Jeune mangaka de chez SQUARE ENIX, Yoshiki Tonogai est l’auteur de Doubt et de JUDGE aux éditions Ki-oon. Cet ancien assistant d’Atsushi Ohkubo (Soul Eater) tient en haleine les lecteurs du magazine de prépublication japonais Gangan depuis 2007 et était cette année invité à Japan Expo où il présentait le premier volume de sa nouvelle série JUDGE. Pour l’occasion, Ki-oon avait réalisé une petite exposition sur ce titre, dont les photos illustrent cette interview que nous a donnée l’auteur le dernier jour du festival après un programme bien chargé en séances de signatures.
interview Manga
Yoshiki Tonogai
Comment êtes-vous devenu mangaka ? Quels sont les auteurs qui vous ont influencé, vos références ?
Yoshiki Tonogai : Quand j’étais petit, comme presque tous les enfants japonais, je voulais devenir mangaka. Mais bon, c’était un rêve de gosse et je pensais que je ne pourrais jamais le réaliser. Et puis, en arrivant à la fac, j’ai vraiment commencé à penser à cette idée de carrière car j’avais un ami qui voulait vraiment devenir mangaka. Il m’a un peu entraîné sur ce chemin-là en me disant « pourquoi pas essayer ?».
En ce qui concerne mes influences, quand j’étais petit, je lisais surtout les mangas qui paraissaient dans le magazine de prépublication Shônen Jump, notamment les grands classiques comme Dragon Ball, Yuyu Hakusho ou Slam Dunk.
Expo Ki-oon sur JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : Du point de vue visuel, l’influence de Saw a été très importante. Pour ce qui concerne JUDGE, je me suis inspiré du film Seven. Pour ce qui concerne Doubt, ceux qui ont vu le film Usual suspects ont pu se douter qu’il y a une certaine influence de ce film.
Dans vos deux mangas, vous masquez les personnages. Est-ce que le fait de leur enlever les masques à un moment donné leur fait affirmer leur véritable personnalité sans se cacher derrière des apparences ?
Yoshiki Tonogai : Quand j’ai conçu Doubt, je me suis dit que le fait de faire porter des masques aux personnages, et donc de ne pas les voir, attise la curiosité des lecteurs. Je voulais tout simplement créer du suspense. D’autre part, c’est très important d’attirer les lecteurs avec des visuels qui frappent l’esprit. C’est pour ces deux raisons que j’ai utilisé la thématique du masque.
Expo Ki-oon sur JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : Quand j’ai commencé à concevoir le scénario de Doubt, j’avais l’intention d’en faire une série terminée, c’est-à-dire sans suite. A lui tout seul, je considère que Doubt tient la route, c’est une œuvre achevée même si on a l’impression que la fin est ouverte. Je me dis que c’est une fin typique des films et romans d’horreur : l’horreur continue. Donc Doubt en lui-même est une œuvre achevée. Et puis quand j’ai commencé à travailler sur une 2ème œuvre, je me suis dit que ce serait bien d’entraîner avec moi ceux qui ont déjà lu Doubt mais que ce serait bien que les autres aussi puissent me suivre. C’est à la fois une suite et pas une suite, je voulais élargir mon lectorat.
Votre titre JUDGE parle de beaucoup de péché, de culpabilité. Alors, j’ai envie de vous poser la question qui est sur les affiches : et vous, quel est votre péché ?
Yoshiki Tonogai : Je dirais l’envie car j’ai vraiment envie que de nombreux lecteurs français lisent cette œuvre.
Comme cela a été dit précédemment, Doubt et JUDGE ont énormément de points communs. Est-ce que vous avez envie de varier un peu plus de style dans l’avenir ?
Yoshiki Tonogai : Pour l’instant, Doubt et JUDGE marchent bien, donc j’aimerais bien faire un troisième titre dans ce genre et après on verra. Tout dépendra de la réaction du lectorat. Je trouve que 3 est un chiffre porte-bonheur donc j’aimerais que ce soit une sorte de triptyque.
Pourquoi avez-vous choisi ces animaux-là en particulier ? Il y en sept, donc un par péché capital ? Y-a-t-il une concordance entre un animal et un péché, et pourquoi ?
Yoshiki Tonogai : Pour illustrer la thématique des sept péchés capitaux, j’ai décidé de prendre sept animaux pas forcément très mignons mais inquiétants. J’ai commencé à dessiner des masques d’oiseaux et de reptiles mais c’était vraiment trop lugubre, trop sinistre. J’ai fait quelques essais pour arriver finalement à ces sept animaux qui illustrent le livre. Après, pour attribuer un péché à un animal, je l’ai fait au feeling : cochon pour la gourmandise, etc. J’ai fait appel à mes préjugés, à des associations d’idées.
