L'histoire :
Après des années de frustration intellectuelle, Kerry Stevens a osé quitter la ferme familiale texane pour devenir journaliste littéraire à New York. Quelques galères plus tard, elle a fini par décrocher un poste au magazine Tales and Writters et s’attaque aujourd’hui à son rêve : être la première à interviewer Carson McNeal. Cet écrivain à succès, véritable phénomène d’édition, n’apparaît jamais en public, n’autorise aucune photo… Bref, il est un mystère. Prétextant un reportage, Kerry ruse pour se retrouver dans le bureau du comptable de son éditeur, au moment de l’envoi des relevés de droits. Ainsi, elle trouve furtivement son adresse sur une enveloppe : « chez Lewis Shiffer », dans un coin de campagne reculé, à Blue Falls. Elle se rend sur place et après avoir longuement observé la propriété à la jumelle, elle s’arrange pour être la victime d’un petit accident avec ledit Shiffer. L'homme qui descend du pick-up, après l’avoir renversée en vélo, est attentionné… mais guère causant. Plus tard, Kerry s’arrange pour le recroiser, se faire inviter chez lui et fouiller discrètement son premier étage. Bingo ! Elle trouve une machine à écrire et le manuscrit de son prochain roman, Le diable et la poupée. Shiffer et McNeal ne sont donc qu'un ! Le manuscrit en question raconte l’histoire d’Afia, une palestinienne rendue amnésique à la suite d’un traumatisme infantile, et qui cherche à découvrir ce qui se cache derrière cette « page noire » de sa conscience…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
A travers une double narration alternée, puis fusionnée, Frank Giroud et Denis Lapière livrent ici un bijou de polar à quatre mains, brassant des thématiques fortes telles que la culpabilité et le pardon, la vengeance et la rédemption. Dans un même contexte historico-politique contemporain, deux personnages féminins mènent leurs investigations : l’une dans un roman, l’autre dans le pan de réalité où s’écrit ce roman. Pour ce concept-album, les auteurs ont pris chacun en charge une partition donnée, en gros chacun sur un tiers de l’album : Giroud s’est chargée du premier niveau de récit, à savoir la relation ambiguë entre Kerry et l’écrivain ; Lapière, quant à lui, s'est occupé du roman écrit par ce dernier, à savoir la quête de soi d’Afia, l’histoire dans l’histoire. Totalement indépendantes (apparemment…), des séquences des deux histoires s’alternent judicieusement au fur et à mesure que le roman se rédige, et participent toutes deux à une montée en tension du suspens. A la hauteur de ses ambitions, l’intrigue savante – mais limpide – vous accrochera immédiatement pour ne plus vous lâcher… (et on n’en dira pas plus !). Ralph Meyer a relevé le défi du double dessin, et de sacrément belle manière. Il adopte deux styles graphiques différents, pour mettre le tout en cohérence et bien distinguer les contextes : la relation Kerry / McNeal opte pour un dessin encré, coloré à l’aide d’aplats verts-bleus (par Caroline Delabie) ; l’histoire d’Afia se déroule sur un splendide lavis de tonalités sanguines. Puis, pour le dernier tiers de l’album, le dénouement aussi surprenant que brillant a été élaboré en commun par les deux scénaristes, une réjouissante mise en abyme en prime. Pour ce final, Meyer fusionne avec fluidité ses deux systèmes visuels en un seul (dans le style de IAN). Cet exercice synthétique est original et adapté. Attention, avec ce thriller exquis en one-shot, la rentrée bédéphile 2010 commence fort !