L'histoire :
Au royaume des musaraignes, un groupe de sujets s’amuse au jeu de la queue de lézard. Après la victoire revendiquée par le petit Algur, le grand Glifan se plaint : Algur lui a fait un croche-pied (ce qui est vrai !). Avec une rhétorique implacable et culpabilisatrice, Algur lui prouve pourtant par A plus B que Glifan se trompe, et que ses accusations en disent long sur sa sale mentalité. Désarçonné, Glifan entre dès lors dans une dépression profonde, qui l’amène à consulter Muz, le psychiatre. Après avoir écouté la problématique, Muz comprend qu’ils ont affaire à un manipulateur. Il s’en va aussitôt au palais de sa reine pour dénoncer ce problème grave : l’extrême toxicité des pervers narcissiques est capable de pervertir les relations dans toute la muzarinité. Périfazo, le conseiller de la reine, s’érige aussitôt en protecteur de sa reine : pourquoi Muz cherche-t-il à inquiéter ainsi sa souveraine ? Muz rassure tout le monde et explique que l’éducation ne peut jamais être considérée comme de la manipulation. La connaissance étant même l’outil principal pour lutter contre la manipulation, Muz propose de donner des conférences publiques à tout le royaume pour décrypter toutes les formes de manipulation. La reine lui donne carte blanche et elle invite même son fils et son conseiller à aller écouter Muz…
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
Auteur complet à la fin du XXème siècle (Grimion gant de cuir, Le cœur en Islande…), Makyo est surtout réputé sur l’ensemble de sa carrière pour être un grand scénariste de bande dessinée (Balade au bout du monde, Jérôme K Jérôme…). Il revient cependant aujourd’hui au dessin, renouant légèrement avec une communauté de petit peuple façon Bogros, mais cette fois à de louables fins pédagogiques, pour illuminer un phénomène important et cependant trop peu décrypté : la manipulation. Makyo met en effet en scène une communauté de Musaraignes, comprenant un pervers narcissique, une reine tolérante et ouverte, un conseiller méfiant, un psychiatre éclairé et des manipulations dans tous les sens. Car l’auteur n’a de cesse de souligner que tout est toujours affaire de manipulation : les rapports au travail, dans le couple, la politique, la religion, la consommation… ce bouquin y compris, en cherchant à véhiculer un propos que vous ignoriez, ne cherche-t-il pas vous manipuler ? La frontière se situe dans le sens de l’instruction : dès lors qu’il y a volonté de transmettre un savoir, en toute ouverture et liberté, il ne peut y avoir manipulation. Evidemment, le dessin sommaire en noir et blanc n’est qu’un vecteur utile du propos, sans grand intérêt artistique. La substantifique moelle se trouve dans les conférences que Muz prodigue de manière claire, synthétique et abordable par un large public, et dans les démonstrations auxquelles se prêtent ses adjoints pour exemples. Makyo crédite régulièrement les études dont sont issues les idées qu’il avance, et il varie les mises en scène, afin que ça ne ressemble jamais à de fastidieuses démonstrations. Son personnage de psychiatre explique notamment ce que sont « l’injonction paradoxale » et le « phénomène de l’emprise », que maîtrisent les manipulateurs ; ou encore « l’amorçage » utilisé dans le commerce ; mais aussi, plus retors, les « pièges abscons » de l’auto-manipulation dans lesquels nous nous fourvoyons souvent tout seuls comme des couillons ! La pénétration de ces concepts peut s’avérer salutaire et fera voir le monde autrement à bon nombre de lecteurs qui ne se sont jamais trop posé de questions à ce sujet. Si tout le monde pouvait avoir lu et intégré l’essentiel décryptage de Manipulator, nous voterions mieux, nous achèterions moins de conneries, tous les couples auraient une relation équilibrée et saine… Une idée du bonheur ?