Expo Ki-oon sur JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : En ce qui concerne le personnage principal, c’est vraiment un héros typique de shônen, il en a toutes les caractéristiques. Pour les autres personnages, je me suis inspiré de l’actualité, des faits divers dont on parle à la télévision pour certains, et de mon imagination pour les autres. C’est donc à moitié réel, à moitié fictif.
Le schéma de l’histoire consiste à ce que les personnages soient éliminés les uns après les autres dans une espèce de justice immanente comme dans Battle Royale. Est-ce que cela correspond à un sentiment que les créateurs japonais veulent se faire ressentir ? Se faire peur alors que la réalité est encore plus terrible, entre Hiroshima et Fukushima ?
Yoshiki Tonogai : Je dirais que les japonais adorent une certaine forme d’horreur. Ils n’aiment pas forcément les créatures ou les monstres, comme dans les blockbusters avec des extra-terrestres et des soucoupes volantes. Ils préfèrent des peurs plus proches de ce qu’on vit au quotidien. Même dans Godzilla : c’est une créature monstrueuse mais, si ma mémoire est bonne, elle a été créée suite à une pollution nucléaire. Il y a toujours un élément qui relie à la réalité. Je pense que les japonais recherchent toujours une attache avec la réalité.
Donc c’est réaliste ?
Yoshiki Tonogai : C’est-à-dire que les japonais aiment les histoires où ils peuvent se reconnaître, se dire « ça peut m’arriver ». Mais si vous parlez d’extra-terrestres, cela n’arrivera jamais, normalement. C’est ça que j’appelle l’horreur au quotidien.
Expo Ki-oon sur JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : C’est comme pour les téléfilms ou les films avec des suites. On voudrait toujours accentuer les traits caractéristiques de l’œuvre précédente. La logique voudrait qu’il y ait encore plus de violence mais il faut aussi prendre en considération la réaction du lectorat. Il faudrait que j’arrive à trouver un juste équilibre entre la logique qui voudrait que tout s’amplifie et ce que le lecteur est prêt à accepter.
Stand Ki-oon aux couleurs de JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : En ce qui concerne Doubt, personne ne veut me croire mais pour moi c’est un manga d’amour. Le déclic de l’histoire vient du fait que les relations entre le héros et l’héroïne se sont détériorées. Pour moi, c’était le thème principal. Je continue à croire que c’est la même chose pour JUDGE. On a tous besoin d’amour. En ce sens, la profondeur de la psychologie humaine m’intéresse.
Combien avez-vous d’assistants et comment répartissez-vous les tâches ? Comment s’organisent vos journées ?
Yoshiki Tonogai : Ca dépend des périodes mais j’ai 3 ou 4 assistants : 2 ou 3 se spécialisent dans le décor, d’autres s’occupent de la trame et, pour ce qui est de la finition, c’est moi et un assistant. Avant, quand tout était analogique, les assistants se répartissaient les tâches de façon équitable, chacun faisait un peu de tout. Maintenant, avec la numérisation du travail, j’ai spécialisé les assistants dans différentes tâches.
On a parlé des influences tout à l’heure, aussi bien manga que cinéma. Connaissez-vous la BD franco-belge ou le cinéma français ? Est-ce qu’il y a des éléments de la culture française qui vous plaisent et éventuellement, vous inspire ?
Yoshiki Tonogai : Il y a tellement de mangas qui sortent au Japon que je n’ai malheureusement pas encore eu le temps et l’occasion de découvrir les BD d’autres pays. C’est tout juste si ça m’est déjà arrivé de jeter un œil aux comics américains. Pour ce qui concerne les films, je ne sais pas si c’est un cas particulier à moi-même ou si c’est le cas de tous les japonais, mais j’ai l’impression qu’on globalise tout ce qui est européen. Quand je regarde un film européen, je ne sais pas s’il est français ou d’un autre pays. Je suis donc désolé, mais je ne peux pas répondre à votre question.
Expo Ki-oon sur JUDGE à Japan Expo 12
Yoshiki Tonogai : Je choisirai Yoshihiro Togashi, l’auteur de Yuyu Hakusho car il a créé tellement de chefs d’œuvre que je serai bien curieux de savoir ce qu’il se passe dans sa tête.
Par rapport à votre triptyque, avez-vous déjà une idée de la trame et de l’univers dans lequel vous allez développer le troisième manga ?
Yoshiki Tonogai : J’ai des idées mais vraiment très, très, très vagues et je pense que je vais terminer JUDGE d’ici 2 ans. J’aurai le temps d’assembler suffisamment de matière pour le troisième manga d’ici là.
Quelle est l’influence de votre tantô (NDLR : le responsable éditorial) ?
Yoshiki Tonogai : Je pense que l’influence est énorme, en bien comme en mal. Je ne vous en dirai pas plus (rires).
Merci !
Merci aux éditions Ki-oon