interview Comics

Wes Craig

©Urban Comics édition 2015

Loin d'être l'un des dessinateurs les plus populaires du monde des comics, le canadien Wes Craig risque de voir son statut changer du tout au tout grâce à la série qu'il a co-créé avec Rick Remender : Deadly Class. Jusqu'ici apparu ici et là sur des titres de second rang avec un style assez classique, il dévoile toute l'étendue de son talent dans ce titre qui se montre aussi enthousiasmant au niveau de l'histoire que du découpage des planches. Quelques mois avant que le premier opus de Deadly Class ne sorte en France, nous avons eu la chance (et le plaisir) de rencontrer un artiste très sympathique et qui n'a pas hésité à répondre longuement à nos questions. On adore !

Réalisée en lien avec les albums Deadly Class T1, Batman – New 52, T6, Flash – New 52, T2
Lieu de l'interview : Festival d'Angoulême

interview menée
par
30 septembre 2015

Bonjour Wes Craig, peux-tu te présenter et nous dire comment tu as commencé à travailler dans l'industrie des comics ?
Wes Craig : [en français] "Bonjour" , je m'appelle Wes Craig et...

Si tu veux faire l'interview en français, on peut !
Wes Craig : [en français] "Je peux parler un peu en français mais c'est..." Non, ça ferait pas une bonne interview. [rires] Je viens de Montréal donc je parle, disons, décemment le français. Mais pas pour une interview, non. Je tomberais vite en panne de mots. Donc je travaille dans l'industrie des comics depuis 10 ans, principalement pour Marvel et DC Comics. Avant Deadly Class,Wes Craig Texas Chainsaw Massacre j'ai fait Les Gardiens de la Galaxie pour Marvel et d'autres trucs ici et là, quelques Batman, Spider-Man, un peu de tout à droite et à gauche. Deadly Class est le premier projet qui me concerne directement, c'est juste moi et Rick et, quand on aura terminé, on aura ce comics qui nous appartiendra, à nous.

Quelles sont tes influences ?
Wes Craig : Il y en a trop mais je vais me contenter de citer les premiers qui me viennent à l'esprit. Tout d'abord, je dirais Mœbius, mais là je cherche vraiment de gauche et de droite dans ma tête. Pour Deadly Class, je m'efforce de m'inspirer de pleins de trucs des années 80 comme j'ai pu en voir quand j'étais gosse, la première fois que je suis entré dans un magasin de comics. Il y avait des titres japonais comme Akira, Ghost In The Shell, Lone Wolf and Cub mais aussi des trucs européens comme Mœbius. Du côté américain, on avait le Dark Knight de Frank Miller, le Dark Knight Returns... Mazzucchelli a été une grande influence et je ne parle pas uniquement de ce qu'il a fait du côté des super-héros mais aussi ses titres indés comme City of Glass ou Rubber Blanket, qu'il a faits dans les années 80 [NDT: 90, en fait]. Mike Mignola est une des mes grandes influences, aussi. Je ne sais pas si tout ça se voit dans mon dessin, mais je sais que tout y est mélangé.

Wes Craig Guardians of the Galaxy Sur quels titres as-tu travaillé à tes débuts ?
Wes Craig : Je ne sais pas si leurs titres sont très connus ici mais j'ai travaillé pour Wildstorm - qui était une division de DC Comics lancée par Jim Lee et qui a formé, au départ, Image Comics. J'ai fait Massacre à la tronçonneuse [rires]. Tu connais ? Et aussi Wildstorm : Revelations, plein de choses. J'ai travaillé sur beaucoup de choses ici et là : Batman - basé sur la série animée - et j'ai aussi travaillé sur des séries basées sur le même style de visuels, de tout. Et Les Gardiens de la Galaxie, en effet. Avec Brad Walker, on s'alternait sur l'illustration d'un numéro, l'un puis l'autre.

Puisqu'on parle des Gardiens de la Galaxie : tu as participé, avec d'autres artistes, au visuel et à la composition des Gardiens actuels... Que penses-tu de cette vision ?
Wes Craig : Je ne suis pas un fan absolu de chaque film qu'a sorti Marvel mais ils ont réussi à s'étendre un peu. Jusqu'à présent, tous les films de super-héros commençaient par les origines du héros. Je ne connais pas le mot en français, "origine", c'est ça ? Et maintenant on sort un peu de ça. On a eu les Gardiens de la Galaxie dans l'espace, on va avoir le Docteur Strange, avec des éléments plus mystiques. C'est malin. Et j'adore ces personnages. Je les ai dessinés et je savais qu'ils seraient populaires. Quand j'étais gosse, j'adorais ce que faisait Jim Starlin comme, par exemple, Adam Warlock. J'aimerais tellement voir Adam Warlock au cinéma. Cet univers, il y a tellement de personnages que l'on peut exploiter... Quand j'ai vu le film des Gardiens, il y avait cette scène où l'on voyait Wes Craig Deadly Classles Célestes et moi, j'étais là "Un Céleste" je n'aurais jamais pensé en voir un au cinéma ! On dirait qu'il a été dessiné par Jack Kirby, il y a ces petits cercles, les zig-zags... Je n'aurais jamais pensé voir ça un jour dans un film. C'est vraiment cool.

