-dire que s’il rencontre une sorcière, un renard ou un roi, c’est du pareil au même. De plus, le héros n’interprète jamais la réalité, s’il se retrouve en face d’un obstacle, il fera tout pour le contourner. Si on applique ses principes sur sa propre existence, on devient un héros absolu. Mon ambition est que lorsqu’une personne lit mon histoire, elle en ressort harmonisée !
Travaillez-vous dans un cadre particulier ?
Makyo : J’aime bien prendre des notes dans le train, dans des bars. J’aime bien écrire dans un endroit autre que chez moi, dans un environnement mental que je ne connais pas, dans une ville où personne ne vous connaît, je trouve ça stimulant.
Quelles sont vos influences ?
Makyo : Je suis évidemment influencé par mon goût pour la psychologie et la psychanalyse.
Avec qui aimeriez-vous collaborer ?
Makyo : Avec Franck Pé, c’est un ami mais il est trop occupé. Georges Bess est un dessinateur que j’apprécie énormément, cela a failli se faire sur une adaptation de la vie de Khalil Gibran, le poète libanais auteur du Prophète. J’aime bien Marini aussi mais maintenant il écrit ses scénarios lui-même.
Vous n’auriez pas envie de retravailler avec d’anciens partenaires comme Alain Dodier ?
Makyo : Si bien sûr et c’est ce que nous sommes en train de faire actuellement. Nous travaillons sur un sixième Gully qui sortira à la fin de l’année.
Quelles séries conseilleriez-vous aux bédiens ?
Makyo : J’ai beaucoup aimé le manga Ikkyu, sorti il y a quelques années chez Glénat, que j’ai trouvé fascinant. C’est très bien écrit, c’est un chef d’œuvre absolu.
Si vous aviez le pouvoir cosmique de vous téléporter dans le crâne d’un autre auteur de BD, qui iriez-vous visiter ?
Makyo : Il y a quelque personnages que j’aimerais bien visiter, mais plutôt des maîtres spirituels indiens que j’ai étudié.
Merci à vous !