Succéder à l'immense Jaime Hewlett sur la série Tank Girl n'est pas vraiment une chose des plus aisées tant le design de ce dernier a rendu l'héroïne populaire. Pourtant lors du retour de cette dernière sur le devant de la scène, Alan Martin, le scénariste de la série, a choisi Ashley Wood puis Rufus Dayglo pour illustrer les aventures de la plus barge des punkettes. Une rencontre marquée par la grande sympathie de Rufus !
interview Comics
Rufus Dayglo
Cette interview est proposée en deux formats : vidéo en version originale et en version retranscrite. Faites votre choix !Bonjour Rufus Dayglo, peux-tu te présenter ?
Rufus Dayglo : Je m'appelle Rufus Dayglo. Cela fait cinq ans que je dessine les comics Tank Girl. Avant ça, je travaillais pour 2000A.D., une revue britannique de science-fiction et, encore avant, j'ai travaillé dans l'animation. Je dessinais alors plein de trucs idiots pour des compagnies comme la Warner Bros, pour lesquels je dessinais Bugs Bunny et autres personnages. J'ai aussi animé des publicités pour des annonceurs comme Nesquick - n'en n'achetez pas, s'il vous plaît, c'est de la merde - et j'ai aussi dessiné des choses pour des groupes comme Gorillaz, ce genre de trucs. Donc je passe beaucoup de temps à dessiner beaucoup de petits dessins idiots.
Quelles sont tes influences ?
Rufus Dayglo : Mes influences... Elles proviennent, je suppose, en majorité des comics britanniques. 2000A.D., par exemple, qui était ma lecture préférée quand j'étais gosse, mais aussi des cartoons avec Chuck Jones. Je suppose que c'est la raison pour laquelle j'ai toujours aimé les trucs un peu cartoony. J'aime les choses qui sont un peu rebondies. Mais je crois qu'une autre des mes plus grandes influences est le fait que j'ai été un punk-rocker et que le punk-rock et la culture associée m'ont beaucoup influencé. C'est pour ça que j'aime les choses qui n'ont pas leur place, les trucs déglingués [rires]
Quel regard portes-tu sur tes premiers essais chez 2000A.D. ?
Rufus Dayglo : Oh, je pense que, comme la plupart des artistes, je suis un peu gêné par mes premiers efforts, mais je me suis quand même éclaté à le faire. Pour moi, c'était un rêve devenu réalité. Enfant, j'écrivais aux revues pour leur dire que je travaillerais chez eux, une fois adulte. Ce que j'ai fini par faire. J'avais l'impression d'être le garçon le plus chanceux du monde ! J'ai commencé à lire dès que j'ai su marcher, j'écrivais aux artistes, j'achetais leurs œuvres et j'allais leur demander des autographes... Puis j'ai fini par travailler pour les comics et on m'y a donné du travail. Quand bien même ce que je faisait ne pouvait pas être comparé à ce que dessinaient mes héros, j'ai eu l'opportunité de travailler dans cet univers et ça a été un très bon apprentissage. 2000A.D. parait chaque semaine, pas mensuellement comme les comics américains, les récits doivent donc être très denses. On a généralement six pages à remplir, pour une semaine donnée, alors on doit raconter quelque chose de très concentré: début-milieu-fin, très rapidement. On a donc intérêt à pouvoir livrer une narration très dense alors que, dans les comics américains, on a 24 pages et on peut se permettre de traîner un peu, de faire du dessin un peu fantaisiste. On a beaucoup d'espace, pas comme avec six pages hebdomadaires et on doit donc avoir un impact bien plus fort. 2000A.D. est comme une chanson punk, c'est très bref, et il faut donc délivrer son message le plus directement possible. Je considère beaucoup de mes héros d'enfances comme étant des dieux mais j'admire aussi nombre d'artistes récents comme, aux Etats-Unis, des gens comme Chris Weston ou mon ami Jock qui fait maintenant plein de choses pour DC Comics mais travaille aussi sur plein de projets cinématographiques... Ces nouveaux artistes font vraiment des choses magnifiques. Depuis 30 ans, 2000A.D. est le magazine qui a lancé les carrières d'un nombre incroyable d'artistes britanniques mais, en même temps, c'est aussi le magazine qui nous a tous influencés. C'est un peu comme notre maman de papier.