Ton plus récent projet est Deadly Class, avec Rick Remender. Comment as tu rejoint ce projet ?
Wes Craig : Je travaillais sur un truc pour Batman qui était alors colorisé par Lee Loughridge, qui aujourd'hui colorise Deadly Class. ça faisait un long moment que j'attendais de pouvoir travailler avec Lee. Je harcelais les éditeurs de DC en les suppliant de nous associer sur un projet. Et ils ont commencé par dire non. J'étais aussi un grand fan de Rick et de son travail sur Fear Agent ou Strange Girl, ce genre de titres datant d'avant sa période Marvel. Et donc j'ai fini par travailler avec Lee et Lee est lui-même ami avec Rick. Ils habitent quasiment dans le même quartier et, un soir, Rick se trouvait chez Lee alors qu'il colorisait ce que j'avais fait pour Batman. Et je crois qu'à ce moment-là, Rick recherchait un dessinateur pour Deadly Class et il n'en trouvait pas dont le style correspondait à ce qu'il avait en tête. C'est là qu'il m'a vu sur l'écran de Lee et a fait "C'est qui, ce mec ?". J'avais déjà essayé d'entrer en contact avec Rick, quelques années avant ça, mais on avait tous les deux oublié, depuis. Et donc, un soir, je suis en train de dessiner quand je lève la tête et que je vois que j'ai reçu un email de Rick Remender. "Mais pourquoi est-ce que Rick Remender m'envoie un email, bon sang ?" j'ai répondu et on a ensuite discuté au téléphone. Il m'a livré le pitch de Deadly Class, au téléphone, mais moi j'étais là "Tout ce que tu veux, mec. Quoi que tu veuilles faire, j'en suis" parce qu'il figure dans mon top 10 des auteurs de comics. J'aurais fait n'importe quoi, avec lui.

Wes Craig Deadly Class Deadly Class n'est pas encore publié en France mais ça sortira en septembre prochain. Peux-tu nous le présenter ?
Wes Craig : Oui. Bien sûr. C'est une série violente, c'est plutôt dingue. Il y a deux aspects à la série. C'est d'abord l'histoire d'un lycée pour assassins, basé à San Francisco. On a donc ce petit côté bargeot propre aux comics. Ensuite, Rick ayant grandi au sein de la scène punk rock des années 80, on retrouve des petits détails issus de son expérience des années 80 et tout ça se mélange au côté déjanté apporté entre autres par l'idée de cette école d'assassins. Le héros principal est Marcus Lopez qui est un orphelin, à l'origine. Il y a cette similarité avec l'école pour surdoués du professeur Xavier, aussi, avec ces gosses qui viennent des quatre coins du monde et les différentes cliques qui se forment parmi les élèves. Marcus est donc envoyé dans cette école, il y forme son petit groupe et le comics raconte leurs aventures. Il s'agit pour eux de survivre dans un lycée où les autres élèves peuvent non seulement médire sur leur compte, ils peuvent aussi les tuer. C'est essentiellement comme au lycée mais avec de plus gros enjeux.

Rick Remender a travaillé dans l'animation et aussi comme encreur. Est-ce que cela a rendu votre collaboration différentes de celles que tu as connues ?
Wes Craig : Oui parce qu'il sait ce que c'est que de devoir s'asseoir pour faire mon type de travail. Il est déjà passé par là. En réalité, Rick est un très bon dessinateur et un très bon encreur, il réalise des story-boards, tous ces trucs. Il comprend les mécanismes liés à la réalisation d'un comics mensuel. C'est très différent de la méthode européenne : il faut que les pages sortent. J'ai connu des auteurs avec lesquels il y a eu des problèmes de compréhension. Il m'était impossible, par exemple, de faire tenir sur une planche ce qu'ils me donnaient à illustrer : une explosion, une bagarre, et puis ci, et puis ça. Je ne peux pas mettre tout ça dans une même case, il faut décider du contenu de chaque case, de la composition de la planche... Et Rick comprend ça.

