L'histoire :
A la gare d’Abashiri, un groupe de lycéens attend le train. Tous sont accompagnés de leurs parents et de leurs professeurs, sauf N. Apparemment, celui-ci ne plaisantait pas quand il disait que sa mère préparait un repas de fête pour son départ pour Tokyo. Mais ce que N. veut vraiment, c’est aller vivre en Amérique. Quelques années plus tard à Tokyo, N. s’introduit dans une base américaine pour y dérober une caméra. Lorsqu’il entend du bruit, il se cache dans un placard. Là, il découvre un pistolet et quelques munitions qu’il met dans sa poche. Plus tard cette même soirée, un chauffeur de taxi est abattu par son client une fois la course terminée. Mai 1968, N. fait le ménage de nuit avec son collègue T. quand la belle Yoko débarque en leur demandant de la cacher car un homme la suit. Même s’il ne s’agit pas d’un policier qui en sait trop sur sa participation au mouvement révolutionnaire, Yoko veut l’éviter. N., lui, est sous le charme...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Lorsqu’Eiji Otsuka (M.P.D. Psycho, Leviathan...) s’associe à Kamui Fujiwara (Dragon quest - Emblem of Roto), autant dire qu’on est intrigué, voire dévoré par la curiosité. Les deux hommes nous proposent ici de revoir un Japon de la fin des années 60, mis à mal par le terrorisme et les révoltes estudiantines mais aussi par les séquelles de la Seconde Guerre Mondiale, et de suivre un groupe de jeunes gens paumés, désabusés et parfois violents. Les personnages principaux sont tous des figures connues (T. n’est autre que Takeshi Kitano, N. est le tueur en série Norio Nagayama, Yoko est la révolutionnaire communiste Hiroko Nagata et M. l’écrivain Yukio Mishima) mais, en utilisant juste des initiales ou des noms différents, le récit évite de se faire dévorer par la célébrité des protagonistes et peut se concentrer sur ses sujets principaux : révolutions estudiantines, terrorisme, communisme, jeunesse en quête de liberté sexuelle et de rêves... Jeunes adultes qui n’acceptent pas de franchir pas le cap ou vieux adolescents qui regrettent leur insouciance, tous vivent avec une douleur dans le cœur et un manque affectif évident. Leurs hésitations, leurs mauvais choix et leurs déboires, rien ne nous est épargné pour mieux nous immerger dans leur histoire. En outre, chaque chapitre est ponctué de vers issus de poèmes de Takuboku Ishikawa (surnommé le « Rimbaud japonais ») qui donnent une dimension tragique, dramatique et douloureuse à l’histoire. Pour donner vie à cette intrigue hors normes, Kamui Fujiwara opte pour un style plus adulte que ce qu’on lui connaît et très réaliste. Pour arriver à ce résultat, il a travaillé à partir de storyboards qui lui ont servi de base pour faire des photographies qu’il a utilisées ensuite pour ses dessins : le résultat est forcément cinématographique dans le cadrage et la mise en scène, et fait un hommage évident aux vieux polars. Aussi étonnante qu’elle puisse paraître, la collaboration de ces deux mangakas donne vie à un projet original, historique, palpitant et cruel : un must have !