Comment as-tu rencontré Alan Martin, le scénariste de Tank Girl ?
Rufus Dayglo : Je l'ai rencontré sur Ebay. Il y vendait des trucs et je lui ai acheté quelque chose et je lui ai dit "Oh mon dieu, vous êtes Alan Martin ?" et lui [grosse voix] "Oui". Je lui ai demandé ce qu'il faisait alors et il avait arrêté d'écrire sur le plan professionnel. Je lui ai dit qu'il devrait faire de nouveaux Tank Girl et je l'ai mis en contact avec des artistes, des amis à moi comme Ashley Wood et Mike McMahon. Ashley a commencé à écrire de nouvelles séries puis m'a demandé de l'aide et, à la fin, j'ai repris le flambeau en dessinant Tank Girl. J'ai donc commencé plus ou moins par accident. Mais ça a été un grand plaisir que de travailler avec Alan, c'est un auteur très drôle, très généreux. J'ai eu beaucoup de chance.
A t-il été difficile de reprendre le design de Tank Girl ?
Rufus Dayglo : Je fais ce que je peux mais je ne suis pas Jamie. Plus important encore, je ne voulais pas être Jamie, lui voulait que je fasse mon propre truc. Mais ce qui a été positif pour nous est que la série s'est arrêtée en 1995 et on l'a reprise en 2007; la plupart des gens qui ont lu le comics en 2007 ne l'avaient pas lu en 1995. La plupart de nos fans sont très jeunes, en fin de compte et beaucoup pensent qu'on a développé le comics à partir du film. J'ai reçu plein d'emails me disant "Wow, tu as fait une super adaptation d'un des mes films préférés !". A leurs yeux, je suis juste le dessinateur de Tank Girl, ils ne connaissent pas le comics originel et quand ils lisent ce dernier, c'est quasiment autre chose, pour eux. J'ai donc eu de la chance de pouvoir bénéficier d'un tel délai, je n'ai pas repris la série aussitôt après son arrêt mais 12 ans après et c'est une nouvelle génération qui a pu découvrir ce titre.
Quels sont tes prochains projets ?
Rufus Dayglo : On vient juste de finir Tank Girl et là, je travaille sur ma propre série. Je voulais travailler sur un projet m'appartenant. Je travaille encore une fois avec Ashley Wood, mon ami Australien. Il a sa propre compagnie, ThreeA, avec laquelle il fait plein de trucs cools et je vais donc publier mon prochain projet par l'intermédiaire de ThreeA. ça s'appellera Solid Gold Death Mask, ça parle de deux filles travaillant pour un pingouin de la mafia. Oui, c'est vraiment une histoire ridicule mais je pense que si on aime Tank Girl, alors on aimera Solid Gold Death Mask. Je vais donc travailler là-dessus et aussi à la conception de jouets avec Ashley.
Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre son génie, qui irais-tu visiter ?
Rufus Dayglo : Hmmm... Un artiste nommé Victor de la Fuente. C'était un dessinateur espagnol qui a fait beaucoup de choses dans les années soixante mais il a continué de dessiner jusque dans les années quatre-vingt. Il nous a quitté il y a peu et il était incroyable. Il a influencé un grand nombre d'artistes anglais alors qu'ils ne savent même pas qui il est. Il illustrait les petits recueils d'histoire de guerres publiés en Angleterre. Il vivait dans le sud de la France et il envoyait ses dessins par la poste, régulièrement. Il n'a jamais vécu en Angleterre, il se contentait d'y envoyer ses dessins. Le dessin de de la Fuente est vraiment puissant, avec des noir et blancs très contrastés et il dessinait dans un style sans concession, un peu à la Joe Kubert mais, en même temps, il pouvait tout dessiner. Il faisait des femmes superbes, des chevaux, des soldats. Si je pouvais dessiner comme lui, je serais le garçon le plus heureux de la Terre.
Merci Rufus !
Remerciements spéciaux à Alain Delaplace pour la traduction.