Stanislas Moussé est un auteur de BD vraiment non conventionnel. Autodidacte, berger quand il ne dessine pas, il vient de livrer un étonnant pavé chez le Tripode. L'histoire d'un berger devenu roi... entièrement muette et noir et blanc, dessinée par petites touches de Rotring sur de grandes cases qui prennent tout l'espace de la planche, façon pointillisme. Nous l'avons interviewé par mails interposés, afin d'en savoir plus sur ses méthodes de travail et son inspiration...
interview Bande dessinée
Stanislas Moussé
Bonjour Stanislas, pour faire connaissance, pouvons-nous te laisser te présenter : qui es-tu ?
Stanislas Mousse : Je suis plusieurs ! Dessinateur autodidacte depuis tout le temps. Berger dans les alpes valaisannes (Suisse) depuis bientôt dix ans. Papa depuis 4 ans d'un petit gars et très bientôt d'un deuxième.
Peux-tu nous présenter Longue vie, l’album étonnant que tu viens de publier chez le Tripode ?
SM : Longue Vie, c'est ma deuxième BD (j'avais fait Chaos, un « test » publié chez Superloto Editions il y a 2 ans). Je voulais raconter l'histoire d'un bonhomme avec les années qui passent et le lien à la famille. L'univers médiévalo-fantastique, c'est ce que j'adorais quand j'étais ado (j'ai lu Le seigneur des anneaux quand j'avais dix ans et je les ai relus et relus chaque année jusqu'à mes 14 ans). Ça fait très longtemps que je n'ai pas lu d'heroïc-fantasy, mais visuellement, c'est un univers qui me plait, plein de libertés possibles dans le dessin. Une bonne porte d'évasion dans l'imaginaire.
Comment t’est venue l’idée folle d’un tel bouquin et de ses principes graphiques / narratifs ?
SM : Cela fait pas mal d'années, maintenant, que je dessine des images muettes en noir et blanc. J'ai fait (et je continue de faire) des formats quasi raisins comme ça, à remplir la feuille de détails, de traits etc. J'aime le côté illustratif. Après Chaos et suite aux refus des éditeurs de publier mon travail noir et blanc, sans texte, pleine page, j'ai commencé une BD avec du texte et des cases, mais au bout de six mois, j'ai arrêté parce que ça ne marchait pas et que ça me plaisait pas. Mon truc, c'est le noir et blanc, sans texte, point. J'ai commencé Longue vie comme je voulais le faire (et pas comme certains auraient voulu). Et après bien des refus (à nouveau !) le Tripode l'a pris sans hésiter, ce qui a été un soulagement pour moi et le début d'une collaboration qui me plait beaucoup. Je suis plus littéraire que bédéiste et le Tripode me correspond beaucoup mieux.
L’éditeur définit cet album comme un cross over entre Game of thrones et Où est Charlie… Tu assumes cette double comparaison extravagante ?
SM : Le rapport de mon travail avec Où est Charlie est assez évident (même si je ne suis pas fan du tout. Ça n'est vraiment pas très joli, en fait... seulement le concept me parle). Au début, je dessinais des illustrations immenses avec plein de détails à chercher pour le lecteur. Avec le temps, je vois de moins en moins de lien. Pour Game of thrones, c'est un choix de l'éditeur. Pour tout te dire, j'ai regardé les deux premières saisons quand elles étaient sorties et j'ai arrêté parce que je trouvais ça très moyen (j'ai du mal avec les séries en fait... j'essaie, mais souvent, au bout de quelques épisodes, ça me lasse), à rallonge, répétitions, déjà vu, mal joué... Bref ce n'est pas du tout mon truc, Game of thrones, même si beaucoup y voient une influence. Comme je t'ai dit, mon influence majeure c'est Le seigneur des anneaux, même Conan le Cimérien à la limite (pour le côté destinée d'un homme hors normes). En fait, tous les archétypes de l'heroïc-fantasy que je recycle à ma sauce.
Est-ce qu’il y a un côté challenge à chaque planche ? Challenge pour remplir la page ? Et challenge pour que la continuité séquentielle soit assurée ? Peux-tu nous dévoiler tes astuces pour que le lecteur conserve son immersion ?
SM : Le challenge à chaque planche, pas vraiment. En fait, j'ai l'idée principale, à chaque fois, que je veux développer. Et après, j'habille autour. Chaque planche (c'est assez évident) a eu une idée. Chaque planche est liée aux autres par la narration. Pour te dire comment je travaille : en commençant Longue Vie, j'avais, au crayon à papier, toutes les cases, grossièrement dessinées sur plusieurs feuilles (l'idée que je voulais développer dans chacune des cases). Mon plan de travail en somme. Ça répond à ta question sur mes astuces : je développe une idée par case, afin que le lecteur puisse suivre l'évolution/l'histoire du personnage principal.
