interview Comics

Viktor Kalvachev

©Urban Comics édition 2016

Notre route avait croisé celle de Viktor Kalvachev lors de la sortie du premier tome de Blue Estate aux éditions Ankama. Alors que le polar chapeauté par l'artiste s'est terminé, nous avions peu de nouvelles de ce dernier alors qu'il vit à Paris depuis quelques mois. C'est à l'occasion d'une exposition à la galerie Glénat que nous nous sommes revus. Un moment fort sympathique où nous avons échangé entre quelques unes de ses œuvres.

Réalisée en lien avec les albums DMZ – Edition Hardcover, T4, Blue estate T3
Lieu de l'interview : Galerie Glénat

interview menée
par
30 janvier 2016

Une interview traduite de l'anglais par Alain Delaplace.

Bonjour Viktor, peux-tu te présenter et nous dire comment tu es arrivé dans les comics ?
Viktor Kalvachev : Je m'appelle Viktor Kalvachev et j'oeuvre principalement dans l'industrie du jeu vidéo. J'ai cependant aussi réalisé quelques comic-books et j'ai été invité à en illustrer quelques autres. Mon premier comic s'intitulait Pherone une histoire du genre polar autour d'un Jason Bourne féminin, quasiment en noir et blanc et avec, donc, cette femme qui a des problèmes de mémoire. Mon second titre a été Blue Estate, qui est sorti aux États-Unis chez Image Comics et, en France, chez Ankama. Aujourd'hui, j'ai un graphic novel qui sera publié chez Image mais je ne sais pas encore qui le publiera en France. On verra. J'adore dessiner quand je ne suis pas au travail – c'est à dire, principalement, la nuit – et ce que l'on voit ici, autour de nous, ce sont principalement des pages tirées de mon carnet de croquis. Des dessins que j'ai réalisées ainsi qu'une sculpture en bronze Viktor Kalvachev Blue Estatesque j'ai réalisée et que j'expose pour la première fois à la galerie Glénat. Elle est là-bas. La journée, je travaille en tant que directeur artistique pour l'industrie du jeu vidéo et je participe donc à la réalisation de jeux vidéos. J'ai commencé à réaliser des jeux vidéos il y a longtemps de ça, peut-être vingt ans, maintenant. C'était pas vraiment des jeux vidéos mais plutôt des jeux sur ordinateur. Ça remonte à l'époque où je vivais en Bulgarie. Mais après ça, je suis parti vivre aux États-Unis et j'ai continué à faire ça pour des clients tels que Disney, Nickelodeon, Pixar... À peu près tous les gros acteurs qui officient dans le domaine des jeux destinés aux enfants. Et ça a été marrant. Après ça et après avoir travaillé sur quelques comic-books, je suis venu à Paris il y a trois ans pour travailler sur un jeu intitulé Blue Estate – représente [NDT : il nous montre son t-shirt Blue Estate] – et avec ma femme, on a réalisé qu'on aimait trop cette ville et on a décidé de rester. Donc [NDT: en français] Je parle français, maintenant, mais mon français est terrible et c'est pas bon pour l'interview. Désolé ! [rires]

Tu as eu une longue carrière, dis-moi.
Viktor Kalvachev : Oui, c'est intéressant. Et je n'ai que vingt-cinq ans ! [rires]

Tu as même travailler dans le jeu vidéo avec l'adaptation de Blue Estate !
Viktor Kalvachev : À l'origine et pour être honnête, je n'envisageais pas du tout Blue Estate comme un jeu vidéo et c'est un partenaire qui m'a convaincu que cela ferait un super rail shooter [NDT : pour les non-initiés, un rail shooter c'est un jeu de tir où le tireur se déplace suivant un parcours prédéfini]. Je suis donc parti là-dessus, sans compter que l'idée de partir vivre à Paris pour travailler sur un jeu vidéo était plutôt séduisante. C'est après qu'on a compris que ça pouvait vraiment être fun et ridicule en comics. Je travaillais déjà depuis longtemps dans le monde des jeux vidéos et il était donc facile pour moi de convertir mon histoire en jeu vidéo, une fois la décision prise. Ce n'est pas comme si on avait acquis une propriété intellectuelle : c'est mon histoire et j'en fais ce que je veux. On a donc décidé de péter un câble et de faire plein de blagues idiotes. Il n'y a pas vraiment d'histoire, il s'agit juste de s'amuser. C'est pour ça que Blue Estate a vraiment été créé uniquement Viktor Kalvachev Blue Estatespour être fun. Il ne s'agissait pas d'adapter une histoire pour un jeu vidéo, il s'agissait juste de prendre un univers et des personnages, de s'amuser avec et de donner au joueur quelque chose qui puisse simplement le surprendre toutes les 2 minutes. C'était juste pour le fun et adapter une histoire n'a jamais été le sujet, on s'est contenter d'adapter les visuels et ça, ça a été très amusant à faire.

