L'histoire :
Large Mouth est un petit village de 754 âmes. Le moins que l'on puisse dire est que c'est un bled tranquille et le passe-temps préféré des hommes y est la pêche. La communauté a sa fierté, puisque c'est ici qu'on a sorti le plus gros Black Bass des États-Unis. Une énorme perche truitée, qui a d'ailleurs sa statue sur la place du village. On est en 1994 quand un drôle de bonhomme y arrive, s’installant dans l'unique hôtel-restaurant. L'homme se fait discret, ne quittant sa chambre que rarement, à la faveur de balade dans la campagne environnante, qu'il effectue en fin d'après-midi. Pourtant, tout le monde parle de lui. Il faut dire que son allure ne peut qu'intriguer : son visage et ses mains sont intégralement recouverts de bandelettes, comme de la gaze chirurgicale et il porte des lunettes noires. Impossible de voir les traits de son visage ni donc non plus son regard. Qui est-il et que lui est-il arrivé ? Que vient-il faire ici ? Les ragots commencent à aller bon train. Les uns pensent que c'est un malade et prennent les paris que, derrière ses bandages, il n'y a ni blessure ni cicatrice, les autres imaginent qu'au contraire, c'est sûrement un brave mec qui en a bavé, pour une raison ou une autre. Vickie, la fille du restaurateur, poussée par sa curiosité, va vouloir en savoir plus...
Ce qu'on en pense sur la planète BD :
On est en 2009 quand The Nobody est publié (chez nous, l'année suivante, avec comme titre Monsieur Personne, chez un grand éditeur italien connu pour sa licence Marvel). Jeff Lemire n'est pas encore un scénariste incontournable de la scène des comic books, mais il est déjà primé pour son livre précédent, Essex County. Avec The Nobody (qui bénéficie d'une nouvelle traduction) il reprend, comme un hommage, quelques thèmes du fameux roman L'homme invisible d'H.G Wells, qui l'avait marqué dans sa jeunesse. Le personnage principal en intégralement le look, avec ses fameux bandages. On trouvera aussi d'autres clins d'oeil à ce qui le caractérise. A cela, le canadien ajoute des éléments qui sont devenus depuis comme des marottes, voire sa signature : une forme de poésie mélancolique qui colle au milieu rural, avec son contraste, à savoir l'aspect un peu reculé, au sens imagé du terme, qui peut aussi caractériser le tempérament des locaux d'un bled. En gros, de braves gens, mais pas vraiment non plus tolérants, quand ils sont confrontés à la différence. Il décortique aussi, sous fond de drame, les histoires de famille, celle de cet étranger, Griffen et celle de Vickie, la jeune fille qui s'attache à lui. Avec son trait simple et direct, sans esbroufe, son noir et blanc enrichi d'un bleu clair, il signe une œuvre magnifique, de celle qui fascine par leur sobriété et leur justesse. Dix ans plus tard, The Nobody n'a rien perdu de sa force.