L'histoire :
Charles Baudelaire est exaspéré : sa mère retient son héritage et l’empêche désormais d’accéder aux biens de son père. Pour elle, il dépense sa fortune sans raison ou plutôt pour une mauvaise raison : il donne tout pour la mulâtresse Jeanne Duval. Il a donc un entretien avec un notaire assommant au possible, maître Ancelle. Celui-ci lui rappelle tout l’argent qu’il a dépensé en arts et autres sorties dispendieuses. Son conseil est simple : il doit travailler ! D’autant que Jeanne n’a aucun droit sur son argent puisqu’ils ne sont pas mariés. Charles rentre chez lui avec un tableau entre les mains. Ce rendez-vous désagréable est vite oublié. Il montre tout excité à Jeanne son acquisition : un Delacroix sublime qui représente une scène furieuse dans un harem. Sa compagne ne semble pas intéressée et critique ses choix de dépense. Décidément, on ne lui parle qu’argent, aujourd’hui. Charles se lamente du peu de goût et de culture de Jeanne. Et même si un dandy se doit d’avoir une compagne de la rue, il désespère devant son manque d’intelligence artistique. Jeanne lui réplique qu’elle a besoin qu’on la prenne comme un animal. Et tout dandy qu’il est, il se doit de l’honorer vertement !
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Voici le dernier tome de ce « brouillon », tout de même bien travaillé, du dernier album d’Yslaire consacré à Charles Baudelaire et sa maîtresse Jeanne Duval, Mademoiselle Baudelaire. Si les tomes précédents jouaient sur les moments graphiques intenses, ici, les textes sont abondants et balaient de façon magistrale et passionnante toute la vie du poète, de ses amours tourmentés à son engagement politique, de ses rencontres artistiques à son idéal dandy, de ses errements financiers à son travail d’écriture, sans oublier la fameuse maladie qui lui a collé à la peau sans arrêt comme une sangsue : l’ennui ou le spleen. La richesse de ce tome dépasse l’entendement puisque, non seulement Yslaire parvient à réaliser une biographie vivante et riche en détails, mais il rend également compte avec justesse de tous les aspects éclectiques de l’auteur, que ce soit sur la littérature, la peinture, le mode de vie, la drogue, l’opinion politique... C’est ici tout le XIXème siècle qui se déploie sous nos yeux. A la manière de Victor Hugo qui faisait parfois de longues digressions sur l’histoire de son temps dans ses romans, Yslaire peint à merveille la période post révolutionnaire, non sans nous rappeler également, au détour d’un dessin, ses plus grandes heures de gloire avec Sambre. La poésie, il faut aussi la trouver dans le dessin sublime d'Yslaire. On ne sait ce qui est le plus beau, des croquis griffonnés à la hâte ou de certaines cases travaillées avec soin, avec quelques bribes de couleurs. Au détour de la psyché du personnage et de l’ombre fascinante de Jeanne, on assiste à quelques moments de grâce visuels avec des planches d’une audace toute romantique. Les correspondances chères à Baudelaire transforment le dessin, mêlant les corps dans un érotisme animal fascinant. Yslaire n’oublie pas non plus de rendre hommage aux peintres mémorables de l’époque en intégrant intelligemment leurs œuvres dans ses planches et en les analysant dans les moindres détails. Cet album est plus qu’un acte commercial ou une rareté de collectionneurs. Son rendu aux couleurs sépia s'accorde magnifiquement au romantisme du XIXème siècle avec toute sa beauté et sa fureur, son côté immortel, tout en étant non achevé. Baudelaire revit en bande dessinée !