Comment décrirais-tu ton style ?
Viktor Kalvachev : C'est difficile. Mais je dirais que je ne me prends jamais au sérieux. Tu ne verras jamais venant de moi un dessin pompeux criant une vérité quelconque ou prétendant à une sorte de profondeur. J'adore m'amuser et dire des choses sérieuses par le biais de plaisanteries sans pour autant devenir trop profond ou trop sérieux. Mon style, donc... Je suis inspiré par tant de personnes, chaque jour, sur internet, des amis que je rencontre. Hier soir, par exemple, on est allé boire un verre avec Liberatore, bon sang, c'est pas cool, ça ? Ou encore Geoff Darrow qui est probablement dans la pièce d'à côté. Être avec eux, voir ce qu'ils font... Ils m'influencent sur tous les plans. Je ne sais pas comment décrire mon style car je suis inspiré par tant de choses différentes que si tu regardes mes dessins, autour de toi, tu y verras du cartoon, du réalisme, de l'effrayant, du stylisé... Et ça, là, ça m'a été inspiré par des affiches françaises ou encore par une balade au musée d'Orsay, en observant simplement autour de moi. Donc je ne sais pas comment décrire mon style, je n'en n'ai aucune idée. Dernièrement, ces dernières années en tous cas, ce avec quoi je me suis le plus amusé, c'est un simple crayon. Un crayon et du papier et je me détends avec ça, tous les soirs et le résultat, c'est ce que tu vois sur ces murs.

Les femmes ont toujours une place proéminente dans tes histoires. Y'a-t-il une raison à cela ?
Viktor Kalvachev : Un de mes amis sur Facebook m'a récemment demandé pourquoi je ne dessinais pas des hommes. Il m'a menacé de me « unfriender » car il en avait marre de ne voir que des femmes. On a donc lancé une conversation sur le sujet et j'ai réalisé que je neViktor Kalvachev Blue Estates dessinais que des femmes parce que ça m'amuse. Il n'y a pas de motif caché. Je vais dessiner, tiens, qu'est-ce que je vais dessiner ? Des mecs qui se battent ? Naaah. Je fais ça tous les jours au boulot, pour des jeux vidéos. Je dessine plein de mecs, au boulot, donc, quand je veux me détendre... Je suis simplement fasciné par le charme, la beauté et l'assurance des femmes que je vois marcher dans les rues de Paris. Ça laisse une marque et la plupart de mes dessins se basent sur les gens que je croise dans la rue. Mais ça vient aussi du profond respect que j'éprouve à l'égard des femmes. Si tu regardes bien mes dessins, tu remarqueras que toutes ces femmes dégagent une force, une assurance, ce ne sont jamais des objets de convoitise ou de simples pin-ups prenant une pose sexy. Elles ont toutes une histoire et elles sont toujours en charge. Je suis fascinée par cette meilleure moitié de l'humanité et peut-être que si les femmes étaient au pouvoir, on aurait moins de guerres. Comme disait Robin Williams, on aurait juste eu de très intenses phases de négociations tous les trente jours.

Si je ne me trompe pas, c'est ta première exposition au sein d'une galerie, en France.
Viktor Kalvachev :En France ? Non, c'est la seconde. La première était à la formidable galerie Arts Ludiques. C'était il y a trois ans.

Et comment sélectionnes-tu les dessins que tu exposes ?
Viktor Kalvachev : Honnêtement, je ne savais même pas que j'allais faire l'objet d'une exposition ici. Je ne l'ai su qu'il y a 4 semaines. Julien m'a contacté il y a peut-être 7 ou 8 mois. On a déjeuné ensemble et il m'a dit qu'il aimait beaucoup ce que je faisais et qu'il voulait faire une exposition. Je lui ai dit d'accord et aussi de m'appeler quand il voudra le faire. Puis il a disparu pendant des mois. Il s'est avéré qu'il m'envoyait des messages sur mon compte Facebook qui est verrouillé et auquel je n'ai aucun accès. Puis, il y a quatre semaines, il m'a appelé pour me dire qu'il avait un créneau dans trois semaines. Viktor Kalvachev Blue EstatesJe me suis retrouvé dans une telle urgence, à finir le bronze, à dessiner quelques nouvelles illustrations... que j'en ai oublié d'appeler mes amis pour leur dire que je faisais une exposition à Paris. Ca a donc été une surprise pour moi comme pour eux.

Si tu avais la possibilité de visiter le crâne d'une personne célèbre, passée ou présente, afin de comprendre son art, ses techniques ou simplement sa vision du monde, qui choisirais-tu et pourquoi ?
Viktor Kalvachev : Je pense que je choisirais probablement la personne la plus heureuse au monde. J'irais donc sûrement voir quelqu'un comme le Dalaï-Lama, je suppose. Juste histoire de voir comment il peut être heureux, tout le temps. Peut-être que si j'arrivais à comprendre ça et à le communiquer, alors les gens seraient heureux et tout irait mieux.

Peut-être qu'il simule ?
Viktor Kalvachev : Ah. ce serait vraiment une mauvaise surprise. « Dalaï-Lama, pourquoi ? Noooooooon ! ». ce serait très drôle, on devrait faire un court-métrage avec ça. [rires]

Merci Viktor !


Viktor Kalvachev