Pourquoi la plupart des personnages principaux n’ont-ils toujours qu’un œil ? Question d’économie, comme le 5ème doigt absent de Mickey ?
SM : C'est que j'aime bien. Graphiquement ça donne un petit truc (même si certains n'ont pas d'œil ou deux).
Rendre la narration muette toujours explicite doit être aussi une autre forme de challenge…
SM : Pour la narration muette, ça c'est quelque chose qui me plait beaucoup. Comme je t'ai dit, j'ai essayé de m'adapter à ce qu'auraient préféré beaucoup d'éditeurs (« Le muet, en noir et blanc !? Ça vend pas !!! » C'est texto ce que beaucoup répondaient, gros comme indépendants). Mais ça m'a pas plu et c'est pas mon truc. Le muet, ça donne une contrainte assez excitante (et que je travaille toujours – ça n'est pas parfait mais ça avance) qui est de transmettre mon message, mes intentions, à travers le dessin uniquement. Je remets le dessin au centre de mon travail de... dessinateur. Si je voulais écrire des paroles, j'aurais fait un roman. C'est comme ça que vois les choses.
Est-ce qu’une histoire pareille se construit « en allant » ou avais-tu établi tout le découpage dès la première page ?
SM : Un plan très basique avant de commencer, en gros je savais où je voulais aller. Chaque case plus ou moins élaborée au crayon de bois sur des feuilles volantes. Dans tous les cas, j'ai besoin de savoir où je vais, sinon je me perds.
Comment as-tu procédé, techniquement ? L’éditeur nous informe que c’est au Rotring… Donc supposément une méthode tradi, mais avec un brouillon à chaque fois ?
SM : Je travaille au rotring 0,2 majoritairement, sauf pour les aplats ou certains traits que j'épaissi au 0,35 (très rare). Je dessine comme quand j'étais enfant (je suis autodidacte et n'ai aucune formation, donc ça laisse des traces !), au crayon de bois d'abord, seulement les grandes idées de la planches. Par exemple : mon héros galope dans la forêt : je dessine proprement, au crayon de bois, le héros sur son cheval. Après je repasse au Rotring O,2 directement dessus et après... je gomme ! Ensuite, j'habille directement au Rotring la forêt ou les murs etc. Mes originaux (A5) sont identiques (à part quelques coups de blanco, rares et dur à voir !) aux pages que tu tiens entre les mains. Pour tout te dire, je peins même en noir les planches intégralement... noires. Je suis nul et allergique à l'informatique. Donc ma BD, je l'ai faite de A à Z sur papier (les planches complètement blanches existent aussi...).
Quel était ton rythme de travail pour un tel ouvrage ? (combien de planches par jour, par semaine ?)
SM : J'ai mis 9 mois pour la faire, environ. J'essaie de faire une planche par jour en moyenne. Mais c'est dur à dire car je dessinais aussi des grands formats raisins en même temps. En tout cas, je commence à 9h le matin et je finis à 18h le soir, avec une pause d'une heure le midi et environ 6 jours sur 7. Un rythme de bureau. Les vacances sont à partir du 15 juin et jusqu'au 1er octobre quand on monte travailler avec les vaches (ma compagne était fromagère d'alpage jusqu'à l'été dernier). Là, je ne touche plus à un crayon de tout l'été et ça fait du bien.
Cet album est désormais fini… As-tu recommencé un autre album – la suite ? – et si oui, peux-tu nous en parler ?
SM : Il y a une semaine, j'ai fini la suite de Longue vie. Si tout se passe comme prévu, elle sortira à l'automne au Tripode. Ce sera un peu différent, toujours pas de texte, toujours noir et blanc, mais... des planches avec plus de cases ! J'ai aussi fait une série de 6 formats raisins qui devaient être exposés chez Huberty et Breyne à Bruxelles avec l'expo des originaux de Longue Vie… Mais avec le confinement, tout est reporté... On verra bien !
Quelles sont tes grandes influences en matière de bande dessinée ?
SM : Mes influences sont multiples et aussi bien (même plus) en littérature, en cinéma qu'en BD... Impossible de tous et toutes les nommer !
Si tu avais le pouvoir cosmique d’aller faire un tour dans le cerveau d’un autre auteur de BD – afin d’y espionner une astuce de création, ou un mystère – qui irais-tu visiter ?
SM : En BD... Mike Mignola. Pour la simplicité et la droiture du trait. Tout est magnifique et en même temps tellement basique dans son dessin. J'adore. Dommage qu'il ne dessine plus beaucoup (les Hellboys avec lui au dessin... BEAUX !).
Chris Ware, Frank Miller, Blain, Blutch, David B, Winshluss, Hergé, Franquin, Gustave Doré... plein d'autres !
En littérature je ne te fais pas la liste (il y en a Beaucoup trop).
Merci Stanislas !