Wes Craig Blackhand Comics J'ai cru comprendre que tu écrivais, aussi, sur Blackhand Comics. Est-ce tu échanges avec Rick, concernant le script de Deadly Class ?
Wes Craig : On en discute. Il écrit le script et... Par exemple, avec celui en cours, il est un peu débordé. Il vient juste de déménager et il doit s'occuper de tout donc pour le douzième numéro, celui sur lequel on travaille, je participe un peu plus qu'à l'accoutumée à l'écriture de l'histoire mais c'est juste pour ce numéro. Mais en général, il trouve l'idée pour le script, il m'appelle et on passe quelques heures à discuter de l'histoire à venir, de ce peut marcher ou pas, il va me demander ce que je pense de telle scène et je vais lui dire si je trouve ça parfait où si je pense qu'il faut changer deux ou trois trucs... On peaufine l'histoire et, comme ça, quand je vais sur ma table à dessin, je me sens impliqué dans le script. J'ai l'impression d'y avoir apporté ma contribution et j'en suis d'autant plus enthousiaste. On n'est pas dans un scénario où il me tendrait le script en me disant "Tiens, voilà l'histoire. Dessine-là" et où je serais là à le faire, comme une sorte de singe savant. Je ne suis pas aveuglément un auteur, il y a une réelle implication de ma part.

Trouves-tu le temps d'écrire, sorti de ton travail sur Deadly Class ?
Wes Craig : Oui, un peu. Peut-être quand on aura fini Deadly Class, dans quelques années, je consacrerai alors plus de temps à mes propres écrits. C'est en tout cas mon objectif. Mais entre deux numéros, je trouve un Wes Craig Deadly Class peu de temps pour ça. C'est pour ça que Blackhand Comics est essentiellement constitué d'histoires courtes, je n'ai pas le temps de m'investir dans l'écriture de quelque chose de plus long, comme un graphic novel. Mais je trouve le temps d'écrire une petite histoire, ici et là, entre les différents numéros de Deadly Class, avant de pouvoir en faire plus. Chaque matin, avant de me mettre à illustrer une planche, je me rends dans un café où je passe une heure ou deux à écrire puis je rentre me mettre au travail. J'ai besoin de ça. Le dessin, c'est ce que je préfère mais c'est ce que je passe mes journées à faire et l'écriture a cet aspect un peu plus rafraîchissant, à mes yeux. J'ai toujours écrit, depuis mon enfance et encore plus maintenant.

Es-tu, toujours, un lecteur de comics ? Et si oui, en as tu des préférés ?
Wes Craig : Je suis impatient de pouvoir lire le prochain Optic Nerve d'Adrien... Oh, je n'arrive jamais à prononcer son nom, je crois que c'est Tomine. Optic Nerve, j'attends sa sortie avec impatience. Building Stories, aussi. J'adore tout ce que fait Chris Ware. Quoi d'autre ? Je rattrape mon retard sur certains Paul Pope, j'adore 100% qui est un de mes comics préférés mais je suis en train de lire des comics précédents comme Battling Boy. Et puis... Mes série mensuelles américaines préférées sont celles de Ed Brubaker et Sean Philips, Fade Out, Fatale, Criminal... J'adore ce qu'ils font. Et le Multiversity de Grant Morrisson et Frank Quitely, je ne sais pas si c'est sorti en France mais tu l'as lu ?

Wes Craig Deadly Class Non pas encore, ce n'est pas encore sorti en France.
Wes Craig : Ok, mais les illustrations de Frank Quitely à elles seules, c'est fou. J'ai aussi vu Blast, dans le coin, ici. Il faut que je mette la main dessus. Je l'ai aperçu dans certaines boutiques, à Montréal, mais je n'en n'ai lu aucun mais c'est tellement beau, il faut que je le lise.

Si tu avais le pouvoir cosmique de visiter le crâne d'un autre auteur pour en comprendre le génie, qui irais-tu visiter ?
Wes Craig : Je pense que ce serait Jack Kirby. J'aimerai retourner dans le passé. Il y aurait Mœbius, aussi mais Jack Kirby. J'ai vu des photos de lui, penché sur cette vieille table complètement déglinguée, avec son cigare. Il était en train de dessiner peut-être, je pensais alors, pour la 28 ou 48e heure consécutive le Silver Surfer, Galactus ou je ne sais quoi... Son éthique professionnelle, son imagination... Ce type bossait suivant un rythme mensuel et il dessinait page sur page mais chacune d'elles était quand même fascinante. Je ne le qualifierais pas de génie, ce n'est pas le terme, peut-être que c'est suranné mais il avait un don pour son travail de design. Personne n'avait fait quelque chose de pareil et je ne sais même pas s'il en avait conscience mais c'était incroyable.

Merci Wes !

Remerciements à Alain Delaplace pour la traduction scolaire !


Deadly Class Wes Craig