L'histoire :
En septembre 2011, deux journalistes ont pris rendez-vous avec le vieil Alan Cole, vétéran de la seconde guerre mondiale, pour une interview. Ils s’installent dans son salon et filment son témoignage, qui débute par l’entrée en guerre des USA suite au bombardement japonais de Pearl Harbor en 1941. A l’époque, Cole est psychiatre au sein de l’armée, en charge d’aider les soldats atteins de PTS (stress post traumatique). Il est plutôt doué et heureux de parvenir à soulager certains cas, en leur permettant de verbaliser les horreurs qu’ils ont subies. Alan est aussi fiancé à Sue, une jeune fille de bonne famille. Borgne depuis la première guerre mondiale, son futur beau-père est un fervent patriote. Il exige quasiment qu’Alan « soit un homme » et s’engage dans l’appel à mobilisation lancé par Roosevelt à la TV, malgré l’exemption dont il profite en tant que médecin. Piqué au vif, Alan rejoint ainsi un camp d’entrainement de Marines à San Diego, avec la charge d’évaluer les profils psy des nouvelles recrues. On lui demande entre autre de refuser les candidats sur lesquels il décèle une tendance homosexuelle. Au sein d’une caserne, les gays qui ne s’assument pas risquent en effet de développer des névroses ; et s’ils s’assument, ils peuvent « pervertir » des camarades à devenir sodomites…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A l’origine de cet album, Alcante a été interpelé par la loi qu’Obama a abrogé en 2009, appelée « Don’t ask, don’t tell ». Celle-ci ouvrait enfin la voie d’une carrière militaire aux homosexuels, sans qu’ils aient besoin de préciser leur orientation sexuelle. Cela fait donc seulement 13 ans que les gays peuvent concrétiser leur patriotisme aux USA ! Rappelons aussi que l’homosexualité n’est dépénalisée en France que depuis 1982… Alcante situe le récit durant la guerre du Pacifique (fin de la seconde guerre mondiale), époque où la répression interne était la plus forte envers les gays au sein de l’US Army. Le scénariste met en scène le personnage attachant du jeune Dr Cole, psychiatre et homosexuel qui s’ignore. Le lecteur suit son parcours au sein de l’armée, son engagement au sein des troupes en guerre, sa découverte de son homosexualité et son histoire d’amour avec Merle, qui fera radicalement basculer son destin. Cette trame narrative est amenée ici avec beaucoup de sensibilité et un réalisme absolu. Tout contribue à faire de ce one-shot de la collection Aire libre de Dupuis un vrai chef d’œuvre : la psychologie des personnages est particulièrement fine, les dialogues sont soignés, le rythme séquentiel est impeccable et immersif. Et bien entendu, le dessin de Bernardo Muñoz est irréprochable en toute situation : documenté pour les décors, expressif pour les personnages, régulier de bout en bout, avec une foultitude de cases magnifiques (cf. la pleine page p.90). Les voyeurs peuvent passer leur chemin, aucune scène n’est « trop » explicite. Le ton n’est pas non plus au manifeste politique : les auteurs livrent avant tout une œuvre originale, d’une belle humanité, sur un sujet jusqu'alors quasiment jamais abordé en BD.
